La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a fait entrer la résidence alternée (RA) dans le code civil.
Pourquoi avoir voulu mener une enquête, pour le numéro de juillet/août 2021 de l’AJ famille, auprès des magistrats sur le thème de la résidence alternée ?
Car, après 20 ans d’application de la loi, nous nous posons de nombreuses questions. Quel est le bilan de cette loi 20 ans après ? Pourquoi seulement 12 % des enfants de parents séparés sont-ils en résidence alternée alors que ce chiffre atteint 40 % chez certains pays voisins de la France ? Quels sont, du point de vue de l’enfant, les atouts et limites d’un tel système ? Comment les juges apprécient-ils l’intérêt de l’enfant en cas de séparation des parents ? Le jeune âge de l’enfant est-il un obstacle à un temps parental équilibré ? Quid en cas de mésentente, voire de conflit entre les parents ? Comment la justice tranche-t-elle les litiges lorsqu’un parent demande la résidence alternée et que l’autre la refuse ? Doit-on verser une pension dans le cadre d’une résidence alternée ? Le rythme d’alternance est-il toujours hebdomadaire ou existe-t-il des rythmes plus courts (2 -2 / 5-5) ou plus longs (2 sem / 2 sem) ?
C’est pour répondre à l’ensemble de ces interrogations que nous avons mené une étude approfondie sur plusieurs mois, après avoir interrogé de nombreux juges aux affaires familiales. Nous avons également consulté deux magistrates belges afin de recueillir leurs observations sur la modification du code civil belge en 2006 tendant à donner la priorité à la résidence alternée.
Quels sont les points-clés de l’étude, sans doute la plus complète depuis 10 ans sur le sujet ?
Si l’intérêt de l’enfant est au cœur de la motivation des juges, conformément à l’article 373-2-6 alinéa 1er, du code civil, on relève de fortes disparités dans les approches des juges en matière de résidence alternée, tant ce qui concerne le contrôle de proportionnalité que les critères à l’aune desquels l’intérêt de l’enfant est apprécié.
S’agissant du contrôle opéré par les juges, ces derniers doivent in concreto concilier des intérêts contradictoires en présence : d’une part, préserver la stabilité des repères de l’enfant et lui éviter la fatigue inhérente à la double domiciliation, d’autre part, lui offrir un cadre lui permettant d’être élevé par ses deux parents et de bénéficier ainsi d’apports d’éducatifs complémentaires.
La balance est-elle parfaitement à l’équilibre dans l’esprit du juge avant « d’entrer » dans un dossier familial ?
On peut distinguer trois cas de figure :
- la balance penche au départ en faveur de la RA ; cette dernière est présumée in abstracto bénéfique à l’enfant et donner, en principe, le cadre le meilleur à la mise en œuvre de l’article 373-2, alinéa 2, du code civil qui prévoit que chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ;
- la balance est équilibrée au départ ; la RA est considérée, avant tout examen au fond, comme une option parmi d’autres. Le juge considère donc que tous les arguments en faveur ou en défaveur de la RA ont le « même poids » dans la balance ;
- la balance penche au départ en défaveur de la RA. Dans cette dernière hypothèse, le juge a un a priori défavorable à la RA. La balance est donc déséquilibrée ab initio en défaveur de la résidence alternée et il appartient alors au demandeur à la RA de déployer plus d’arguments que son opposant pour faire pencher la balance de son côté.
Lequel de ces trois cas vous semble-t-il conforme à l’esprit de la loi ?
Seul le premier cas de figure paraît pleinement conforme à l’esprit de la loi de 2002 ainsi qu’à l’article 9, 3, de la CIDE, ratifiée par la France. L’analyse de nombreux jugements ainsi que l’enquête réalisée auprès des magistrats montrent que le justiciable est pourtant régulièrement placé dans les deux autres cas de figure, ce qui peut nourrir chez certains un sentiment d’incompréhension, voire la crainte d’un aléa judiciaire.
Cet aléa existe aussi s’agissant des critères à l’aune desquels l’intérêt de l’enfant est apprécié.
En effet, l’intérêt de l’enfant, entendu comme « ce que réclame le bien de l’enfant », se dérobe dans des contours flous qu’il appartient à chaque juridiction de tracer souverainement. Les motifs de refus de la résidence alternée paraissent variables selon les juridictions. Si certains critères sont largement partagés (bas âge des enfants et éloignement géographique), d’autres semblent faire débat au sein de la communauté judiciaire (opposition des enfants, mésentente entre les parents…).
Par ailleurs, les modalités concrètes d’application de la résidence alternée (partage du temps parental strictement égalitaire ou non, rythme hebdomadaire ou non, prononcé ou non d’une résidence alternée à titre provisoire, entrée en vigueur différée) diffèrent également selon les juridictions.
Comment expliquer de telles divergences d’appréciation ?
En premier lieu, la Cour de cassation ne fait pas œuvre unificatrice, en ce sens qu’elle laisse l’intérêt de l’enfant à l’appréciation souveraine des juges du fond.
En second lieu, l’office du juge familial est d’une redoutable complexité : d’une part, il doit statuer dans une matière située au carrefour de trois disciplines : le droit, la psychologie et la sociologie. D’autre part, il ne peut pas s’appuyer sur des études de pédopsychiatre qui font autorité. C’est pourquoi le juge exerce nécessairement sa mission avec une part de subjectivité qui résulte de sa sensibilité qui est, elle-même, souvent le fruit de sa propre histoire.
Quelles solutions les JAF eux-mêmes préconisent-ils ?
Il existe des solutions pour réduire la part de subjectivité du juge et garantir ainsi davantage d’égalité territoriale face à la justice familiale :
- développer la collégialité en première instance afin de ne pas figer des situations qu’il est difficile de remettre en cause en appel ;
- renforcer la formation initiale et continue des JAF ;
- faire du JAF un juge spécialisé au sens du code de l’organisation judiciaire, à l’instar du juge des enfants ;
- modifier l’article 373-2-9 du code civil afin de faire expressément de la résidence alternée une modalité de résidence privilégiée de l’enfant, en s’inspirant du code civil belge, modifié en ce sens en 2006. Deux propositions de loi récentes vont dans cette direction et conduiraient, si elles étaient adoptées, à un renversement de la charge de la preuve, en ce sens qu’il appartiendrait au parent qui refuse la résidence alternée de prouver que ce mode de résidence de l’enfant est contraire à l’intérêt de l’enfant.
Bruno LEHNISCH, Administrateur des services du Sénat et Conciliateur de justice au TJ de Paris, ancien Directeur au Défenseur des droits
Commentaires récents