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Séparations conflictuelles et aliénation parentale

20/09/2016

41-ua-ysbfl-_sx337_bo1204203200_L’« aliénation parentale, voilà une expression qui envahit de plus en plus les audiences des JAF (selon Marc Juston, elle concernerait 13 % des enfants de parents séparés, dont 6 % de manière grave). Pourtant,  un certain nombre répugnent encore à l’utiliser, comme l’explique l’ouvrage remarquable publié sous la direction de Roland Broca et d’Olga Odinetz : « Séparations conflictuelles et aliénation parentale ». D’abord, étymologiquement, elle renvoie à l’univers inquiétant de la folie. Ensuite, elle  ne figure pas en tant que telle dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). Enfin, certains craignent que le concept, utilisé de façon abusive, soit utilisé de manière fallacieuse pour occulter les réelles maltraitances infligées à l’enfant.

Une définition délicate – Même la définition de l’aliénation parentale fait débat, certains la centrant sur le comportement de l’enfant et sa participation active dans le dénigrement de l’autre parent, d’autres sur le comportement du parent aliénant envers le parent aliéné et d’autres encore uniquement sur l’enfant sans faire aucune référence à l’influence du parent aliénant. Pour faire consensus, Paul Bensussan propose de se référer à la définition la plus simple et d’appeler « aliénation parentale » « toute situation dans laquelle un enfant rejette un parent de façon injustifiée, ou tout du moins inexplicable par la qualité antérieure de la relation », mais de la réserver aux cas les plus graves.

Des conséquences dramatiques – De façon inquiétante, Marie-France Hirigoyen souligne que l’on assiste actuellement à une multiplication des cas d’aliénation parentale dans les sociétés occidentales. En cause, les mutations des rôles masculin et féminin et le narcissisme ambiant : une société narcissique produit avant tout des individus narcissiques. Un enfant constitue alors  « un prolongement narcissique, un signe de réussite sociale, d’où l’importance pour eux de « gagner » leur divorce en obtenant la résidence de l’enfant qu’elle qu’en soit la conséquence pour celui-ci ». Alors pourtant qu’elle pourra être désastreuse. « Les enfants présentent un risque accru de troubles de la personnalité le plus souvent de type narcissique avec une intolérance à la frustration, une difficulté à générer leurs agressivité et une tendance à se placer dans une position de toute-puissance. Il semble qu’ils présentent plus que d’autres des troubles des conduites alimentaires et des conduites à risque, toxicomanie et conduites antisociales ». Le constat est tout aussi dur pour le parent aliéné. L’auteur relève, qu’une fois adulte, l’enfant ne se rapprochera que très rarement du parent rejeté. Il pourra réussir à se dégager du parent aliénant, « mais ce sera souvent pour partir au bout du monde, une façon de rompre avec les deux parents, afin d’être sûr de ne pas avoir à choisir une fois de plus entre eux deux ».

Indices – Repérer le parent aliénant n’est pas chose facile tant iI saura séduire et se poser en victime. Pour Marie-France Hirigoyen, il  faut se méfier du parent qui se présente comme le « bon parent » « sans ambivalence et tend à critiquer un peu trop l’ex-conjoint ». Quant aux enfants, ils présentent souvent la particularité de ne présenter aucune sensibilité à l’égard du parent aliéné, alors qu’un enfant victime de sévices ou de maltraitance psychologique sera le plus souvent dans l’ambivalence cherchant à se faire accepter par le parent violent.  Alexis Chalom observe de même que, « dans les familles où il y a eu des violences réelles, le parent maltraitant n’est pas totalement rejeté et dénigré ni par les enfants ni même le plus souvent par le parent gardien. Alors que dans des situations d’aliénation parentale, où les violences et maltraitances réelles ont été nulles dans la quasi-totalité des cas, le rejet du parent visitant, qui semblent le plus souvent parfaitement irréprochables et pour lesquels on ne peut par suite que fantasmer et imaginer d’éventuelles insuffisances, est massif et clivé, voire binaire et absolu ».

Que faire par rapport aux parents aliénant ?– Selon Marie-France Hirigoyen, la menace de sanction joue un rôle structurant chez les parents aliénant, car ces individus craignent l’autorité. Le juge peut alors imposer une mise à l’épreuve avec la menace d’une modification du droit de visite et d’hébergement, de transfert du droit de garde à l’autre parent, voire une menace de prison. Dans tous les cas, cela aurait au moins le mérite de déculpabiliser l’enfant qui pourrait voir chacun de ses parents avec le prétexte d’éviter au père/à la mère aliénant(e) d’aller en prison.

