« Gardons » nos enfants ?
Dans un article publié dans le monde du 18 mars 2020, l’interrogation liée à la résidence des enfants dans le contexte d’une séparation des parents soulève le problème du transfert entre les deux domiciles de ces derniers.
Tout d’abord on notera avec regret que la terminologie de la « garde des enfants » perdure dans la bouche de certains journalistes, de certains juristes, sans parler bien sûr du public, alors qu’elle a été supprimée de notre Code civil : cette notion n’a plus court depuis la loi du 22 juillet 1987 qui a introduit l’exercice en commun de l’autorité parentale, elle-même renforcée par les lois du 8 janvier 1993 et du 4 mars 2002.
Ce constat pourrait paraître banal s’il ne mettait en exergue la confusion portée publiquement par les déclarations récentes, et dans l’article susvisé qui s’en fait l’écho, ainsi que dans le décret paru au Journal officiel le 17 mars 2020 énumérant les possibilités autorisées pour « les déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants ».
Or la question est d’une brûlante actualité en cette période de confinement nous obligeant – professionnels du droit et de la médiation – à un effort de précision sémantique. Le choix des mots a été, est et sera toujours l’essence même de notre métier.
Littéralement le Décret n’utilisant pas le mot « résidence », il vise ici les enfants confiés à la « garde » en des lieux ou par des personnels autorisés pour pallier l’indisponibilité des parents et non de la résidence des enfants, organisée (ou pas) par des décisions de justice, dont le caractère exécutoire s’impose entre les pères et mères, ou dans des accords parentaux réfléchis et consentis mutuellement, qu’il s’agisse d’une résidence en alternance paritaire ou d’un temps d’accueil pour un parent, circonscrit aux fins de semaine ou partage des vacances scolaires.
L’article du monde soulève les questions fondamentales entraînant plusieurs cas de figure :
– depuis la mise en place du confinement actuel, existerait-il en matière de déplacement de l’enfant entre les deux domiciles familiaux une sorte de transposition psychologique du « droit de retrait » en matière salariale, qui permettrait à celui ayant l’enfant avec lui de refuser de le remettre à l’autre sous tous les motifs envisagés, envisageables, imaginés, imaginables ?
– si les échanges des enfants se poursuivent comme à l’accoutumée ne va-t-on pas à l’inverse des préconisations sanitaires de confinement, qui se veulent strictes, les enfants ayant été présentés comme porteurs sains potentiels et donc comme facteurs aggravants possibles de la transmission du virus Covid-19 ?
– dans cette période troublée, et cela est bien compréhensible, ce temps d’éloignement entre enfants et parents ne peut-il être émotionnellement douloureux pour les parents comme pour les enfants ?La situation ne va-t-elle pas créer des abus, volontaires ou pas, sous couvert de la protection de l’enfant et des personnes qui l’entourent ?
La situation ne va-t-elle pas créer des dépôts de plaintes, suivis d’effets ou pas, pour « non-représentation d’enfant » sous couvert de la privation ainsi imposée par le parent réfractaire ?
La situation ne va-t-elle pas aggraver les conflits sous-jacents, lesquels comme la fièvre qui s’empare des malades, vont surgir encore plus nombreux au grand jour, que les inquiétudes soient fondées ou pas ?
Et il ne faudrait pas non plus oublier l’obligation en miroir du règlement des contributions alimentaires pouvant à ce stade nécessiter également des aménagements ponctuels selon les revenus des débiteurs sans pour autant préjudicier au-delà les créanciers…
Bien évidemment tout ceci devrait être guidé par le bon sens de chacun, un civisme aiguisé par l’exceptionnel et devrait favoriser l’entente entre les parents soucieux d’organiser la vie de leurs enfants en ce temps de « guerre ».
Sur le terrain, avocats et médiateurs y travaillent sans relâche depuis l’annonce du confinement.
Mais nous insistons pour tous les cas où ni la coopération nécessaire, ni l’empathie utile et rudimentaire, ni la volonté de trouver des solutions ne sont possibles. Des précisions « officielles » – sauf meilleur accord des parents – soutiendraient le travail de fond et de régulation opéré dans nos espaces de dialogue assurément facteur du maintien de la paix sociale.
Indépendamment de la possibilité réduite dans les circonstances actuelles de saisir les juges aux affaires familiales, même si ces derniers considéraient que l’urgence puisse motiver leur saisine, il semblerait nécessaire à ce stade de se tourner vers le Ministère de la Justice et de lui demander d’envisager l’établissement de propositions de bon fonctionnement en la matière à l’usage des parents séparés.
Cette initiative pourrait, n’en doutons pas, apaiser une partie des difficultés dont la durée dans le temps ne dépend plus vraiment des individus concernés mais d’un virus perturbateur des règles sociales et familiales qui ne doit pas contaminer plus avant les enfants dans ce domaine.
Toulouse 19 mars 2020
Pierrette AUFIERE, Avocat honoraire ; Médiateur Formateur ; médiateur – juriste
Françoise HOUSTY, Chargée de formations Médiation – Chargée d’enseignement UT1
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