Internet, une menace pour les avocats ? et pour les éditeurs juridiques ?
Au-delà du problème institutionnel propre à la profession des avocats et de la formation inadaptée des avocats à leurs conditions d’exercice, Thierry Wickers, ancien président du Conseil national des barreaux, dans son ouvrage consacré à « La grande transformation des avocats », porte un regard très lucide sur la profession, sur ses atouts, mais aussi ses faiblesses. Surtout, il aborde une question essentielle pour le devenir même de la profession : le WEB ! Question également cruciale pour les éditeurs juridiques, dont les modèles économiques doivent encore évoluer.
Désormais, qu’on le veuille ou non, l’information juridique est accessible en ligne… gratuitement.
Les sites officiels participent largement à la diffusion d’une information de qualité et parfaitement fiable. On pense immédiatement à Legifrance et à Europa, mais également aux sites ministériels, dont le Bofip (Bulletin officiel des finances publiques-Impôts), au contenu opposable à l’administration !
Le site service-public.fr apporte en de nombreux domaines des réponses qui peuvent, parfois, suffire… Autre exemple, parmi tant d’autres, Conso.net assure un suivi particulièrement efficace de l’actualité législative, diffuse des fiches pratiques, propose des lettres types, etc.
Le monde associatif n’est pas en reste : dans le secteur du droit des étrangers, infomie.net (pour ne citer que ce site de centre de ressources sur les mineurs isolés étrangers) rend public de nombreux dossiers et articles, sans compter sa lettre de discussion qui permet à chacun d’échanger sur telle ou telle problématique.
Les sites et blogs juridiques fleurissent de toute part. Les avocats eux-mêmes participent à cette diffusion gratuite. Car leur besoin de mutualisation est évident : la mise en ligne de la grande bibliothèque du droit ou encore l’apparition de sites tels que Hub avocat, plateforme de communication de services et de logiciels métier, ou de vox-avocats, réseau social mis en place par le CNB, en sont la preuve. Et c’est aussi pour eux un moyen de se faire connaître ! Et pour de nombreuses personnes un moyen d’avoir accès au conseil juridique ! Car la publicité – et c’est un autre des axes de réflexion de Thierry Wickers – facilite le processus de choix de l’avocat, et favorise l’accès aux services d’un avocat.
Internet regorge de modèles d’actes gratuits, de formules, de lettres-types… Certes, tous ne seront pas à même de faire le tri entre les bons et les mauvais. Mais, certains, comme ceux mis en ligne par le ministère de la justice lui-même, ne peuvent que jouir d’un « a priori » positif.
Ainsi, comme le relève Thierry Wickers, « le consommateur dispose désormais d’une information brute identique à celle du professionnel. Même des questions juridiques complexes trouvent leur réponse, gratuitement, en ligne, sur internet ». « On peut déjà procéder à une évaluation de son préjudice corporel sur le site de l’association d’aide aux victimes de France (AVF) », calculer la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dû par l’un des parents sur le site du ministère des affaires sociales. « Ce qui permet d’apprécier plus précisément la « valeur ajoutée » du recours à un avocat ».
Cette valeur ajoutée devient alors décisive… et son prix pour le client encore plus ! Cela vaut également pour les éditeurs…
Or, l’utilisation massive des nouvelles technologies standardise nombre de services qui deviennent alors accessibles à de plus en plus de personnes. « La standardisation permet à de nouveaux consommateurs, qui jusqu’à présent n’avaient pas accès au marché, en raison des prix trop élevés ou encore de la difficulté à trouver un avocat, de se procurer des prestations juridiques. »
« Dans le domaine des produits « standard », l’identité du prestataire est réputée n’avoir que peu d’influence sur le résultat final. Du coup s’explique le fait que dans les secteurs où se développent des offres standardisées, on assiste à une marginalisation ou à une quasi-disparition du professionnel et de son identité. C’est le cas des divorces (par consentement mutuel) en ligne. Avant ses ennuis judiciaires, Divorce Discount cantonnait l’avocat à un rôle de simple sous-traitant, dont l’identité était parfaitement indifférente au client. Son recrutement ne se justifiait que par son acceptation des conditions financières de son intervention. Sur DivorceOnline, comme la loi anglaise permet de se passer totalement de l’avocat, des formules sans avocat sont proposées pour les divorces non contentieux. On peut aussi, pour un prix plus élevé, disposer d’un avocat choisi par le site, si l’on pense que des difficultés vont se produire. »
« Conséquence positive, la standardisation permet à de nouveaux consommateurs, qui jusqu’à présent n’avaient pas accès au marché, en raison des prix trop élevés ou encore de la difficulté à trouver un avocat, de se procurer des prestations juridiques. Le défi de l’accès au droit, dont les implications sont considérables pour la profession, lui est donc également lancé par les évolutions technologiques. Il faut garder à l’esprit qu’une profession qui revendique, dans l’intérêt du public, l’établissement d’une réglementation lui réservant les activités judiciaires et juridiques, doit être capable, en contrepartie, de répondre à la totalité des besoins du marché. Si les barrières qui limitent l’entrée de nouveaux prestataires non-avocats devaient disparaître, les conséquences seraient certainement particulièrement douloureuses pour la profession. Le propre des innovations de rupture (disruptive innovations) est de déséquilibrer profondément le marché et de conduire à l’éviction des entreprises en place ».
