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Recentrer le juge sur l’essentiel, où le juge Bean devenu français

11/04/2019

Et voici que la Chancellerie a mis en place un groupe de travail sur la réserve héréditaire.  Peu importe que la digestion des lois de 2001 et 2006 ne soit pas encore finie, que la procédure de partage soit en friche (et mériterait, elle, une vraie réforme), il est apparemment temps de faire souffler de nouveau un vent de réforme sur le droit des successions. Quoi, c’est vrai, vous ne l’aviez pas remarqué ? La réserve c’est quand même un truc de dingue, ça bride les pulsions individuelles…  Jamais le droit de famille n’a été autant visé, tout gouvernement confondus, depuis 15 ans, par l’exécutif, et le mouvement semble s’accélérer. Non pas pour protéger la famille, vous rigolez, ça c’est passéiste. Non pas pour affirmer l’autorité de l’État à travers elle, et puis quoi encore ? Non, tout au contraire, cette prévenance législative est celle d’une armée qui lève le camp, qui laisse le champ libre. Les lois récentes démolissent le groupe, parce que seul compte l’individu. Le droit de la famille devient peu à peu un far-west, avec ses morts et ses nouveaux héros, le juge étatique plie bagage, l’heure est au juge Roy Bean. Il n’y a plus guère de contrôle en droit des majeurs protégés, la réserve est un bastion de l’ancien monde qu’il faut démolir, l’assurance-vie est intouchable, et la filiation devient une œuvre individuelle, un enfant comme je veux quand je veux (laissez tomber le « avec qui je veux », ça, c’est déjà du passé). Sans parler du divorce-TGV qui vient de naître. A quand la réforme du fond du divorce ? Sans doute pour bientôt… On devine aisément ce qu’elle sera : suppression de la PC (ou barémisation), règlement du dossier par des tiers, des médiateurs, des coachs, des gourous, peu importe. Tant que le juge n’a plus à s’en occuper… On voit déjà des boutiquiers intriguer pour favoriser l’éclosion de l’arbitrage familial (et tant pis si l’affaire Tapie montre tous les défauts de l’arbitrage, sans parler du risque bien réel d’une communautarisation des séparations). C’est l’avenir vous dis-je ! Le temps où l’on faisait dans la dentelle juridique est fini. D’ailleurs, celui qui voudra faire du droit civil devra être rééduqué, reformaté, et s’il persiste, on le moquera comme un vieux fou. Adieu Jean Carbonnier, votre conviction que le droit civil cimente une société appartient désormais au passé. Le droit n’est plus flexible, il est devenu acide : c’est le dissolvant collectif du 21e siècle, matériau de déconstruction permanente… Vous comprenez, en 2019, il faut « recentrer le juge sur ses missions essentielles », et le droit de famille ne figure plus parmi elles. Oui, le droit de la famille n’est plus une priorité sociale. C’est un frein, un truc de réacs. La filiation et la parenté seront contractuelles et individuelles, et les successions doivent le devenir aussi. Les vieux pourront faire ce qu’ils veulent. Leur volonté primera tout. Vive l’individu, haro sur le groupe. Les droits fondamentaux sont individualistes par nature, et ce sont eux les héros d’aujourd’hui. Le groupe n’a plus de raison d’être. Tant pis pour les femmes larguées et déclassées à la sortie d’un mariage, tant pis pour les enfants squeezés par leur beau-parent, tant pis pour ceux qui ne peuvent s’offrir un arbitrage chic. Pas de pitié pour les faibles, malheur aux idiots, le droit regarde ailleurs. L’État le veut. Et tant pis si tout ça se reporte sur le droit pénal. On traitera des violences conjugales, des sévices sur les personnes âgées, des atteintes aux enfants. Ben oui, on n’est pas des monstres quand même… Mais on créera les conditions d’une dislocation des liens civils du groupe familial. Le mariage ne protège plus les femmes. Le juge ne veille plus sur les vieux. Et l’enfant, dont l’intérêt est si supérieur, n’est qu’une bille de flipper, objet de toutes les convoitises. Rééduquons les esprits : le juge n’a que faire des jérémiades familiales. La famille n’est rien à côté des droits fondamentaux de l’individu tout puissant. Et des contraintes budgétaires. Allez. Dehors, du balai, débrouillez-vous, on a mieux à faire. Comme créer une Chambre internationale à la cour d’appel de Paris, pour les arbitrages internationaux. Ça c’est moderne. Ou des pôles financiers inter-régionaux. Mais les couloirs du JAF suintant la misère humaine, c’est has-been. La Cour des miracles, ça va bien. Réglez ça sur le pré, à coup de ceinture, ou devant des arbitres grassement payés, on s’en fiche, tant que ce n’est pas devant un juge. Les successions ?! Un truc de pervers civilistes… réunion fictive, réduction, rapports, imputations, personne n’y comprend rien. C’est trop complexe. Faut simplifier, fluidifier, rendre plus agile… voilà les mots à utiliser. Alors, démolissons. Rendons agile. Par suppression, par indifférence. Tant pis si l’affaire Johnny montre l’attachement des français à la réserve… le peuple a tort. Trop de droit civil tue le droit civil. Non, en fait, trop de droit de la famille entrave l’individu en famille, et, accessoirement ça noie le juge, qui a mieux à faire. Il faut libéraliser, faire circuler les richesses. Vous ne voyez pas comme c’est affreux tous ces vieux qui concentrent entre leurs mains le patrimoine d’une vie ? Quoi, vous doutez ?! Égoïste que vous êtes, venez par-là que l’on vous rééduque aussi… Comment on déconstruit le droit civil ? C’est facile : une commission, dans laquelle vous mettez quelques statistiques, un ou deux sociologues en vue, un économiste, et le tour est joué. On mettra aussi des juristes aussi, bien sûr. Pour faire joli. Mais soyez gentils, ne dérangez plus le juge et surtout conformez-vous à ce qui vous est demandé. Rappelez-vous bien : il est interdit de faire du droit civil.

C’est beau la modernité, non ?! Je propose d’être plus radical : pour décharger le juge, supprimons le droit de la famille et celui des successions. On remplacera toutes ces vieilleries avec les droits fondamentaux, la CEDH, la CIDE, et bien sûr le contrat (qui a dit contractuel dit juste, hein ? Tout le monde sait ça…), le tout sous le contrôle des MARD et demain d’arbitres peu ou pas contrôlés par l’Etat. Ça c’est moderne. Ca c’est très Juge Bean. Plus radical encore, même Roy Bean n’y a pas pensé : chaque partie à un désaccord se tient de part et d’autre d’une table, un Colt 45 étant posé au milieu. Le plus rapide a gagné. Ah non, pardon, cela ne marche pas… ça heurte les droits fondamentaux…  Bon alors je cède, je renonce à mes droits. J’ai pas les moyens de payer une médiation, une procédure participative, un arbitrage, un coach à domicile, un raton-laveur… Tant pis, j’abandonne tout. Le plus fort a gagné. Mais c’est bien, le juge est recentré sur l’essentiel. Me demandez pas ce que c’est, je n’en sais rien. En tout cas, ce n’est pas ma famille…

Jérôme CASEY

Avocat au Barreau de paris

Maître de Conférences à l’Université de Bordeaux

 

 

 

 

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