Accueil > Non classé > Le « fameux article 9 bis » de la proposition de loi sur l’adoption, une mine de discriminations

Le « fameux article 9 bis » de la proposition de loi sur l’adoption, une mine de discriminations

25/11/2021

Réforme de l'adoption_Forum familleLa proposition de loi « Limon » (n° 3161), déposée le 30 juin 2020, suit une trajectoire décidément bien chaotique. Le 3 novembre 2020, le Gouvernement, sans crier gare, l’a soumise à la procédure accélérée. Elle a effectivement été votée au pas de charge par l’Assemblée nationale dans la nuit du 4 au 5 décembre 2020 (« Petite loi », AN  n° 525, Sénat n° 188, sur laquelle voir P. Salvage-Gerest et autres, « Une petite loi indigne » , brève du 17 déc. 2020). Après sa mise en sommeil pendant de longs mois, c’est, si l’on en croit la presse, sur demande insistante du groupe LREM de l’Assemblée nationale qu’elle a été remise sur orbite (v. J.-B. Daoulas, PMA – GPA : nouvelle poussée de fièvre à LREM, Libération, 2 juin 2021) : ce groupe souhaitait voir entrer rapidement en vigueur son article 9 bis, vu par lui comme l’aboutissement de la loi relative  à la bioéthique  encore en cours d’examen.  Il concerne en effet l’établissement de la filiation, à l’égard de leur mère dite « d’intention », d’enfants déjà nés d’une PMA pratiquée à l’étranger au sein d’un couple féminin. Le Sénat, le 20 octobre 2021 (texte n° 11) a réduit la proposition à sa plus simple expression en n’en gardant presque que l’ouverture de l’adoption aux partenaires de PACS et concubins. La commission mixte paritaire (CMP) prévue par l’article 45 de la Constitution en cas de désaccord entre les deux Chambres, réunie le 4 novembre 2021, a échoué, très largement en raison de l’opposition irréductible du Sénat à ce que les rapporteures ont l’une et l’autre appelé le « fameux article 9 bis » (M. Limon et M. Jourda, Rapport AN n° 4651, Sénat n° 133).

L’ensemble de la proposition devant être à nouveau examiné par les deux Chambres avant une éventuelle lecture définitive par l’Assemblée nationale, il est temps de s’interroger sur la pertinence de ce texte du point de vue juridique. Certes, en l’état, il a été supprimé par le Sénat, mais l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot, pourrait bien vouloir l’imposer. 

Cet article 9 bis ne figurait pas dans la proposition initiale. Il a été ajouté par la commission des lois de l’Assemblée nationale sur amendement du groupe LREM. Il est ainsi rédigé :

 « Lorsqu’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la présente loi est issu d’une procréation médicalement assistée réalisée à l’étranger dans les conditions prévues par la loi étrangère et dans le cadre d’un projet parental commun de deux femmes mais que la mère désignée dans l’acte de naissance [la mère biologique] de l’enfant s’oppose sans motif légitime à l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’autre femme, celle-ci peut, dans le délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, demander l’adoption de l’enfant. L’absence de lien conjugal et la condition de durée de recueil prévue au premier alinéa de l’article 345 du code civil ne peuvent être opposées à cette demande. Le tribunal prononce l’adoption si celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant.  L’adoption entraine les mêmes effets, droits et obligations qu’en matière d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin. »

Quoi qu’on en ait dit, cet article ne pouvait pas être inclus dans la loi relative à la bioéthique (L. n° 2021-1017, 2 août 2021. – v. dossier AJ famille oct. et nov. 2021) dès lors qu’il est indissociablement lié à l’ouverture … en attente,  de l’adoption aux partenaires de PACS et aux concubins. Mais il s’intègre particulièrement mal à un dispositif ayant pour objectif la protection de « tout enfant privé de son milieu familial ou ne pouvant y rester » (exposé des motifs de la proposition). Il ne s’agit cependant « que » d’une disposition temporaire applicable aux seules femmes déjà mères d’intention et déjà séparées de la mère biologique de l’enfant, ce qui pourrait à la rigueur excuser ce probable « cavalier législatif ». En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi précitée, les femmes en couple peuvent donner corps à leur projet commun de PMA et anticiper leur possible séparation en faisant une reconnaissance conjointe de l’enfant avant même sa conception, sous la forme d’un consentement à la PMA recueilli par acte notarié (C. civ., art. 342-10 et 342-11) : l’avenir dira ce qu’il faut comprendre lorsque, dans une même loi, un article accorde « droit de cité » à la maternité d’intention (art. 6 introduisant les articles 342-10 et 342-11 dans le code civil) alors que le suivant (art. 7) rappelle implicitement que, en droit français, la maternité se définit par l’accouchement (C. civ., art.  47 nouveau).

Selon Mme la députée DUBOST, ce sont deux cents femmes privées de l’enfant qu’elles voulaient faire leur, ou plutôt deux cents enfants privés de leur seconde mère, qui seraient concernés. Comme cela lui a été opposé, ce chiffre est invérifiable (CMP, rapp. préc.). Mais s’il est exact, il est inquiétant, car il tend à montrer que bien des projets communs de PMA au sein de couples de femmes sont fragiles. Ce n’est donc pas une justification recevable. Ne l’est pas non plus le fait que, « si la mère qui a accouché disparaît,  l’enfant se retrouve dépourvu de toute filiation, alors qu’il a une maman en France », ce qui est « horrible ! » (ibidem). Le risque accru d’être orphelin est le lot de tous les enfants qui n’ont juridiquement qu’un parent même si l’autre est connu, et ils sont légion. La loi ne les oublie pas en prévoyant pour eux le régime de la tutelle. Dans cette éventualité, la mère d’intention pourra demander à être nommée tutrice de l’enfant, sachant que les conseils de famille n’ont pas l’obligation absolue de respecter la volonté des parents défunts sur le choix du tuteur (C. civ., art. 403). Elle pourra aussi  demander à l’adopter.

