Actualité jurisprudentielle de la semaine : divorce et appel, Indivision, successions
En congés la semaine dernière, je n’ai pas eu l’occasion de vous livrer l’actualité jurisprudentielle de la semaine. Mais vous aurez sans doute déjà entendu parler de l’avis de la Cour de cassation du 20 avril 2022 relatif à l’intérêt à agir en appel, spécialement dans le cadre d’une procédure de divorce 233 ou 237 !
- DIVORCE
Intérêt à agir en appel (Civ., avis, 20 avr. 2022, n° 22-70.001, 15004 B) – La Cour de cassation a été saisie de la demande d’avis suivante : « Dans le cadre qui est désormais celui des dispositions combinées des articles 31, 122, 546 et 562 du code de procédure civile, ce dernier dans sa version applicable depuis le 1er septembre 2017, l’intérêt de l’un des époux à faire appel du prononcé du divorce, prononcé conformément à ses prétentions par le premier juge, peut-il s’entendre de l’intérêt à ce que le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée ? ». Autant dire que la réponse de la Cour était très attendue dans la mesure où c’est la question de la survie des mesures provisoires, spécialement celle du devoir de secours, qui est en jeu.
L’avis de la Cour se structure comme suit :
« 2. Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 applicable aux appels formés à compter du 1er septembre 2017, l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.
3. Il résulte de la combinaison des articles 32, 122 et 546, alinéa 1er, du code de procédure civile que l’intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance (2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-21.579, publié ; 1re Civ., 9 juin 2021, n° 19-10.550, publié).
4. Aux termes de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret précité, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
5. En conséquence, lorsque l’appel tend à la réformation du jugement, la recevabilité de l’appel doit être appréciée en fonction de l’intérêt à interjeter appel pour chacun des chefs de jugement attaqués et ce, désormais, même si tous les chefs de jugement sont attaqués.
6. Il s’ensuit que, lorsque le divorce a été prononcé conformément à ses prétentions de première instance, l’intérêt d’un époux à former appel de ce chef ne peut s’entendre de l’intérêt à ce que, en vertu de l’effet suspensif de l’appel, le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée. »
NB – Dans le cadre d’une procédure de divorce, un époux peut avoir un intérêt à interjeter appel du jugement de divorce afin de retarder le passage de celui-ci en force de chose jugée et conserver le bénéfice des mesures provisoires, notamment de la pension alimentaire. Encore faut-il qu’il ait, conformément à l’art. 546, al. 1er, c. pr. civ., un intérêt à agir en appel. Cet intérêt étant à la mesure de la succombance, la partie qui n’a pas obtenu entière satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance peut interjeter appel du jugement. L’intérêt à agir de l’appelant doit-il être apprécié dans sa globalité ou pour chaque chef du jugement pris séparément ? Il a été jugé qu’un époux dont les prétentions n’ont pas été entièrement accueillies en première instance a intérêt à interjeter un appel non limité dont l’effet dévolutif confère à la cour d’appel la connaissance de l’entier litige, y compris des chefs du jugement ayant donné satisfaction à l’appelant (Civ. 1re, 26 sept. 2017, n° 04-15.051, Bull. civ. I, n° 300, pour un divorce aux torts partagés prononcé conformément aux conclusions de première instance de l’appelant). La Cour de cassation a même admis la recevabilité d’un appel général dans le cadre d’un divorce accepté alors que le principe de la rupture du mariage est acquis au premier degré de juridiction (Cass. avis, 9 juin 2008, n° 08-00.004, D. 2008. 1827, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2008. 461, obs. J. Hauser ; Civ. 1re, 14 mars 2012, n°11-13.954, D. 2012. 812 ; RTD civ. 2012. 298, obs. J. Hauser). L’intérêt à agir étant apprécié de façon globale, l’instrumentalisation de l’appel permettait de retarder artificiellement la date de la dissolution du mariage et profitait donc à l’époux dans le besoin.
Cependant, l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qui a mis fin à l’appel général, a changé la donne (v. cep. Civ. 1re, 15 déc. 2021, n° 20-18.457, AJ fam. 2022. 91, obs. F. Eudier, continuant à appliquer la jurisprudence antérieure dans le cadre d’un divorce accepté). Aux termes de l’art. 562 c. pr. civ., dans sa nouvelle rédaction, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; la dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. Comment apprécier désormais la recevabilité de l’appel si l’appelant attaque tous les chefs du jugement ? Dans le présent avis, la première chambre civile apprécie cette recevabilité en fonction de l’intérêt à interjeter appel pour chaque chef de jugement attaqué. L’appréciation globale de l’intérêt à agir en appel est donc abandonnée (v. déjà dans le même sens, Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 19-10.550, AJ fam. 2021. 492, obs. J. Casey, pour un arrêt rendu à la suite d’un avis donné par la deuxième chambre civile le 4 févr. 2021). La solution est conforme à l’art. 562 c. pr. civ. mais elle précarise la situation de l’époux dans le besoin ayant obtenu entière satisfaction sur le prononcé du divorce au premier degré. Il ne peut attaquer ce chef de jugement qui passe alors en force de chose jugée. Il perd le bénéfice des mesures provisoires alors que les chefs du jugement relatifs aux conséquences du divorce n’ont pas encore acquis force de chose jugée. En outre, si cet époux interjette appel sur le chef du jugement relatif à la prestation compensatoire, la cour d’appel ne peut tenir compte d’une évolution de la situation des parties qui pourrait lui être favorable puisque la demande de prestation doit être appréciée à la date à laquelle le prononcé du divorce passe en force de chose jugée (cette décision sera par ailleurs commentée dans l’AJ famille par Jérôme Casey).
