Sélection jurisprudentielle de la semaine : divorce, filiation, indivision, libéralités, majeurs protégés
Quelques décisions à relever cette semaine :
- divorce
- filiation
- indivision
- libéralités
- majeurs protégés
- Divorce
Ne peut être présumé commun le contrat d’assurance sur la vie souscrit postérieurement à la dissolution de la communauté avec des fonds placés antérieurement sur un PEL (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 22-15.411, 115 F-D) – Il résulte de la combinaison des articles 1441, 3°, et 1401 du code civil que la composition de la communauté s’apprécie à la date à laquelle le jugement de divorce prend effet dans les rapports patrimoniaux entre époux. Selon l’article 1401 du code civil, la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage.
Viole les articles article 262-1 du code civil (dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004) et les articles 1441, 3°, et 1401 du code civil une cour d’appel qui, pour dire que le contrat d’assurance sur la vie souscrit par l’épouse est présumé commun, retient que, si celui-ci a été conclu postérieurement à la date des effets du divorce fixée par le juge aux affaires familiales, les fonds placés sur le plan d’épargne-logement (PEL) ayant permis de l’alimenter sont présumés communs, le PEL ayant lui-même été alimenté du temps de la vie commune, alors que, si les fonds placés sur le PEL au jour de la dissolution de la communauté entraient dans la composition de celle-ci, de sorte que leur utilisation ultérieure par l’un des époux était de nature à donner lieu à rapport au profit de l’indivision, le contrat d’assurance sur la vie souscrit au moyen de ces fonds l’avait été postérieurement à cette date.
- Filiation
Exigence de la preuve de la cohabitation pour la reconnaissance de la paternité en dépit de l’utilisation généralisée de tests ADN fiables : l’Ukraine a violé l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH, 14 mars 2024, Moldovan c/ Ukraine, n° 62020/14)
- Indivision
Pas de licitation pour des biens indivis non commodément partageables en nature (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 22-13.883, 113 F-D) – Il résulte de l’article 1377, alinéa 1er, du code de procédure civile que la licitation des immeubles indivis ne doit être ordonnée que s’ils ne peuvent être facilement partagés en nature.
Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d’appel qui, pour ordonner la licitation de plusieurs biens immeubles relevant de la succession de la défunte, retient que les parties ne sont pas tenues de rester en indivision et que la mésentente entre les héritiers rend impossible toute tentative de partage amiable, alors qu’elle aurait dû rechercher si les biens indivis étaient ou non commodément partageables en nature.
NB – V. Civ. 1re, 15 sept. 2021, n° 19-24.014. – Comp. Civ. 1re, 2 déc. 20215, n° 15-10.978, AJ fam. 2016. 55, obs. J. Casey.
Impossibilité d’annuler un bail et d’ordonner l’expulsion des locataires au motif que le bail n’a été consenti que par un seul des indivisaires (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 22-11.129, 108 F-D) – Selon l’article 815-3, 4°, du code civil, le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité, conclure ou renouveler des baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal. Il résulte de l’article 883 du même code que le bail d’un bien indivis à usage d’habitation, consenti par un indivisaire titulaire de moins des deux tiers des droits indivis n’est pas nul. Il est seulement inopposable aux autres indivisaires et son efficacité est subordonnée au résultat du partage.
Viole ces textes une cour d’appel qui, pour déclarer nul le bail signé entre un couple de locataire et le propriétaire indivis, retient que l’épouse de ce dernier, titulaire de la moitié des droits indivis sur la maison d’habitation donnée à bail, n’a pas consenti à la conclusion de cette convention ni ne l’a ultérieurement ratifiée.
- Libéralités
Validité du legs portant sur un bien indivis (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 22-13.766, 111 F-D) – Selon l’article 1021 du code civil, le legs de la chose d’autrui est nul.
Viole ce texte alors que la chose indivise n’est pas la chose d’autrui la cour d’appel qui, pour prononcer la nullité du testament olographe :
- énonce que les dispositions de l’article 1021 du code civil permettent d’inclure dans un testament les biens dont on a la propriété et la libre disposition et non ceux dépendant de la communauté dissoute, mais non encore partagée, ayant existé entre le testateur et son conjoint prédécédé ;
- relève que les biens immobiliers objets du legs litigieux avaient été acquis par le défunt et son épouse, décédée quelques mois plus tôt, qu’ils dépendaient donc de la communauté de biens ayant existé entre le testateur et son épouse et que les opérations de liquidation de la communauté et de la succession de cette dernière n’étaient pas réglées avant l’établissement du testament litigieux ;
- en déduit que le défunt n’avait pas le pouvoir de disposer seul de ces biens, qu’il détenait en indivision avec ses enfants, déjà saisis comme héritiers de leur mère prédécédée.
NB – V. not. Civ. 1re, 2 juin 1987, n° 85-16.269.
Une donation indirecte suppose la caractérisation d’une intention libérale (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 22-14.745, 114 F-D) – Il résulte de l’article 843, alinéa 1er, du code civil que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession.
Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d’appel qui, pour dire que l’épouse doit rapporter à la succession du défunt la somme de 20 000 € au titre des libéralités dont elle a bénéficié, retient qu’elle a prêté une somme de 50 000 € dont une partie a été remise au bénéficiaire au moyen de deux chèques établis directement par le défunt, alors qu’elle aurait dû caractériser l’intention libérale du défunt à l’égard de son épouse.
