Sélection jurisprudentielle de la semaine : adoption, assistance éducative, autorité parentale, divorce/liquidation, filiation, fiscalité et successions
Cette semaine, je vous livre plusieurs décisions dans les matières suivantes :
- adoption
- assistance éducative
- autorité parentale
- divorce/liquidation
- filiation
- fiscalité et successions
- Adoption
Atteinte aux droits d’un père dans une affaire concernant l’adoption de son fils en Estonie, alors qu’une procédure en reconnaissance de paternité était pendante en Lettonie (CEDH, 10 oct. 2023, I.V. c/ Estonie, 37031/21) – Selon le communiqué de la Cour, « l’affaire concernait la tentative d’un père de contester l’adoption de son fils biologique par un autre homme en Estonie, alors qu’une procédure en reconnaissance de paternité était pendante en Lettonie.
La Cour souligne que son examen se limite à la question de la responsabilité de l’Estonie malgré la nature transnationale de cette affaire.
Elle juge que les autorités estoniennes ont, dans l’ensemble, manqué à leur obligation de ménager un juste équilibre entre les intérêts du requérant et ceux de son fils, tant dans la procédure ayant autorisé l’adoption que dans la procédure ultérieure par laquelle le père avait demandé l’annulation de cette adoption.
Elle relève, en particulier, qu’au cours de la procédure ayant autorisé l’adoption, les juridictions estoniennes n’ont pas tenu compte de la procédure en reconnaissance de paternité qui était pendante dans le même temps en Lettonie et qu’elles se sont bornées à rejeter pour des motifs purement formels la demande en annulation ultérieurement formée par le père, jugeant qu’il n’avait pas qualité pour agir faute d’avoir été légalement reconnu comme père. »
- Assistance éducative
En matière de jugement d’assistance éducative, sans représentation obligatoire, une déclaration d’appel peut être valablement transmise par le biais du réseau privé virtuel avocat (RPVA) (Civ. 2e, 5 oct. 2023, n° 22-13.863, 985 F-B).
NB – Cette décision sera prochainement commentée par Frédérique Eudier dans les colonnes de l’AJ famille.
- Autorité parentale
Non-maintien du lien père/fils pendant près de six ans et non-éloignement de l’enfant d’un environnement source d’une grave souffrance psychologique : violation de l’article 8 Conv. EDH ( CEDH, 19 oct. 2023, A. S. et M. S. c/ Italie, 48618/22)
Inexécution des décisions de justice fixant le calendrier des rencontres d’un père avec son fils qui les refusaient : non-violation de l’article 8 Conv. EDH (CEDH, 10 oct. 2023, Anagnostakis c/ Grèce, n° 26504/20) – Les obligations positives de l’Etat dans des cas de ce type sont celles de moyens et non de résultat. Compte tenu des efforts déployés par les différentes autorités internes et du comportement contestable du requérant lui-même, la Cour estime que le non-respect du droit de visite du requérant ne peut être imputé à un manque de diligence de la part des autorités compétentes (Comp. CEDH, 7 juill. 2022, Jurišić c/ Croatie (no 2) , n° 8000/21 , § 48).
- Divorce/liquidation
De la nature des actions levées au jour de l’ONC et récompense due à la communauté qui a contribué au financement de l’amélioration d’un bien acquis par l’époux en nue-propriété et qui se retrouve, au jour de la liquidation, en pleine propriété dans son patrimoine (Civ. 1re, 25 oct. 2023, n° 21-23.139, 573 FS-B) – Il résulte des articles 1401, 1404 et 1589 du code civil et de l’article L. 225-183, alinéa 2, du code de commerce que, si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage, à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée avant sa dissolution. Après avoir rappelé cette règle, la cour d’appel a retenu à bon droit que seules les soixante-huit actions levées par l’époux au jour de l’ordonnance de non-conciliation devaient être intégrées à l’actif de la communauté.
Par ailleurs, il résulte de l’article 1469 du code civil, d’une part, que la récompense est égale au profit subsistant quand la valeur empruntée à la communauté a servi à améliorer un bien propre à un époux qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine de celui-ci, d’autre part, que le profit subsistant, qui représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur, se détermine d’après la proportion dans laquelle les fonds empruntés à la communauté ont contribué au financement de l’amélioration de ce bien propre.