« Le site Demanderjustice.com se propose de fournir aux internautes une assistance, dans le domaine des petits litiges du quotidien, dont l’enjeu est en général trop faible pour que les avocats puissent proposer leurs services à des prix compétitifs. Les prestations vont de l’élaboration de courriers en ligne, à la rédaction de requêtes permettant de saisir une juridiction devant lesquelles la représentation n’est pas obligatoire. Une procédure pénale a été engagée à l’encontre des responsables du site et le Conseil national des barreaux, comme le barreau de Paris, se sont constitués parties civiles ».
« Il est fort probable que les services rendus sont sommaires et (espérons-le !) d’une qualité inférieure à ceux que pourraient rendre des avocats. Néanmoins, l’ouverture du site correspond à une amélioration pour des couches de la population qui, sans lui, ne solliciteraient probablement pas un avocat et renonceraient purement et simplement à faire valoir leurs droits. Pour les clients concernés, mieux vaut probablement cette assistance juridique limitée, que pas d’assistance du tout. Il y a donc quelque chose de paradoxal à réclamer la fermeture du site, en invoquant des règles législatives qui sont destinées à assurer aux particuliers l’accès au droit et à la justice ».
Si l’apparition de produits standards remet en cause la singularité des prestations délivrées par les avocats, Thierry Wickers souligne qu’« elle constitue une opportunité pour tous ceux que leurs moyens ne les autorisaient pas à s’offrir les services d’un avocat. » C’est une réalité… LA réalité. Les avocats doivent trouver les moyens nécessaires pour favoriser l’accès au droit au plus grand nombre. Il y va de leur propre survie… « Le sondage effectué à la demande de l’Inspection générale des finances (IGF) mentionne ainsi, que, pour 96 % des personnes interrogées, les services des avocats sont trop coûteux ».
Que faire alors ?
Selon Thierry Wickers, « les choix à la disposition de la profession sont finalement au nombre de trois.
Le premier est celui de l’immobilisme. Il n’est pas si étonnant de l’évoquer. En effet, il s’imposera de lui-même si la question de la gouvernance n’est pas réglée. Il n’est donc pas le plus improbable, mais il va de soi qu’il ne résout aucun des dilemmes rencontrés. Il équivaut à l’abandon total de la maîtrise du destin et n’augure rien de bon pour la profession.
Le deuxième, qui prétend faire évoluer la demande plutôt que d’adapter l’offre, est probablement hors de portée des avocats et ne peut apporter, en pratique, que des modifications à la marge. Cette option paraît vouée à l’échec, même si elle peut inspirer certaines actions utiles.
Le troisième et dernier consiste à faire le choix du public et à ne rien abandonner de ce qui constitue l’ambition ultime des avocats : répondre à tous les besoins de droit. Mais choisir cette voie a de fortes implications, car ce but ne semble pouvoir être atteint sans des transformations assez radicales, portant sur les structures d’exercice ou l’accès aux capitaux. C’est cependant la seule à permettre de résoudre les terribles apories auxquelles la profession se heurte désormais. Elle aboutira, en cas de succès à ce que la profession d’avocat devienne effectivement « la » grande profession du droit au service du public ».
Je ne saurais trop vous recommander de lire cet ouvrage !
La grande transformation des avocats ne fait que commencer. C’est la même chose pour les éditeurs.
Un logiciel, cet été, aurait passé avec succès le test de Turing en se faisant passer pour un adolescent de 13 ans… Combien de temps encore avant qu’il puisse se faire passer pour un avocat ?
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Thierry Wickers, La grande transformation des avocats, Dalloz, nov. 2014, 22
- A lire également
. Avocats et ordres du 21e siècle, Ouvrage collectif de la conférence des bâtonniers, ss. la dir. de J.-L. Forget et M.-A. Frison-Roche, Dalloz, oct. 2014.
. L’interview de Thierry Wickers sur Dalloz actualité.
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