Quelques pistes à explorer – Les différents auteurs de l’ouvrage proposent plusieurs pistes de réflexion. Ne pouvant faire état de chacune, nous n’en avons retenu que quelques-unes.

Les MARD d’abord. Marc Juston a pu constater que le judiciaire pouvait favoriser l’aliénation parentale, le conflit initial étant aggravé par la procédure, par les pièces et attestations produites au dossier, par les paroles prononcées, parfois par les conclusions et plaidoiries de l’avocat. Et ce d’autant qu’avec la réforme du divorce de 2004, les torts et griefs sont le plus souvent passés sous silence. On ne parle plus de la mauvaise épouse ou du mauvais époux, mais davantage de la mauvaise mère ou du mauvais père. Les modes alternatifs de règlement des litiges doivent donc être privilégiés et spécialement la médiation.  D’autres, à l’instar de Christine Ravaz, avocate, estime qu’il conviendrait de séparer totalement la procédure de divorce et la procédure concernant les enfants, pour qu’il n’y ait plus aucune immixtion de l’enfant dans le conflit parental.

Évidemment, une formation adaptée des différents intervenants est essentielle. S’agissant des experts, Michel Delage note qu’« il serait temps que les experts désignés s’entraînent à examiner l’axe relationnel entre les partenaires concernés ». Car les « psys » sont surtout formés « à examiner les aspects psychopathologiques individuels ». Alors qu’il faut envisager « une expertise familiale relationnelle ou expertise familiale systémique ».

De plus en plus de praticiens réfléchissent à la mise en place d’interventions mixtes qui pourraient intégrer les principes de l’expertise dynamique et la guidance parentale (mis en place depuis près de vingt ans dans différents États au Canada), dans un cadre psychojudiciaire. Le processus d’intervention familiale encadrée (PIFE), décrit par Benoît van Dieren et Célia Lillo, va en ce sens. « Dès qu’un juge ou qu’un avocat s’aperçoit qu’il existe un risque de rupture de lien parent-enfant, il peut proposer aux parents une intervention de guidance psychojudiciaire encadrée par le tribunal, qui pourrait s’intercaler dans le cours de la procédure de séparation à proprement parler, particulièrement en cas de non-respect des décisions judiciaires ou d’obstruction au retissage (justifié) du lien d’un parent avec son enfant ». L’expérience menée à Cochem, en Allemagne, est également intéressante. Une « coopération ordonnée » y a vu le jour. Ce qui signifie, explique Roland Broca, « d’abord une règle qui s’impose aux intervenants professionnels impliqués dans la gestion du conflit familial, avocats, juges, conseillers aux tribunaux de la jeunesse, experts. Ils doivent s’investir et participer ensemble de manière la plus volontaire possible, à la résolution du conflit familial ».

Les mauvaises solutions – L’exercice du droit de visite en espace rencontre (ER) ne serait pas être une voie à suivre, du moins, selon Alexis Chalom, pour les cas les plus sévères. « Les ER ne peuvent constituer une indication adaptée pour les situations d’aliénation parentale, ou plutôt, qu’elles ne peuvent constituer une indication appropriée que dans les cas où l’inversion de garde a déjà été prononcée par la justice. C’est-à-dire les cas où c’est le parent qui, ayant été « aliénant », et s’étant vu par suite retiré la garde de son/ses enfant(s), va venir le(s) rencontrer en ER ». La désignation du domicile d’un tiers digne de confiance pour l’exercice du droit de visite et d’hébergement du parent rejeté est donc préférable.  Le placement de l’enfant est également une solution à éviter, dès lors qu’il renforcera l’amour de l’enfant pour le parent aliénant selon Christine Ravaz.

La parole de l’enfant – En cas d’aliénation parentale, la vulnérabilité psychique de l’enfant impose que soit appliqué de façon restrictive le droit de l’enfant d’être entendu en justice et de mettre véritablement en œuvre le droit de l’enfant à maintenir le lien avec ses parents. Dans un tel contexte, la CEDH n’accorde aucune valeur à la parole de l’enfant sauf à mettre en œuvre des investigations supplémentaires. Le CEDH, en réalité, n’accorde de valeur à la parole de l’enfant qu’à la condition que celle-ci ait été recueillie dans un climat serein. Longtemps restée sourde à cette jurisprudence de la CEDH – l’audition de l’enfant étant  imposée même dans des situations de conflit de loyauté –, la Cour de cassation se montre plus sensible au syndrome d’aliénation parentale à propos de la notion de discernement, notion centrale dans ce contentieux. Récemment, la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 nov. 2011, n° 10-16.367), remarque Sophie Paricard, a délaissé le seul critère de l’âge et constaté le défaut de discernement de l’enfant du fait de « l’existence de pression le plaçant au centre de conflits d’intérêts ». « La notion de discernement doit donc s’appliquer non seulement à la maturité intellectuelle d’un enfant mais également à l’absence de pressions entraînant une altération de sa faculté de jugement ».