Il s’ensuit que, dans le cas où la communauté a contribué au financement de l’amélioration d’un bien qui a été acquis par l’un des époux en nue-propriété qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, en raison du décès de l’usufruitier, en pleine-propriété dans le patrimoine emprunteur, il convient de calculer d’abord la proportion de la contribution du patrimoine créancier à l’amélioration de ce bien, puis d’appliquer cette fraction à la différence entre la valeur du bien en pleine propriété au jour de la liquidation et celle qu’il aurait eue en pleine propriété à la même date sans les améliorations apportées.
Viole l’article 1469 du code civil, alors qu’elle avait constaté que, au jour de la liquidation, le bien dont la communauté avait financé l’amélioration se retrouvait en pleine propriété dans le patrimoine de l’époux, la cour d’appel qui, pour fixer à 198 182 € le montant de la récompense due par l’époux à la communauté au titre du financement, entre 1998 et 2001, des travaux d’amélioration du bien dont il était alors nu-propriétaire en vertu d’une donation consentie par sa mère, , après avoir constaté que la communauté a financé la totalité de ces travaux, retient que cette somme est supérieure à la différence de 180 800 € existant entre la valeur de la nue-propriété du bien et la valeur de la nue-propriété du bien sans les travaux réalisés, de sorte qu’elle prend en compte le profit subsistant, et que le raisonnement selon lequel la récompense doit être chiffrée à 226 000 € ne repose sur aucun fondement juridique, l’époux n’ayant acquis la pleine propriété du bien qu’après les travaux réalisés.
Appréciation du caractère lésionnaire d’un partage en présence d’une créance sur l’indivision détenue par l’un des époux qui a amélioré à ses frais l’état du bien indivis (Com. 25 oct. 2023, n° 21-25.051, 585 F-B) – Pour apprécier le caractère lésionnaire du partage, la créance détenue par l’époux sur l’indivision devait être évaluée selon les modalités prévues à l’article 815-13 du code civil
Il résulte des articles 887, alinéa 2, et 890 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 que, pour apprécier le caractère lésionnaire d’un partage, il convient d’avoir égard à la liquidation et au règlement d’ensemble des droits des copartageants, en reconstituant, à la date de l’acte litigieux, la masse à partager dans tous ses éléments actifs et passifs estimés suivant leur valeur à l’époque du partage.
Selon l’article 815-13, alinéa 1er, du même code, lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage.
Alors que, pour apprécier le caractère lésionnaire du partage, la créance détenue par l’époux sur l’indivision devait être évaluée selon les modalités prévues à l’article 815-13 du code civil, viole ces textes une cour d’appel qui, pour décider que le caractère lésionnaire du partage litigieux doit s’apprécier à l’aune de la créance de l’époux telle que fixée dans l’acte du 28 octobre 2003, soit à un montant de 129 582 €, et constater que l’épouse a été lésée de ses droits de plus d’un quart, retient, par motifs adoptés, que les parties ont mentionné expressément dans l’acte que, s’agissant de la créance de l’époux au titre des travaux de réhabilitation effectués sur l’immeuble indivis, elles s’abstenaient de rechercher si ceux-ci avaient permis d’augmenter la valeur du bien, s’en tenant ainsi à la valeur nominale des dépenses faites.
- Filiation
Le rejet de l’action en contestation de paternité est validé par la CEDH (CEDH, 12 oct. 2023, C.P. et M.N. c/ France, n° 56513/17 et 56515/17) – Dans cette affaire invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Conv. EDH, les requérants se plaignent sans succès du refus des juridictions internes d’examiner l’action du requérant visant à contester la paternité du père légal en vue de faire établir celle du requérant.
Pour la Cour, le requérant n’a pas agi dès la connaissance de sa paternité, alors qu’il disposait d’un délai suffisant de plus de trois ans pour engager une action, et a tardé à mettre dans la cause l’enfant sans justifier avoir pu ignorer l’existence de cette règle constante en droit interne. Elle rappelle que l’intérêt vital des requérants à ce que la vérité biologique soit légalement établie ne les dispense pas de se conformer aux exigences posées par le droit interne et de faire preuve de diligence afin que les juridictions internes puissent procéder à une juste appréciation des intérêts concurrents en présence. Les conclusions des juridictions internes ne sont ni arbitraires ni déraisonnables. Par ailleurs, les décisions judiciaires n’ont pas abouti en pratique à priver le requérant de tout lien avec l’enfant, puisque, à compter du 26 juillet 2013, les juridictions internes ont mis en place progressivement un droit de visite et d’hébergement élargi puis une résidence alternée, lui permettant d’entretenir avec l’enfant un lien soutenu.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les juridictions internes, ont su, dans les circonstances particulières de l’espèce, tout en tenant compte du but légitime poursuivi par le législateur, ménager un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, sans que les règles de computation du délai de cinq ans telles qu’elles ont été appliquées ne portent atteinte à la substance même du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention.
