Justice des mineurs : les mensonges et la consternation
Communiqué de l’AFMJF du 30 janvier 2025
Justice des mineurs : les mensonges et la consternation« De plus en plus jeunes, de plus en plus violents », « en finir avec la culture de l’excuse », « le laxisme judiciaire »… Cette rengaine que l’on nous répète depuis vingt ans dans l’espoir que l’incantation se transforme en vérité, nous consterne et nous inquiète au plus haut point. Elle nous consterne car elle laisse croire qu’il existe des solutions simplistes à un problème complexe, celui de donner à notre jeunesse, toute notre jeunesse, le désir de faire société, sans en abandonner une partie au bord du chemin.
Elle trompe les citoyens, les parents, les victimes en prétendant que vitesse, précipitation et répression à outrance sont des gages de qualité et d’efficacité et des facteurs de prévention de la récidive.
Elle nous inquiète au plus haut point car elle méconnaît la réalité des textes et de leur application et accuse d’incompétence et de laxisme les professionnels de la protection de l’enfance et de la justice, alors même que le nombre de mineurs mis en cause dans une procédure pénale ne cesse de baisser depuis plusieurs années, que les peines sont de plus en plus sévères et fréquentes (près de 50% des condamnations prononcées comportent une peine et pas exclusivement une mesure éducative, 10% des mineurs étant condamnés à de l’emprisonnement ferme), que le nombre de mineurs incarcérés est actuellement de 800 en moyenne chaque jour alors qu’il était de 700 depuis plusieurs années et que les délais de jugement ont été divisés par trois depuis l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs.
Nous ne minimisons ni le drame que constitue la mort violente d’un adolescent, agressé par deux autres, ni la souffrance indicible de sa famille, ni l’incompréhension ou la colère que de tels faits peuvent susciter. Contrairement à ce que nous pouvons entendre, la réponse judiciaire est d’une grande fermeté à l’égard des adolescents qui ont commis des actes criminels. Ils sont le plus souvent incarcérés durant la procédure et condamnés à de lourdes peines, l’excuse de minorité étant écartée pour une partie d’entre eux.
Mais ces actes très graves restent exceptionnels et ne concernent qu’une infime partie des adolescents qui ont commis des actes de délinquance. Ainsi, en 2023, plus de 179.000 adolescents étaient poursuivables pour un fait commis, tandis que 178 mineurs ont été condamnés pour un crime par une cour d’assises des mineurs. Doit-on pour autant déconstruire tous les grands principes de la justice des mineurs ? Alors même que pour apporter une réponse efficace à un adolescent qui commet des actes de délinquance, il faut d’abord comprendre comment il en est arrivé là, démêler les causes multiples pour tailler une réponse sur mesure. Les juger comme des adultes, c’est renoncer à l’éducation et prendre le risque de répétitions de la violence.
La certitude de la réponse et la qualité de la prise en charge éducative sont bien plus efficaces que les réponses précipitées et que le nombre d’années d’emprisonnement encourues.
Cessons de masquer les vrais problèmes : avant de devenir l’affaire de la justice, l’éducation d’un enfant est d’abord l’affaire de ses parents, de l’école, de l’environnement social et culturel, de psychologues, d’éducateurs. L’échec de notre société est un échec collectif. Il nécessite avant tout la mise en oeuvre de nombreuses politiques aujourd’hui défaillantes, morcelées et incohérentes.
Le vrai problème, c’est que nous vivons depuis de nombreux mois une crise sans précédent de la protection de l’enfance : les retards voire les absences de prise en charge et la mauvaise qualité des accueils qui laissent à l’abandon des parents démunis et dépassés, des enfants et des adolescents qui rendront plus tard la violence qu’ils ont reçue et deviendront des proies faciles pour des réseaux de délinquance.
Le vrai problème, c’est que la souffrance de la jeunesse a explosé, que les suicides et tentatives de suicide sont en forte hausse, de même que la prostitution, que la pédopsychiatrie est débordée, que de nombreux jeunes présentant des troubles et handicaps sont sans solution scolaire, que la prévention spécialisée disparait de plus en plus des territoires, que le monde et la société ne vont pas bien, et qu’il faut aider la jeunesse de notre pays et les parents désemparés.
Le vrai problème, c’est que de nombreuses mesures éducatives, mesures de sûreté et peines restent en attente d’exécution pendant des mois faute d’éducateurs, de lieux des placement adaptés, de psychologues, de solutions alternatives de scolarité. Les éducateurs sont surchargés de mesures et d’audiences de plus en plus fréquentes et rapprochées. Ils n’ont plus le temps d’aller, autant qu’il est besoin, rechercher un adolescent en fugue, l’accompagner à l’hôpital pour qu’il soigne ses addictions ou ses traumatismes, convaincre un établissement scolaire ou un patron de l’accepter dans ses rangs, organiser avec lui des activités qui le sortent de son quotidien et lui ouvrent des perspectives nouvelles. Découragés par le manque de places d’accueil, ils finissent par rechercher la place libre, à défaut de place adaptée et répondant vraiment aux besoins.
La justice des mineurs est efficace lorsqu’elle s’inscrit dans une politique de protection de l’enfance qui commence par la prévention, quand elle intervient à bon escient avec des professionnels formés et considérés, lorsqu’elle protège et éduque autant qu’elle punit et prend dans des délais raisonnables des sanctions comprises par les intéressés.
Éviter des passages à l’acte dramatiques et une fuite en avant incontrôlable de certains jeunes passe, outre une politique volontariste contre les violences intra-familiales, par une attention toute particulière aux premiers signes de déviance et de mal-être manifestés par certains enfants dès leur plus jeune âge, le vrai défi étant celui de notre capacité, en lien avec tous les acteurs de terrain, à pouvoir développer autour d’eux et de leur famille un dispositif de détection, d’évaluation, d’accompagnement et de contenance réellement prégnant et intensif, adossé à des moyens humains (personnel éducatif et judiciaire) et structurels (établissements éducatifs dédiés) à hauteur de l’enjeu. Nous avons des propositions concrètes et sommes prêts à concourir à une telle démarche.
Il est dangereux pour les enfants comme pour notre société de ne pas regarder ces réalités en face. Une société qui abandonne ses enfants avant de les juger est une société qui se condamne elle-même.Pour l’AFMJF,
Alice GRUNENWALD
Présidente de l’AFMJF
contact@afmjf.fr
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