Actualité jurisprudentielle de la semaine : liquidation du régime matrimonial et vie privée
Bientôt le week-end ! Voici notre suivi jurisprudentiel de la semaine :
. Liquidation du régime matrimonial
. Vie privée
- LIQUIDATION DU RÉGIME MATRIMONIAL
Responsabilité du notaire dans l’évaluation des biens de l’état liquidatif de communauté (Civ. 1re, 6 oct. 2021, n° 19-23.507 D) – Il résulte de l’article 1382 devenu 1240 du code civil que le notaire, chargé d’établir un état liquidatif de communauté, est tenu d’alerter les parties lorsqu’il dispose d’éléments lui permettant de déceler ou de suspecter que les biens en cause ont été manifestement sous-évalués.
Pour condamner le notaire rédacteur de l’acte liquidatif de la communauté de deux époux séparés de corps à indemniser l’épouse, après avoir constaté que deux immeubles attribués à son mari, ont été vendus six mois plus tard pour une somme de 25 % à 30 % supérieure, une cour d’appel relève que ceux-ci ont été notablement sous-évalués et que, en application de l’indice trimestriel du coût de la construction, l’actif de communauté a été amputé d’une somme de 65 416,48 €. Seulement, en se déterminant ainsi, sans constater que le notaire disposait d’éléments lui permettant de déceler ou de suspecter une sous-évaluation manifeste des biens attribués à l’époux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
NB – Voilà une décision de nature à rassurer les notaires. La plus-value réalisée par l’époux attributaire d’un immeuble sous-évalué par eux quelques mois auparavant n’engagent leur responsabilité que lorsqu’ils disposaient alors d’éléments leur permettant de déceler ou de suspecter une sous-évaluation manifeste des biens attribués (comp. Paris, 12 mai 2009, n° 07/17097, AJ fam. 2009. 399, obs. Cl. Lienhard, et dans le cadre d’une vente : Civ. 1re, 11 mars 2014, n° 12-26.562). Ce que la cour d’appel de renvoi devra vérifier. L’occasion pour nous de rappeler que, si les notaires ont accès aux bases BIEN (Paris) et PERVAL (province) pour les aider à estimer un bien, les particuliers et, donc, les avocats peuvent avoir connaissance des prix de vente des biens immobiliers sur les cinq dernières années en se rendant sur app.dvf.etalab.gouv.fr
Au cas d’espèce, on est tout de même un peu surpris que le notaire n’ait pas utilisé l’une des bases notariales précitées pour vérifier la pertinence des valeurs données. En effet, le motif décisoire de l’arrêt fait bon marché du devoir de conseil du notaire, mettant de facto la preuve de la sous-évaluation à la charge du copartageant mécontent, alors que l’on aurait pu penser que le notaire, qui est un professionnel de l’immobilier et un connaisseur averti des prix (sa profession édite un “baromètre” qui fait référence), doit aux parties des actes qu’il reçoit une information complète sur le sujet. Le défaut de base légale est donc ambivalent, et l’on aimerait savoir ce qui serait jugé si une cour d’appel retenait la responsabilité du notaire, faute pour ce dernier d’avoir rempli correctement son devoir de conseil. Tel que le motif est rédigé, on à l’impression qu’au contraire le notaire n’est qu’une caisse-enregistreuse des valeurs dont nul ne sait d’où elles sortent. L’intérêt d’avoir un notaire instrumentaire devrait au contraire conduire au résultat inverse.
Les contestations sur le projet d’état liquidatif ne font pas nécessairement obstacle à une saisie conservatoire (Civ. 1re, 6 oct. 2021, n° 20-14.288 D) – Parallèlement à une procédure de divorce, une épouse a été condamnée sur le fondement de l’enrichissement sans cause à verser à son mari la somme de 183 285 €, somme qui a été déposée sur un compte CARPA. Le lendemain, elle présentait au juge de l’exécution une requête aux fins d’être autorisée à pratiquer une saisie conservatoire auprès de la CARPA au titre de sa créance dans la liquidation du régime matrimonial. Ce qu’une ordonnance a autorisé quatre jours plus tard à hauteur de 210 000 €. Dans la semaine qui a suivi, il a été procédé à cette saisie conservatoire. Un mois plus tard l’époux assignait son épouse en nullité et mainlevée de la saisie conservatoire. Seulement la cour d’appel de Limoges, confortée par la Cour de cassation, a confirmé sa validité.
“C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a estimé, par motifs propres et adoptés, d’une part, que si des contestations persistaient sur le projet d’état liquidatif du régime matrimonial établi par le notaire désigné, la créance apparaissait, en l’état de ce projet détaillé et des observations des parties, suffisamment fondée en son principe, d’autre part, que les revenus dont l’époux avait justifié en 2016 s’avéraient réduits de moitié en 2018 de sorte que la créance invoquée par l’épouse était menacée en son recouvrement”.
