Actualité jurisprudentielle de la semaine : divorce, droit pénal de la famille, libéralités et successions
Voici les arrêts que j’ai relevés cette semaine. Au menu :
- divorce
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- libéralités
- successions
DIVORCE
Prestation compensatoire : la jouissance gratuite du domicile conjugal au titre du devoir de secours ne saurait entrer en ligne de compte (Civ. 1re, 13 avr. 2022, n° 20-22.807, 328 F-B) – Une cour d’appel ne peut prendre en considération l’avantage constitué par la jouissance gratuite du domicile conjugal accordée à l’épouse au titre du devoir de secours pour apprécier l’existence d’une disparité créée par le divorce dans les conditions de vie respectives des époux. Viole les articles 270 et 271 du code civil une cour d’appel qui, pour rejeter la demande de prestation compensatoire formée par l’épouse, retient que celle-ci bénéficie de la jouissance gratuite de l’ancien domicile conjugal depuis près de sept ans.
NB – C’est une solution on ne peut plus classique et l’on s’étonne que la Cour de cassation ait encore à la rappeler (v. déjà Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-14.872 ; 15 juin 2017, n° 16-19.333 ; 29 nov. 2017, n° 16-26.726 ; 30 janv. 2019, n° 18-13.715 ; 17 avr. 2019, n° 17-28.301 ; 30 sept. 2020, n° 19-19.114 ; 18 nov. 2020, n° 19-20.615).
DROIT PÉNAL DE LA FAMILLE
Délit de complicité de soustraction de mineur : nécessaire prise en compte de la personnalité de l’auteur des faits, de sa situation matérielle, familiale et sociale pour la détermination des peines (Crim 6 avr. 2022, n° 21-85.000, 00421 F-D) – Selon l’article 132-1 du code pénal, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. Il résulte de l’article 132-19 du même code que le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction.
Après l’avoir déclarée coupable de complicité de soustraction de mineur aggravée pour condamner la prévenue, d’une part, à dix-huit mois d’emprisonnement dont six assortis du sursis et ordonner l’aménagement de la partie ferme, d’autre part, à cinq ans d’interdiction des droits civiques, civils et de famille, une cour d’appel énonce qu’au regard de la gravité des faits qui ont permis la soustraction totale de l’enfant, sous des prétextes fallacieux, à l’autorité de son père, qui depuis plus de dix ans ignore ce qu’est devenue sa fille, il convient de la condamner à une peine d’emprisonnement, aucune autre sanction n’étant envisageable en l’espèce au regard de la détermination dont elle a fait preuve pour aider sa fille dans l’accomplissement de son projet délictueux et de ses conséquences. Les juges ajoutent qu’il y a lieu également de prononcer à son égard la privation de tous ses droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans.
Mais en statuant ainsi, sans qu’il résulte de ces motifs qu’ont été pris en compte, pour déterminer lesdites peines, la personnalité de l’auteur des faits, ni sa situation matérielle, familiale et sociale, la cour d’appel a méconnu les articles 132-1 et 132-19 du code pénal.
La cassation sera toutefois limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n’encourt pas la censure.
NB – La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer dans cette affaire pour juger qu’une même personne ne pouvait pas être condamnée pour complicité de non-représentation d’enfant et pour complicité de délit de soustraction d’enfants pour les mêmes faits (Crim., 8 janv. 2020, n° 19-80.809).
LIBÉRALITÉS
Recevabilité de l’action paulienne des créanciers en cas de donation-partage faite en fraude de leurs droits (Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 20-22.656, 317 F-D) – Ayant constaté qu’en cédant la nue-propriété de biens immobiliers sur lesquels la banque avait inscrit une hypothèque et la nue-propriété des autres biens dont elle était propriétaire la caution [des engagements d’une société dont elle était gérante] s’était volontairement appauvrie, que la donation-partage rendait plus difficile les poursuites du créancier en modifiant l’assiette de ses garanties par un démembrement de la propriété, qu’en raison de leur caractère restreint les actifs conservés ne lui permettaient pas de procéder au paiement des sommes dues au titre des prêts cautionnés et qu’elle avait connaissance du préjudice ainsi causé à la banque, la cour d’appel a pu en déduire que l’action paulienne devait être accueillie.