Frédérique Eudier
L’appel général doit être impérativement rectifié par une nouvelle déclaration d’appel mentionnant les chefs de jugement critiqués pour produire effet dévolutif (Civ. 1re, 24 mars 2022, n° 20-22.200, 322 F-D) – Ayant relevé que la déclaration d’appel (du jugement ayant prononcé le divorce des époux, ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux et organisé les modalités d’exercice de son droit de visite) se bornait à mentionner en objet que l’appel était total et qu’elle n’avait pas été rectifiée par une nouvelle déclaration d’appel dans les délais impartis, une cour d’appel en a déduit à bon droit, sans méconnaître les dispositions de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, que cette déclaration était dépourvue d’effet dévolutif et qu’elle n’était saisie d’aucun chef du dispositif du jugement.
La Cour de cassation explique, en effet, qu’il résulte de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas. La déclaration d’appel affectée d’une irrégularité, en ce qu’elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile. Ces règles encadrant les conditions d’exercice du droit d’appel dans les procédures dans lesquelles l’appelant est représenté par un professionnel du droit, qui résultent clairement des textes applicables, sont dépourvues d’ambiguïté et présentent un caractère prévisible. Leur application immédiate aux instances en cours ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni au droit à un procès équitable. Elles ne restreignent pas l’accès au juge d’appel d’une manière ou à un point tel que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même. Elles poursuivent un but légitime au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en l’occurrence une bonne administration de la justice, et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.
- INDIVISION
Insaisissabilité de la résidence principale et loi nouvelle : l’action en licitation-partage de l’immeuble indivis constituant la résidence principale de l’indivisaire en liquidation judiciaire suppose, pour être recevable, que tous les créanciers de la procédure aient des créances nées avant le 8 août 2015 (Com. 13 avr. 2022, n° 20-23.165, 249 F-B) – L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur résultant de l’article L. 526-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 n’a d’effet, en application de l’article 206, IV, alinéa 1er, de cette loi, qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle après la publication de la loi. Il en résulte que le liquidateur ne peut agir en licitation-partage de l’immeuble indivis constituant la résidence principale de l’indivisaire en liquidation judiciaire, que si tous les créanciers de la procédure ont des créances nées avant la publication de la loi, les droits du débiteur sur l’immeuble étant alors appréhendés par le gage commun.
Dès lors qu’il est soutenu par le liquidateur que l’essentiel des créances déclarées sont antérieures au 8 août 2015, date de la publication de la loi, et non leur totalité, une cour d’appel retient exactement qu’il n’est pas opérant de la part du liquidateur, en l’espèce, d’invoquer l’opposabilité de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale du débiteur aux seuls créanciers dont les droits sont nés postérieurement et que l’action en partage et licitation de l’immeuble indivis est irrecevable.
- SUCCESSIONS
Étendue du secret professionnel du notaire (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.160, 343 F-B) – Selon l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, modifié par l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, les notaires ne peuvent, sans une ordonnance du président du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d’autres qu’aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages-intérêts et d’une amende.
Pour autoriser et à défaut ordonner à la SCP notariale de communiquer au syndicat des copropriétaires l’identité et l’adresse de la veuve et des héritiers réservataires du défunt, une cour d’appel retient que la SCP notariale ne peut maintenir son refus devant les juridictions saisies au prétexte du caractère absolu du secret auxquelles elle serait tenue, dès lors qu’une autorisation judiciaire peut valablement l’en affranchir au regard des intérêts légitimes en cause et que la protection des intérêts privés de ses clients ne peut en aucun cas permettre à ceux-ci, tenus des dettes et des charges de la succession, de s’affranchir durablement de leurs obligations légales, alors qu’en l’occurrence les charges de copropriété s’aggravent au préjudice de la trésorerie de la copropriété depuis plus de sept ans. Seulement, en statuant ainsi, alors que le secret professionnel s’impose au notaire qui ne peut en être délié par l’autorité judiciaire, que pour la délivrance des expéditions et la connaissance des actes qu’il a établis, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
En l’occurrence, la SCP notariale n’ayant pas dressé d’acte de notoriété, elle ne peut être contrainte ni de communiquer un acte qu’elle n’a pas établi ni des informations détenues par elle et soumises au secret professionnel.
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