Donation et pacte de préférence : la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence dans les droits des tiers ou l’annulation de la vente faite en méconnaissance de ses droits suppose d’établir la connaissance de ces derniers de l’existence du pacte (Civ. 3e, 7 mars 2023, n° 22-10.639, 143 F-D) – En l’occurrence, un couple avait, d’une part, fait donation par préciput et hors part à leur fils de la nue-propriété d’un manoir et de ses dépendances, d’autre part, donation-partage de la nue-propriété de divers immeubles à l’ensemble de leurs enfants. L’acte contenait une clause intitulée « priorité en cas de vente », stipulant que, « en cas de vente par l’un ou l’autre des donataires d’un des biens ou de la totalité des biens compris en son lot, la priorité pour acquérir appartiendra aux autres donataires, parties en la présente donation partage. Ce droit de préférence existera au bénéfice des donataires aux présentes tant que l’un des donataires sera vivant ». Or le fils s’est engagé à vendre à un couple le manoir et ses dépendances et à lui donner un bail emphytéotique d’une durée de quatre-vingt-dix ans sur une parcelle contenant un colombier et procurant une vue sur mer, ainsi qu’un bail de droit commun d’une durée de onze ans et dix mois sur d’autres parcelles, objets de la donation-partage. Promesses réitérées par acte authentique reçu le 6 juillet 2018. Le même jour, les acquéreurs avaient consenti au frère un prêt remboursable le 5 juillet 2048, faisant l’objet d’une affectation hypothécaire assortie d’un sursis à prendre inscription et d’un pacte commissoire sur les parcelles données à bail, permettant leur attribution en justice au preneur en cas de défaut de paiement des intérêts du prêt. Estimant que la promesse de vente du manoir par son frère avait été faite en méconnaissance de son droit de préférence, et que les baux et prêt constituaient une vente déguisée d’autres parcelles soumises à ce droit, la sœur a assigné son frère, le notaire et le couple aux fins de se voir substituer à celui-ci dans les actes conclus le 6 juillet 2018 et, subsidiairement, en annulation desdits actes
Or, ayant énoncé que la bénéficiaire du pacte de préférence n’était en droit d’exiger sa substitution dans les droits des tiers, ou l’annulation de la vente consentie à des tiers en méconnaissance de ses droits que si elle établissait la connaissance, par ces derniers, de l’existence du pacte et souverainement retenu que la preuve de cette connaissance n’était pas rapportée, la cour d’appel a justement déduit de ces seuls motifs que les demandes de la sœur devaient être rejetées.
NB – V. Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376.
- Majeurs protégés
Définitivement annulée par un précédent arrêt une ordonnance déclarant régulière la mise en œuvre d’un mandat de protection ne peut être confirmée par une juridiction de renvoi (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 22-12.911, 117 F D) – Selon l’article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ; elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire. Il résulte de l’article 480 du code de procédure civile et de l’article 1355 du code civil que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif.
Viole ces textes une cour d’appel qui confirme l’ordonnance rendue par le juge des tutelles du tribunal d’instance de Bayonne ayant déclaré que le mandat de protection pour cause d’inaptitude a été régulièrement mis en œuvre, alors que cette ordonnance avait été annulée par une disposition d’un précédent arrêt, non atteinte par la cassation partielle prononcée le 27 janvier 2021, lui conférant alors un caractère définitif.
NB – La cassation ne portait que sur la disposition ayant dit que la procuration établie par la majeure protégée n’aurait pas dû recevoir le visa du greffier du tribunal d’instance de Bayonne en vertu de l’article 1258-3 du code de procédure civile (Civ. 1re, 27 janv. 2021, n° 19-15.059).
Irrecevabilité de l’appel formé par le fils contre la décision ayant placé sa mère en curatelle si la mesure ne modifie pas ses droits et obligations (Civ. 1re, 6 mars 2024, n° 21-25.602, 109 F-D) – Aux termes de l’article 1230 du code de procédure civile, toute décision du juge est notifiée, à la diligence du greffe, au requérant, à la personne chargée de la protection ou à l’administrateur légal et à tous ceux dont elle modifie les droits ou les obligations résultant de la mesure de protection. Selon l’article 1239 du même code, les personnes énumérées à l’article 430 du code civil, même si elles ne sont pas intervenues à l’instance, peuvent former appel des décisions du juge dans un délai de quinze jours. Selon l’article 1241 du code de procédure civile, le délai d’appel contre les ordonnances rendues par le juge des tutelles court, à l’égard des personnes à qui l’ordonnance doit être notifiée, à compter de cette notification et, à l’égard des autres personnes, à compter de l’ordonnance.
Prive sa décision de base légale la cour d’appel qui, pour déclarer l’appel du fils de la majeure protégée recevable, retient que la décision déférée, qui modifie ses droits et obligations, ne lui a pas été notifiée, de sorte que le délai d’appel qui lui est ouvert n’a pas commencé à courir, alors qu’elle aurait dû préciser en quoi la mesure de protection modifiait ses droits ou ses obligations.
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