NB – Pris sous l’angle des voies d’exécution, l’arrêt ne saurait surprendre. Un principe de créance existe, et son recouvrement est menacé. C”est assez pour obtenir une saisie conservatoire. Le tout n’est que du fait, et relève donc du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. La motivation de la Cour de cassation est donc difficile à prendre en défaut.
En revanche, l’arrêt encourt un peu plus la critique lorsqu’il est examiné sous l’angle du divorce et du droit des régimes matrimoniaux. Formellement, l’arrêt ne dit pas sous quel régime les époux étaient mariés. On comprend de la lecture du moyen de cassation que les sommes dues à l’épouse (et fondant son principe de créance) sont dues par l’indivision, pour plus de 400.000 euros. Indivision post-communautaire ? Légale ? Nul ne le saura jamais. On rétorquera que cela ne change rien à la question que la Cour devait trancher. Certes, mais tout de même.. Procéduralement, on ne sait pas davantage si le notaire ayant établi le projet de liquidation l’a fait sur le fondement de l’article 255, 10° ou en tant que notaire commis dans le partage judiciaire. Là encore, c’est assez regrettable.
Sur le fond, on méditera longtemps sur ce qui s’apparente bien à un “court-circuitage” de la procédure de partage. Bien entendu, c’est la menace pesant sur le recouvrement de cette somme qui a justifié la décision d’appel et explique le rejet du pourvoi, ce qui consacre ce “court-circuitage”. D’ailleurs, nul ne devrait se figurer (à la lecture de l’arrêt) que désormais on peut pratiquer des saisies conservatoires à gogo, juste parce que le notaire indique que l’on a des droits importants dans la liquidation. C’est uniquement parce que ces droits sont manifestement menacés que la saisie est possible. Tout cela on l’entend fort bien.
Reste que le tout donne un résultat étonnant, une sorte de Far-West procédural un brin fouillis, où tous les coups sont permis. Peu importe que le rapport du notaire soit peut-être erroné et qu’il puisse être un jour être modifié par un juge du fond. Les affirmations qu’il contient sont suffisantes pour permettre une saisie conservatoire (parce qu’il existe un risque de non recouvrement, il faut le redire).
À tout le moins, on doit souligner l’importance que prend peu à peu le projet de liquidation du notaire, puisqu’il permet désormais de fonder une saisie conservatoire (s’il y a péril, bien entendu). C’est beaucoup plus que ce que ne dit le droit de partage judiciaire dans sa forme actuelle. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais il serait sans doute temps de réécrire avec plus de précision cette phase du partage judiciaire, car les textes sont sous-dimensionnés par rapport à tous ces développements, et l’on ne peut laisser leur réécriture à la seule jurisprudence de la Cour de cassation. Ce serait à la fois trop long et trop incertain tant que ladite jurisprudence sera en construction.
Avis donc aux avocats… L’adversaire essaie-t-il d’organiser une baisse très sérieuse de ses revenus, de son patrimoine, de nature à rendre incertain le paiement des droits du conjoint tels qu’ils apparaissent dans le projet du notaire ? Qu’à cela ne tienne, il faudra désormais penser à la saisie conservatoire… Pas de chichi, pas de médiation ou de droit collaboratif. pas de droit “soft”, et point de MARD. Non, rien que rustique, du carré, du bon vieux droit des voies d’exécution… Si l’on avait imaginé cela… Rien que ce constat mérite de signaler l’arrêt. A vos colts les amis !
- PERSONNE ET FAMILLE
Les articles sensationnalistes sur le fils décédé, ancien prêtre, d’une femme slovaque ont peu contribué au débat public sur la question des abus sexuels commis par un ecclésiastique catholique romain et ont violé ses droits (CEDH, 14 oct. 2021, M.L. c/ Slovaquie, n° 34159/17) – « Dans les articles en question dans cette affaire, des déclarations peu sérieuses et non vérifiées ont été présentées comme des faits ayant conduit à la condamnation du fils de la requérante. Cette incapacité à distinguer les jugements de valeur a été particulièrement manifeste en ce qui concerne le reportage sur le décès de cet homme. La Cour estime que les juridictions internes n’ont pas procédé à une appréciation adéquate de tous les éléments pertinents en la matière et des preuves disponibles. En outre, les déclarations fantaisistes des journalistes ne relèvent pas d’un journalisme responsable.
Dans la lignée des affaires précédentes, la Cour admet que le sujet des abus sexuels commis par un ecclésiastique catholique romain était d’intérêt public. Cependant, les articles sensationnalistes en l’espèce ont peu contribué au débat public sur cette question.
Dans l’ensemble, la Cour estime que les juridictions internes n’ont pas mis en balance le droit à la vie privée de la requérante et le droit à la liberté d’expression du journal, ce qui a conduit à une violation de l’article 8. » (CEDH, communiqué de presse du 14 oct. 2021).
NB – On ne peut s’empêcher, à la lecture de cette affaire, de penser au récent rapport sur les violences sexuelles dans l’Église catholique.
Jérôme Casey & Valérie Avena-Robardet
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