SUCCESSIONS
Pas de testament-partage lorsqu’il n’y a aucune volonté d’imposer le partage (Civ. 1re, 13 avr. 2022, n° 20-17.199, 332 FS-B) – Il résulte des articles 1075 et 1079 du code civil que le testament-partage est un acte d’autorité par lequel le testateur entend imposer le partage.
Pour déclarer nuls les testaments de deux époux, une cour d’appel retient que ceux-ci, rédigés de façon similaire et ayant pour objet de répartir entre les héritiers la quasi-totalité de leur patrimoine, lesquels ont ainsi entendu procéder au partage de leurs biens, comprennent des dispositions portant sur les biens communs, ce qui excède la faculté accordée aux ascendants par l’article 1075 du code civil de procéder par anticipation au partage de leur succession, les dispositions de l’article 1423 du même code ne pouvant s’appliquer qu’aux légataires et non aux héritiers. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que les attributions prévues par les testaments présentaient un caractère facultatif pour leurs bénéficiaires (simple faculté de se faire attribuer certains biens), de sorte que ces actes ne pouvaient être qualifiés de testaments-partage, la cour d’appel, qui n’en a pas tiré les conséquences légales, a violé les textes susvisés.
NB – On sait que le testament-partage conjonctif ou cumulatif est interdit et que les époux ne peuvent décider ensemble de répartir la totalité de leurs biens propres et communs entre leurs enfants par voie de testament-partage (par ex. Civ. 1re, 5 déc. 2018 , n° 17-17.493). Encore faut-il qu’il s’agisse réellement d’un testament-partage ; ce qui n’est pas le cas lorsque les testateurs n’imposent pas leur volonté quant au partage (sur la notion de “testament-partage”, v. N. Levillain, AJ fam. ss. Civ. 1re, 5 déc. 2018, n° 17-17.493, AJ fam. 2019. 37).
L’exigence d’enregistrement de tout testament établi à l’étranger ne remet pas en cause l’efficacité probatoire du certificat successoral européen (Civ. 1re, 13 avr. 2022, n° 20-23.530, 333 FS-B) – En l’occurrence, une banque ayant soumis la délivrance des fonds au légataire (titulaire d’une copie du certificat successoral européen établi en Allemagne) à la preuve de l’enregistrement du testament auprès de l’administration fiscale française par application de l’article 1000 du code civil, celui-ci l’a assignée en libération des fonds et en paiement de dommages-intérêts. Sans succès.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu que, conformément au considérant 71 du Règlement UE n° 650/2012 du 4 juillet 2012, le certificat successoral européen avait une efficacité probatoire mais ne constituait pas un titre exécutoire, de sorte que, s’il attestait de la qualité et des droits d’héritier, il n’épuisait pas nécessairement les formalités à mettre en œuvre pour obtenir l’exécution de ces droits. Poursuivant, elle l’approuve, après avoir relevé que le Règlement excluait de son domaine matériel les questions fiscales et administratives (son considérant 10 disposant qu’il appartenait au droit national de déterminer, par exemple, comment étaient calculés et payés les impôts et autres taxes, qu’il s’agît d’impôts dus par la personne décédée au moment de son décès ou de tout autre type d’impôt lié à la succession dont devaient s’acquitter la succession ou les bénéficiaire), d’avoir retenu que les dispositions des articles 1000 du code civil et 655 du code général des impôts prévoyant l’enregistrement des testaments faits en pays étrangers, constituaient une formalité fiscale dès lors que celle-ci relevait de l’administration fiscale et donnait lieu au paiement d’un droit fixe de 125 euros. Si bien que la cour d’appel en exactement déduit que l’exigence d’enregistrement de tout testament établi à l’étranger, qui ne remettait pas en cause l’efficacité probatoire du certificat successoral européen et ne constituait pas une condition d’exécution des testaments prohibée par le Règlement, ne portait pas atteinte au principe d’application directe du règlement ni ne le privait de son effet utile.
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