Mme la députée GALLIARD-MINIER a fait remarquer (CMP, rapp. préc.), que l’article 348-6 du code civil, qui permet au tribunal de passer outre au refus de consentement parental, n’est applicable que si le parent biologique « s’est désintéressé de l’enfant au point d’en compromettre la santé ou à la moralité ».  Un glissement de cette dispense, à portée générale, fondée sur une insuffisance grave du ou des parents biologiques, vers une dispense de consentement parental fondée sur une simple « absence de motif légitime » – notion au demeurant bien difficile à cerner – réservée aux seules  mères d’intention, ne peut être vu que comme discriminatoire

La proposition de loi ne contenant aucune autre disposition de droit transitoire que l’article 9 bis, est tout aussi discriminatoire le fait d’autoriser l’adoption de l’enfant de l’ex-épouse, ex-partenaire de PACS ou ex-concubine en lui donnant les effets de l’adoption de l’enfant du conjoint ou assimilé dans le seul cas de PMA. Cette autorisation, si elle doit être donnée, devrait bénéficier à tous les ex-époux qui n’ont pas pu adopter l’enfant au temps de leur union parce que le parent biologique n’y a pas consenti, et surtout à tous les ex-partenaires de PACS et ex-concubins qui, depuis des années, revendiquent sans succès la possibilité juridique d’adopter l’enfant de l’autre membre du couple qui y consent. Elle doit aussi bénéficier aux enfants  nés d’un projet commun de GPA puisque, selon la Cour de cassation, le recours à cette pratique à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, [par l’époux ou l’épouse du père], de l’enfant né de cette procréation (Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16- 16.455 pour l’époux, n° 15-28.597 pour l’épouse).

Est aussi irrecevable la restriction du bénéfice de l’action aux cas où la PMA aura été effectuée « dans les conditions prévues par la loi étrangère ». Si c’est l’intérêt de l’enfant qui doit être pris en considération, ni les conditions posées par la loi étrangère – qui peuvent être discutables au regard de notre ordre public – ni leur non respect ne peuvent être motif à refus de l’adoption. Certes, la jurisprudence de la Cour de cassation qui autorisait la transcription directe des actes de naissance des enfants nés à l’étranger d’une PMA ou d’une GPA (pour un cas de PMA, v. Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-14.751 et 18-50.007) à laquelle la loi relative à la bioéthique a entendu mettre fin en réformant l’article 47 du code civil, conditionnait cette transcription à la régularité de l’acte étranger, mais elle n’interdisait pas pour autant l’adoption en cas de refus de transcription : faire produire directement effet à un acte de naissance rédigé ailleurs et créer une filiation ici sous le contrôle du juge, ce n’est pas la même chose.

On peut aussi s’interroger sur la limite de temps de trois ans après l’entrée en vigueur de la loi  pour que la demande soit recevable. L’article 9 bis sera applicable aux mères d’intention actuellement séparées ou qui le seront avant la date butoir prévue. En revanche, celles qui se sépareront plus tard, qui n’auront pas pu adopter l’enfant pendant l’union parce que la mère biologique s’y opposait sans avoir à justifier d’un quelconque motif, seront injustement exclues du dispositif.

Enfin, si l’adoption par la mère d’intention séparée doit avoir les mêmes effets que ceux qu’elle aurait eus si l’adoption avait été prononcée pendant l’union, la condition que la mère biologique s’y oppose n’est-elle pas tout simplement absurde ? Si la mère biologique consent à une adoption plénière (après tout, pourquoi pas si la situation n’est pas trop conflictuelle), celle-ci sera soumise au droit commun et cette mère perdra tout lien avec l’enfant (C. civ., art. 356, 1er al.). Si elle consent à une adoption simple, elle  perdra au moins son autorité parentale (C. civ., art. 365).

Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel risque fort d’être interrogé sur le bien-fondé d’une disposition aussi peu soucieuse du caractère essentiel du consentement dans l’institution de l’adoption et porteuse d’autant de discriminations de toutes sortes. Par ailleurs, si, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, les tribunaux peuvent refuser à une mère d’intention un simple droit de visite dans un contexte conflictuel avec la mère biologique (CEDH, 5e sect., 12 nov. 2020, n° 19511/16, Honner c/France), a fortiori seront-ils peu enclins à considérer que l’adoption, même dans sa forme « simple », est dans l’intérêt de l’enfant.  Dans son arrêt le plus récent, la Cour de cassation entérine l’adoption de jumelles par la mère d’intention mariée séparée de fait de leur mère biologique, mais en précisant clairement que celle-ci y avait consenti avant la séparation (Civ. 1re, 3 nov. 2021, n° 20-16-745).

Pascale SALVAGE-GEREST, Professeure honoraire de l’Université Grenoble-Alpes

 

Categories: Non classé Tags:
Les commentaires sont fermés.