NB – V., dans cette même affaire, Civ. 1re, 1er févr. 2017, n° 15-27.245, AJ fam. 2017. 203, obs. J. Houssier.
- Fiscalité
Assurance vie : droits de mutation et rejet d’un constat de double imposition (Com. 11 oct. 2023, n° 21-12.732, 671 F-D) – Selon l’article 757 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l’assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l’assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 €.
En l’occurrence, le mari était décédé en 1999, en laissant pour lui succéder son épouse et leur fille, la première héritant de l’usufruit de 347 889 obligations d’Etat, la seconde de la nue-propriété des mêmes titres. En 2000, la mère et la fille ont déposé ces obligations d’Etat sur un compte-titres avec mention de leur démembrement. Cinq ans plus tard, le produit de la liquidation de ces titres, arrivés à leur terme, a été placé, à concurrence de 350 000 €, sur un contrat d’assurance vie non démembré intitulé « Espace Invest 3 », souscrit par la mère seule, alors âgée de plus de 70 ans et qui est décédée à son tour en 2011 en laissant pour lui succéder sa fille, laquelle a déposé une déclaration de succession. L’administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification portant sur les droits de mutation par décès, objet du litige.
Pour annuler l’avis de mise en recouvrement, dire que la somme de 350 000 € versée sur le contrat d’assurance vie ne peut être imposée au titre de l’article 757 B du CGI et dire qu’il appartient à l’administration fiscale de recalculer l’impôt éventuellement dû par sa fille au titre de cette succession, une cour d’appel retient qu’en imposant la prime de 350 000 € versée sur ce contrat après l’avoir imposée au titre de la succession du mari de la défunte, l’administration fiscale a pratiqué une double imposition au détriment de la fille.
En statuant ainsi alors que, d’une part, en application de l’article 757 B du code général des impôts, la fille était imposable aux droits de mutation par décès sur la somme de 319 500 €, en sa qualité de bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, dès lors que les fonds sur lesquels la défunte jouissait d’un quasi-usufruit avaient été versés par cette dernière sous forme de primes après ses 70 ans, d’autre part, qu’il n’en découlait aucune double imposition dès lors que, si les obligations d’Etat dont la fille avait hérité de la nue-propriété au décès de son père avaient donné lieu au paiement de droits de mutation, celle-ci, en sa qualité de nue-propriétaire des fonds reçus en remboursement de ces obligations, détenait une créance de restitution de 350 000 € sur la succession de la mère, laquelle créance venant se déduire de l’assiette de la base imposable des droit de mutation par décès, la cour d’appel a violé l’article 757 B du CGI.
NB – Pour aller plus loin : BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20.
Droits de succession : exercice du droit de reprise de l’administration (Com. 11 oct. 2023, n° 21-24.760, 21-24.761, 21-24.762, 21-24.763) – Plusieurs arrêts du 11 oct. 2023 illustrent l’application qui est faite de l’article L. 180 du livre des procédures fiscales dont il résulte (dans sa rédaction issue du décret n° 97-662 du 28 mai 1997) que, pour les droits de succession, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à l’expiration de la troisième année suivant celle de l’enregistrement de la déclaration de succession
NB – Pour aller plus loin, v. BOI-CF-PGR-10-40.
- Succession
Préjudice économique du conjoint survivant : modalités de déduction du préjudice économique des enfants (Civ. 2e, 12 oct. 2023, n° 22-11.031, 1007 F-B) – L’utilisation, pour évaluer le préjudice économique du conjoint survivant, d’une méthode qui tient compte de l’accession future des enfants à l’autonomie financière, impose de déduire de la perte de revenus globale du foyer, capitalisée de façon viagère, le préjudice économique des enfants, avant imputation des capitaux décès leur revenant le cas échéant.
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