Conclusion – Cet ouvrage, conforté par la décision de la Cour de cassation du 26 juin 2013 (n° 12-14.392), invite les juges de fond à rechercher l’existence du syndrome d’aliénation parentale au moyen d’expertises et à prendre en considération un tel diagnostic dans l’appréciation de leurs décisions. Olga Odinetz et Roland Broca soulignent que « les parents qui ont réussi à faire face à une rupture de liens avec leurs enfants, à ne pas perdre pied et à trouver des solutions :

  1. étaient rationnels, raisonnables et contrôlaient leurs émotions ;
  2. n’ont jamais laissé tomber malgré leur découragement ;
  3. ont pu faire face aux dépenses nécessaires ;
  4. avaient un avocat qui connaissait la problématique de l’aliénation parentale ;
  5. s’étaient mis eux-mêmes au courant des lois et du fonctionnement des tribunaux ;
  6. ont fait appel à une expertise médicolégale de qualité ;
  7. avaient un projet pour l’éducation des enfants ;
  8. ont recherché la paix et les solutions pour l’avenir ;
  9. on tenu un journal de bord des événements ;
  10. ont toujours respecté les droits de visite de l’autre parent ;
  11. se sont intéressés exclusivement à leur enfant ;
  12. ont toujours respecté la loi à la lettre (ont toujours payé la pension par exemple) et n’ont jamais fait justice eux-mêmes.
  • Plan et auteurs de l’ouvrage

1ERE PARTIE: CONCEPT D’ALIÉNATION PARENTALE: DIAGNOSTIC ET ÉVALUATION CLINIQUE

Chapitre 1 – Émergence du concept d’aliénation parentale et sa reconnaissance en France
Par Olga Odinetz.

Chapitre 2 – Pourquoi tant de haine après tant d’amour?
Par Roland Broca, psychiatre et psychanalyste.

Chapitre 3 – L’enfant rejetant : une perspective clinique et cognitive
Par Gérard Poussin, psychologue.

Chapitre 4 – L’expertise de l’aliénation parentale
Interview de Paul Bensussan, psychiatre.

Chapitre 5 – L’aliénation parentale comme abus de faiblesse
Par Marie France Hirigoyen, psychiatre.

2EME PARTIE : LES ACTEURS ET LES DISPOSITIFS PSYCHO-JUDICIAIRES

Chapitre 6 – Le juge des affaires familiales: du conflit de loyauté à l’aliénation parentale
Par Marc Juston, juge aux affaires familiales.

Chapitre 7 – Chez le juge des enfants
Par Olga Odinetz.

Chapitre 8 – Les espaces de rencontre face à l’aliénation parentale
Par Alexis Chalom, psychologue.

Chapitre 9 – Dans la robe d’un avocat
Par Christine Ravaz, avocate.

Chapitre 10 – Aliénation parentale, plaintes et réponses pénales
Par Olga Odinetz.

Chapitre 11 – Les droits fondamentaux de l’enfant
Par Sophie Paricard, juriste maitre de conférences.

Chapitre 12 – Histoires de vies et témoignages de parents
Par Olga Odinetz.

Chapitre 13 – Vie d’adulte après une enfance aliénée
Par Olga Odinetz.

3EME PARTIE : INTERVENTIONS RESTAURATIVES ET REMÉDIATIONS

Chapitre 14 – Séparations conflictuelles et souffrance des enfants: la place des soins ?
Par Michel Delage, psychiatre.

Chapitre 15 – Expertise collaborative et Processus d’Intervention Familiale Encadrée
Par Benoît van Dieren et Célia Lillo, psychologues.

Chapitre 16 – La guidance parentale
Par Roland Broca, psychiatre et psychanalyste.

Chapitre 17 – Un changement de paradigme : le modèle de Cochem
Par Roland Broca, psychiatre et psychanalyste.

Chapitre 18 – Le modèle de consensus parental de Dinant
Par Bee Marique, avocate.

Chapitre 19 – Réflexions d’un juge aux affaires familiales. Pour un meilleur partenariat entre magistrats et avocats
Par Marc Juston, juge aux affaires familiales.

Conclusion – Recommandations pour les parents
Par Olga Odinetz et Roland Broca.

Documents et annexes

 

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