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Transformation numérique de la justice

07/03/2022

 Par courrier du 17 déc. 2020, le président de la commission des finances du Sénat a saisi la Cour des comptes d’une demande d’enquête portant sur le plan de transformation numérique (PTN) du ministère de la justice. L’enquête a été réalisée au cours du premier semestre de l’année 2021. Le 26 janv. 2022, la Cour des comptes a publié un bilan intermédiaire de la réalisation du plan. Dans ce bilan « contrasté », la Cour porte un jugement sévère sur son exécution.

En ce qui concerne la numérisation de la justice, la France a accumulé un retard important par rapport aux autres États européens (par exemple, l’Estonie qui a réussi la transformation numérique de sa justice) comme en témoigne son mauvais classement (20e, 21e ou 22e sur 27 selon les rubriques) dans le tableau de bord 2021 de la justice dans l’Union européenne établi par la Commission européenne (p. 22). La situation est donc « particulièrement critique » (p. 33).

Le PTN poursuivait « des objectifs ambitieux de modernisation des systèmes d’information en englobant les infrastructures et les équipements, les applications et le soutien aux utilisateurs ». En réalité, plus qu’un plan de transformation, le plan est plutôt un « catalogue de projets visant à remettre à niveau un ensemble de systèmes d’information vieillissant et incomplet, c’est-à-dire essentiellement un plan de rattrapage numérique » (p. 33).

Les coûts prévisionnels de réalisation des six principaux projets informatiques du ministère ont augmenté de 60 % en moyenne par rapport à leur évaluation initiale et ils ont progressé de 10 % en moyenne par an entre 2018 et 2020 (p. 21). La construction budgétaire du PTN apparaît « complexe et peu lisible » (p. 32), ce qui rend difficile le rapprochement des crédits annoncés de ceux effectivement votés pour la réalisation du plan. Une présentation budgétaire plus claire devrait permettre, à l’avenir, de distinguer les crédits exceptionnels qui y sont consacrés des crédits courants de fonctionnement du budget informatique (p. 33). Le coût global du plan n’est pas connu faute d’une consolidation des dépenses de l’ensemble du ministère en la matière (p. 47). Les difficultés de reconstitution des dépenses exécutées résultent de « l’absence de maîtrise du suivi budgétaire »(p. 93) des différents projets et du PTN dans son ensemble. Ce problème impacte l’organisation de la fonction informatique : la maîtrise d’ouvrage comme la maîtrise d’œuvre n’ont parfois pas une connaissance précise de la situation budgétaire du projet sur lequel elles travaillent (p. 93). Des outils ont été mis récemment en œuvre pour améliorer le suivi budgétaire (p. 95).

Dans le cadre de l’élaboration du PTN, la coordination avec les auxiliaires de justice a été insuffisante. Les avocats n’ont pas été partie prenante dans les différents projets du fait, notamment, des relations très tendues entre la Chancellerie et le Conseil national des barreaux. Il a fallu attendre la crise sanitaire pour que celui-ci soit associé aux travaux. Cependant, le ministère de la justice et la profession d’avocat « font évoluer de manière parallèle et non concertée des outils qui, demain, devront communiquer entre eux » (p. 39). Les avocats sont insuffisamment associés au déploiement de Portalis tandis que le Conseil national des barreaux modernise sa plateforme « e-barreau » qui abrite le RPVA.

Les évolutions législatives et réglementaires intervenues depuis le lancement du plan (notamment la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) ont eu un impact important sur sa réalisation. Les réformes ont été adoptées en prenant insuffisamment en compte la capacité du ministère de la justice à mettre en place ou à adapter les systèmes d’information nécessaires pour les mettre en œuvre. Ainsi, les réformes de la justice civile, notamment la création du tribunal judiciaire, l’extension de la représentation obligatoire et la « prise de date », ont eu des conséquences sur le déploiement des nouveaux applicatifs. Ces dernières années, la direction des affaires civiles et du Sceau a davantage intégré les contraintes liées aux systèmes d’information et elle les prend désormais en compte au moment de l’élaboration de la réglementation (p. 42).

