IVG : un projet de loi inadapté contre des entraves réelles.
« Garantir l’accès à l’IVG est la priorité absolue » dit Laurence Rossignol.
A lire le texte de la proposition de loi sur l’entrave numérique à l’IVG, il est clair en effet que cette considération d’une « priorité absolue » a prévalu sur toute autre.
Quand un ou une juriste voit apparaître le mot « absolue », il commence à s’inquiéter. Dans le droit il n’y a jamais d’ « absolu ». Qui reconnaîtrait « le droit absolu » d’une ambulance du SAMU de foncer à 200 km à l’heure en pleine ville ? …
Les entraves à l’IVG par des procédés manipulatoires au moyen du Web sont réelles, mais la proposition de loi présentée au parlement, telle qu’elle est rédigée, n’est pas adaptée, et bafoue dangereusement nos principes juridiques.
De quels sites parlent la Ministre concrètement ? « IVG.net », « EcouteIVG.net », « Afterbaiz » …
Les deux premiers ont utilisé la possibilité de réserver des noms de domaine en fonction uniquement de la date de la demande : le premier demandeur détiendra le nom quelque puisse être sa légitimité par ailleurs. Il apparaitra dès lors comme « le plus légitime » pour traiter du sujet. Les entreprises en ont pâti au début du développement de la toile, elles ont du « racheter » leur nom, réservé par des investisseurs malins.
Ces deux sites affichent aussi des « numéros verts ». Ils peuvent dès lors apparaître comme des « sites officiels » d’information.
La Ministre critique le fait que ces sites ne se présentent pas comme opposés à l’avortement et ne donnent pas d’informations pratiques sur « le parcours d’IVG », en particulier les adresses pour réaliser ces opérations. Elle parle d’écoutants harcelant les femmes qui les ont appelés, par des messages vocaux ou des textos.
Ces actions sont plus proches des délits d’utilisation de fausse qualité ou de harcèlement téléphonique que d’escroquerie par tromperie.
Certes il ne s’agit pas d’entraves par un fait initial d’incursion, par un démarchage, puisque les associations anti-IVG ne peuvent pas connaître les femmes s’interrogeant sur un éventuel IVG, mais il s’agit bien de pressions et de procédés permettant de faire perdre un temps précieux à des femmes cherchant des adresses d’établissement pratiquant l’IVG.
La réponse juridique adéquate consisterait à imposer à ces sites des mentions claires indiquant :
– qu’ils ne sont pas rédigés par le gouvernement,
– qu’ils visent à dissuader les femmes d’avorter,
– qu’ils ne fournissent pas d’adresses d’établissemenst ou de soignants pratiquant des IVG.La proposition de loi soutenue par le gouvernement va plus loin, et à mon avis, bien trop loin.
Il s’agit de sanctionner les informations faussées ou de nature à induire en erreur dans le but de dissuader de l’avortement :
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 2223-2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«– soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. »
En matière d’IVG, chaque camp accuse l’autre de délivrer des informations faussées et tronquées pour mettre les femmes psychologiquement dans un « entonnoir » les menant inexorablement à prendre la décision selon les uns d’avorter selon les autres de ne pas avorter.
A mon avis, ces accusations mutuelles sont aussi fondées l’une que l’autre.
On pourrait légitimement accuser les sites du gouvernement ou du Planning familial de délivrer « des informations faussées dans le but d’assurer la priorité absolue de l’accès à l’avortement ».
Les anti-IVG ne parlent pas des femmes qui disent « j’ai avorté et je vais bien », mais les pro-droit à l’avortement estiment que ce n’est finalement jamais le moment de parler de la réalité physique de l’avortement ou des questionnements philosophiques qu’il soulève …
Les anti-IVG imposent la vue de chaussons de bébé, les pro-droit à l’avortement sont en train de proposer une loi qui permettrait de poursuivre des femmes témoignant sur internet de leur souffrance d’avoir avorté.
Les deux camps mentent par omission, les deux estiment légitime de mettre les femmes sous tutelle intellectuelle et émotionnelle.
La priorité ne devrait-elle pas être de donner aux femmes tous les éléments de réflexion, absolument tous, qui permettent de véritablement choisir sans risquer de regret ?
La priorité ne devrait-elle pas être – je n’ose pas parler d’une priorité plus ambitieuse de restauration de la gynécologie médicale … – au moins d’utiliser efficacement l’internet pour faciliter la prise de rendez vous avec les médecins volontaires pour des IVG, comme le proposent des sites tels que » Mondocteur.fr » ?
La priorité ne devrait-elle pas être aussi de respecter nos grands principes juridiques, dont le principe de légalité et le principe d’égalité, que cette proposition bafoue allègrement ?
Comment admettre une incrimination pénale aussi vague et incertaine que le fait de donner une information non pas fausse, mais « faussée » ? … Comment admettre une nouvelle inégalité entre l’expression des opinions, alors même que les deux points de vue invoquent la défense du droit à la vie, à l’intégrité physique et l’inquiétude pour le bien-être psychologique des femmes ?
Si cette loi est votée, comment s’opposera-t-on à des propositions d’incrimination de l’ « information faussée ou de nature à induire en erreur dans le but de dissuader du recours à la prostitution ou à la GPA librement consenties ? » …
Le gouvernement devrait établir un projet plus adapté au problème qu’il soulève légitimement.
Elisseievna
Militante féministe universaliste
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