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Condamnation de la France qui ne peut totalement interdire l’établissement du lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques nés d’une GPA à l’étranger

26/06/2014

Les deux affaires font déjà les gros titres. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné, ce jour, la France dans les affaires Mennesson et Labassee en ce que sa jurisprudence empêche l’établissement du lien de filiation entre un père biologique et ses enfants nés régulièrement d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger ; un obstacle qui va au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. Mais s’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie privée, il n’y a pas eu violation de cette disposition s’agissant du droit au respect de leur vie familiale.

 La Cour de cassation devra donc revoir sa copie. Elle ne peut plus juger que le refus de transcription est justifié « lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre publique selon les termes des [articles 16-7 et 19-9 du code civil] » (Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315 et n° 12-30.138 , AJ fam. 2013. 579, obs. Chénedé, Haftel et Domingo; 19 mars 2014, n° 13-50.005, AJ fam. 2014. 244, obs. Chénedé).

 D’aucuns n’ont pas tardé à souligner que cette décision, pour autant, n’ouvrait pas la gestation pour autrui en France…

J’ai reproduit ci-dessous un extrait de l’arrêt Mennesson.

« Sur le droit des requérants au respect de leur vie familiale

87.  […] la Cour considère que le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation […] affecte nécessairement leur vie familiale. […].

88.  Ainsi, ne disposant pas d’actes d’état civil français ou de livrets de famille français, les requérants se voient contraints de produire les actes d’état civil américain – non transcrits – accompagnés d’une traduction assermentée chaque fois que l’accès à un droit ou à un service nécessite la preuve de la filiation, et se trouvent vraisemblablement parfois confrontés à la suspicion, ou à tout le moins à l’incompréhension, des personnes auxquelles ils s’adressent. Ils évoquent à cet égard des difficultés lorsqu’il s’est agi d’inscrire les troisième et quatrième d’entre eux à la sécurité sociale, à la cantine scolaire ou à un centre aéré et de déposer des demandes d’aides financières auprès de la caisse d’allocations familiales.

89.  Par ailleurs, le fait qu’en droit français, les deux enfants n’ont de lien de filiation ni avec le premier requérant ni avec la deuxième requérante, a pour conséquence, du moins à ce jour, qu’elles ne se sont pas vues reconnaître la nationalité française. Cette circonstance est de nature à compliquer les déplacements de la famille et à susciter des inquiétudes […] quant au droit de séjour des […] requérantes en France après leur majorité et donc quant à la stabilité de la cellule familiale. […]

92.  Cependant, quelle que soit l’importance des risques potentiels pesant sur la vie familiale des requérants, la Cour estime qu’il lui faut se déterminer au regard des obstacles concrets que ceux-ci ont dû effectivement surmonter du fait de l’absence de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux ([…]). Or elle note que les requérants ne prétendent pas que les difficultés qu’ils évoquent ont été insurmontables et ne démontrent pas que l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance d’un lien de filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale. […]

94.  Ainsi, au vu, d’une part, des effets concrets du défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les […] requérants […] sur leur vie familiale, et, d’autre part, de la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur, la Cour estime que la situation à laquelle conduit la conclusion de la Cour de cassation en l’espèce ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’État, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale. […].

Sur le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée

96. Comme la Cour l’a rappelé, le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation ([…]) ; un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation ([…]). Or, en l’état du droit positif, les […] requérantes se trouvent à cet égard dans une situation d’incertitude juridique. S’il est exact qu’un lien de filiation avec les premiers requérants est admis par le juge français pour autant qu’il est établi par le droit californien, le refus d’accorder tout effet au jugement américain et de transcrire l’état civil qui en résulte manifeste en même temps que ce lien n’est pas reconnu par l’ordre juridique français. Autrement dit, la France, sans ignorer qu’elles ont été identifiées ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française.

97.  Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes ([…]). Or, […], bien que leur père biologique soit français, les […] requérantes sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française en application de l’article 18 du code civil ([…]). Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité.

98.  La Cour constate en outre que le fait pour les […] requérantes de ne pas être identifiées en droit français comme étant les enfants des premiers requérants a des conséquences sur leurs droits sur la succession de ceux-ci. […] le Conseil d’État a souligné qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, l’enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle que si elle l’a institué légataire, les droits successoraux étant alors calculés comme s’il était un tiers ([…]), c’est-à-dire moins favorablement. La même situation se présente dans le contexte de la succession du père d’intention, fût-il comme en l’espèce le père biologique. Il s’agit là aussi d’un élément lié à l’identité filiale dont les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger se trouvent privés.

99.  […] les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant.

100. […]La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des troisième et quatrième requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.

101.  Étant donné aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence, la Cour conclut que le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée a été méconnu. »

Lire l’intégralité des décisions Mennesson c/ France (requête n° 65192/11) et Labassee c/ France (requête n° 65941/11)

 

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