L’efficacité des dispositifs de gouvernance des différents projets reste insuffisante (p. 71) et « il est difficile d’identifier comment ont été prises les décisions » (p. 77). La Cour préconise de confier la responsabilité opérationnelle de chaque projet à un directeur de projet unique ayant le pouvoir d’actionner « tous les leviers de la performance, et en particulier le levier budgétaire » (p. 77) afin d’assurer un pilotage efficace du projet et une réorientation rapide en cas de nécessité. Il convient également de faire évoluer cette gouvernance en associant davantage les utilisateurs finaux aux différentes instances de pilotage des systèmes d’information (p. 78).

Les projets inscrits dans le premier axe stratégique du plan, relatif aux infrastructures, ont permis de doter le ministère de la justice de nouveaux équipements informatiques et d’un système moderne de visioconférence dont le déploiement a été accéléré lors de la crise sanitaire. Ils ont également permis d’améliorer les réseaux et la téléphonie. En revanche, l’avancement des projets du deuxième axe du plan (applications) est en décalage avec les calendriers initiaux, ce qui entraîne un risque important de dérapage des coûts. Cela est particulièrement vrai pour Cassiopée et Portalis. Or, ces deux projets constituent les éléments centraux du traitement des chaînes pénale et civile. Lancés depuis plusieurs années, ils « accumulent retards et dépassements de budget » (p. 77). Cassiopée n’apporte pas un niveau de satisfaction suffisant aux utilisateurs. En outre, le choix « contestable » de recentrer Portalis sur les usagers (saisines numériques) plutôt que sur les acteurs du service public de la justice a retardé le projet sans apporter un réel bénéfice à l’usager.

Le ministère de la justice doit poursuivre ses efforts pour accélérer sa transformation numérique car la fonction informatique manque encore d’efficacité. Les projets, « monolithiques, fonctionnant en silos les uns à côté des autres » (p. 81), sont de trop grande ampleur. Leur durée de réalisation, trop longue, fait courir un risque important d’obsolescence technique ou fonctionnelle dès leur mise en production. Les budgets prévisionnels sont également très élevés et évoluent généralement à la hausse en raison notamment des retards et des changements de périmètre (p. 82). Quant à la sécurité des systèmes d’information, elle constitue une « véritable préoccupation » (p. 86).

Malgré des efforts de recrutement, le ministère de la justice souffrait encore, en 2020, d’une grande carence en ressources internes. Il s’agit d’un problème majeur. En effet, l’externalisation de la fonction informatique, « très excessive » (p. 88), place le ministère en position de faiblesse vis-à-vis des prestataires privés extérieurs, grandes entreprises de services numériques. Cette dépendance peut nuire à la protection de ses intérêts (p. 89) d’autant que « les clauses contractuelles permettant le déclenchement des pénalités à l’égard des prestataires ne sont que rarement mises en œuvre » (p. 90) malgré la qualité médiocre de certaines prestations et les retards dans leur exécution, notamment dans le projet Portalis. Les modifications de trajectoire des projets ne se sont pas toujours traduites par des évolutions des contrats, ce qui rend leurs clauses inopérantes (p. 90). Cette dépendance du ministère de la justice vis-à-vis des prestataires extérieurs l’empêche d’avoir la maîtrise de ses projets informatiques et le conduit à « s’éloigner des principes de la commande publique » (p 101).

Enfin, « la finalité première de la transformation numérique n’est pas de dématérialiser les procédures mais d’améliorer les services rendus aux usagers en confiant aux agents de l’administration des missions avec une plus grande valeur ajoutée, tout en maîtrisant les coûts » (p. 98). Il convient donc d’évaluer les résultats obtenus pour vérifier qu’ils sont conformes aux attentes et d’accompagner les personnels dans la mise en œuvre des nouveaux outils (p. 100).

Frédérique Eudier

 

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