Sélection jurisprudentielle de la semaine : aide sociale/succession, autorité parentale, droit pénal de la famille, filiation et état civil
Voici ma sélection jurisprudentielle de la semaine avant mon départ en vacances. Le forum marquera donc une pause pendant plusieurs semaines. Je souhaite à chacun un très bel été !
- AIDE SOCIALE/SUCCESSION
Le versement de l’aide sociale à l’hébergement des personnes âgées directement à l’hôpital ne s’oppose pas à sa récupération ultérieure sur succession (Civ. 2e, 7 juill. 2022, n° 21-13.527, 806 F-B) – Il résulte des articles L. 121-3 et L. 121-4 du code de l’action sociale et des familles que le conseil départemental adopte un règlement départemental d’aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d’aide sociale relevant du département, qu’il peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l’article L. 121-1 et que, dans ce cas, le département assure la charge financière de ces décisions.
L’article L. 121-4 n’interdit pas au conseil départemental d’organiser dans le règlement départemental d’aide sociale des modalités particulières de versement de l’aide sociale destinées à en assurer l’effectivité telles que son versement direct à l’établissement d’accueil de la personne âgée.
Fait une exacte application de ces dispositions et des articles L. 132-3 à L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, la cour d’appel qui, constatant que conformément aux dispositions du règlement départemental d’aide sociale applicable en la cause, le département a versé à l’établissement d’accueil la totalité des frais de séjour de la bénéficiaire d’une aide sociale partielle, sans déduction de la participation mise à sa charge, décide que le département, ayant agi dans l’intérêt exclusif et pour le compte de la bénéficiaire, dans l’incapacité de s’acquitter elle-même de sa contribution volontaire, est en droit d’en réclamer le remboursement à sa succession, conformément au droit commun des obligations, en même temps qu’il exerce, en application de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, l’action en récupération de l’aide sociale accordée.
- AUTORITÉ PARENTALE
Impossibilité persistante pour un père d’avoir des contacts avec son fils : pas de violation de l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH, 7 juill. 2022, Jurišić c/ Croatie (n° 2), n° 8000/21) – Dans un précédent arrêt rendu le 16 janvier 2020 (Jurišić c/ Croatie, n° 29419/17), la Cour européenne avait conclu que le requérant n’avait pu avoir aucun contact réel avec son fils pratiquement depuis la naissance de celui-ci, notamment parce que des décisions judiciaires en sa faveur avaient été inexécutées. Depuis cette décision de 2020, les tribunaux croates ont rendu de nouvelles décisions visant à rétablir progressivement le contact entre le requérant et son fils, alors que la mère a été reconnue coupable d’entrave. Dans cette seconde requête introduite devant la Cour européenne, le requérant se plaint, sur le terrain de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne, d’une impossibilité persistante pour lui d’avoir des contacts avec son fils. Mais cette fois, il n’obtient pas gain de cause du fait de son propre comportement discutable davantage motivé par l’idée de faire valoir ses propres droits que par le meilleur intérêt de l’enfant (comp. Gobec c/ Slovénie, n° 7233/04, § 152, 3 oct. 2013). Les obligations positives de l’État dans des affaires de ce type sont des obligations de moyens et non de résultat.
- DROIT PÉNAL DE LA FAMILLE
Violences conjugales : la passivité des autorités judiciaires condamnables (CEDH, 7 juill. 2022, S. c/ Italie, n° 32715/19) – La Cour est d’avis que, dans le traitement judiciaire du contentieux des violences contre les femmes, il incombe aux instances nationales de tenir compte de la situation de précarité et de vulnérabilité particulière, morale, physique et/ou matérielle, de la victime et d’apprécier la situation en conséquence, dans les plus brefs délais. La Cour n’est pas convaincue que, dans le cas d’espèce, les autorités aient montré une volonté réelle de faire en sorte que le mari fût amené à rendre des comptes. Au contraire, la Cour estime que, après les interventions de la police et des procureurs qui ont fait preuve de la diligence particulière requise, les juridictions nationales ont agi au mépris de leur obligation d’assurer que le mari, inculpé de lésions, mauvais traitements, menaces et harcèlement, fût jugé rapidement et ne pût dès lors bénéficier de la prescription. Dès lors, les autorités italiennes ne peuvent passer pour avoir agi avec une promptitude suffisante et avec une diligence raisonnable. Le résultat de cette défaillance est que l’époux a joui d’une impunité presque totale.
- FILIATION/ÉTAT CIVIL
Le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution l’exclusion des hommes transgenres de la PMA (Cons. const., 8 juill. 2022, n° 2022-1003 QPC) – Selon le communiqué du Conseil constitutionnel, “le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 mai 2022 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Ces dispositions ouvrent l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples formés d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ainsi qu’aux femmes non mariées. Elles privent ainsi de cet accès les hommes seuls ou en couple avec un homme. Dès lors, les personnes, nées femmes à l’état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles, en sont exclues.
Les critiques formulées contre ces dispositions – L’association requérante reprochait notamment à ces dispositions de priver de l’accès à l’assistance médicale à la procréation les hommes seuls ou en couple avec un homme, alors même que ceux d’entre eux qui, nés femmes à l’état civil, ont changé la mention de leur sexe, peuvent être en capacité de mener une grossesse. Selon cette association, elles instituaient, ce faisant, une différence de traitement injustifiée entre les personnes disposant de capacités gestationnelles selon la mention de leur sexe à l’état civil et étaient ainsi contraires aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité entre les hommes et les femmes.
Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC – Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. L’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
À cette aune, le Conseil constitutionnel relève qu’il ressort des travaux préparatoires des dispositions contestées que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre l’égal accès des femmes à l’assistance médicale à la procréation, sans distinction liée à leur statut matrimonial ou à leur orientation sexuelle. Ce faisant, le législateur a estimé, dans l’exercice de sa compétence, que la différence de situation entre les hommes et les femmes, au regard des règles de l’état civil, pouvait justifier une différence de traitement, en rapport avec l’objet de la loi, quant aux conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, d’une telle différence de situation.
Par ces motifs notamment, le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution les dispositions contestées.”
NB – Cette décision sera commentée dans les colonnes de l’AJ famille par Marie Mesnil et Sophie Paricard.
La transcription de l’acte de naissance au registre de l’état civil national ne saurait conditionner la délivrance d’une carte d’identité ou d’un passeport à un enfant mineur né de parents de même sexe (CJUE, 24 juin 2022, n° aff. C-2/21, Rzecznik Praw Obywatelskich) – Les articles 20 et 21 TFUE, lus en combinaison avec les articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’avec l’article 4, § 3, de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 (relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres) doivent être interprétés en ce sens que, s’agissant d’un enfant mineur, citoyen de l’Union dont l’acte de naissance délivré par les autorités d’un État membre désigne comme ses parents deux personnes de même sexe, l’État membre dont cet enfant est ressortissant est obligé, d’une part, de lui délivrer une carte d’identité ou un passeport, sans requérir la transcription préalable d’un acte de naissance dudit enfant au registre de l’état civil national, ainsi que, d’autre part, de reconnaître, à l’instar de tout autre État membre, le document émanant d’un autre État membre permettant au même enfant d’exercer sans entrave, avec chacune de ces deux personnes, son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
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