La protection de l’enfance, l’urgence d’agir ?
Le projet de loi du 16 juin 2021 relatif à la protection des enfants déposé en urgence dans le cadre d’une procédure accélérée, engagée par le Gouvernement, mérite une analyse détaillée. Il contient 6 titres et 15 articles, et renvoie, par ailleurs, à onze décrets d’application dont 6 pris en conseil d’État ainsi qu’à un arrêté. La présente contribution vise à discuter le texte déposé devant l’Assemblée nationale, tout en sachant que le document devrait faire l’objet de nombreux amendements dans les semaines qui viennent au regard du travail engagé par la Commission des affaires sociales et les nombreuses contributions publiées récemment.
Titre I : Améliorer le quotidien des enfants
Art. 1 : Faire de l’accueil par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance la solution de principe. Cette idée particulièrement intéressante pose en réalité la question des organisations et fonctionnements retenus au sein des départements pour que cette disposition soit effective. Parmi les nombreuses questions posées et non tranchées par le texte, la possibilité pour le tiers d’obtenir un soutien de la CAF, celle de la revalorisation des indemnités allouées dans ce cadre ou encore la possibilité d’un avantage fiscal pour le particulier qui assure cet accueil. Par ailleurs, le texte ne porte que sur les mesures judiciaires prononcées en assistance éducative. Or, ce principe gagnerait à être étendu à l’ensemble des mesures de placements, y compris de nature administrative. La généralisation de tels accueils posera également la question de la responsabilité des différents acteurs qui interviennent auprès de l’enfant. Une responsabilité étendue du gardien de l’enfant pourrait, en effet, être un frein à la mobilisation des proches de l’enfant. Le législateur aurait donc tout intérêt à clarifier ce point en amont. Enfin, dans son avis, la Défenseure des droits se dit réservée sur cette disposition et souhaite « alerter les membres de la commission sur le défaut d’encadrement de ces dispositions qui pourraient avoir comme conséquence de maintenir l’enfant dans sa famille en attendant l’évaluation des services compétents, sans que ces derniers ne soient clairement identifiés. Or, en protection de l’enfance, ce qui n’est pas urgent à un instant donné peut rapidement le devenir en fonction de l’âge de l’enfant et des conditions dans lesquelles il vit ».
Art. 2 : Élargissement des possibilités de délégation des « attributs de l’autorité parentale » (C. civ., art. 375-7) lorsque les titulaires de l’autorité parentale « sont poursuivis ou condamnés même non définitivement pour des crimes ou des délits commis sur la personne de l’enfant. Si cette disposition vise à offrir une réponse immédiate à certains enfants ayant subi des infractions de la part de leurs parents, le recours à une telle formulation pose en réalité une question de fond sur la capacité de la justice, notamment pénale, à protéger les enfants victimes de violences. Aujourd’hui, les compétences en la matière sont réparties entre le juge statuant en matière pénale et le pôle familles du tribunal judiciaire, seuls en mesure de porter atteinte durablement à l’autorité parentale en prononçant par exemple un retrait de l’autorité parentale (respectivement, en matière pénale ou civile). Confier au juge des enfants des compétences dans ce domaine conduit à complexifier encore l’organisation judiciaire existante et il n’est pas sûr que ce palliatif conduise, en dehors d’un temps très court, à une meilleure protection, avec le risque que cette possibilité retarde considérablement le changement de statut juridique de l’enfant.
Comme le rappelle l’étude d’impact produite par le Gouvernement, il n’est pas possible aujourd’hui « de prononcer le retrait de l’autorité parentale au stade des poursuites. Il en ressort que le service gardien ou le tiers en charge de l’accueil de l’enfant doit solliciter l’autorisation du juge des enfants pour l’exercice d’un acte relevant de l’autorité parentale si le parent est poursuivi pour un acte délictuel ou criminel commis sur l’enfant. En pratique, cette hypothèse se révèle particulièrement lourde pour l’enfant dont l’agresseur continue à pouvoir prendre des décisions importantes pour sa vie ». S’il s’agit de viser principalement les situations précitées, la formulation du texte gagnerait peut être à être revue au cours du débat parlementaire. En effet, il serait certainement plus clair de viser, non pas les condamnations même non définitives, qui peuvent faire l’objet de retrait, notamment en matière civile, mais plutôt une information systématique du juge des enfants par le Procureur de la République lorsqu’un enfant est concerné par une enquête pénale dans laquelle il est victime de violences intrafamiliales en ouvrant, en cas d’inquiétudes, la possibilité pour le juge des enfants de modifier sur un temps courts, les conditions d’exercice de l’autorité parentale en parallèle de réflexion engagée autour d’un changement de statut juridique pour l’enfant. Par ailleurs, ces dispositions ne peuvent passer sous silence le besoin d’assurer systématiquement la représentation de l’enfant en justice en clarifiant le statut de l’administrateur ad hoc, les conditions et la temporalité dans lesquelles il peut être nommé, et, le cas échéant, les modalités de travail conjoint entre ce dernier l’avocat de l’enfant.
Art. 3 : Interdiction du placement des mineurs et jeunes majeurs dans les hôtels ou les lieux jeunesse et sports : Ce principe est présenté par le Gouvernement comme une nouveauté, pourtant, comme ces structures n’ont jamais fait partie de la liste des établissements sociaux et médico-sociaux fixé à l’article L312-1 du CASF autorisés à recevoir des mineurs ou des jeunes majeurs, l’interdiction existe déjà en partie. En modifiant les textes existants, le projet de loi encadre le recours à cette pratique, en prenant appui sur le rapport de l’IGAS de novembre 2020 qui estime à plus de 5% le nombre de jeunes qui fin 2018 seraient accueilli à l’hôtel au titre de l’aide sociale à l’enfance. Le Conseil d’Etat considère que l’augmentation du coût des accompagnements induit par cette disposition « ne peut être regardée comme une extension de compétences appelant une compensation financière de la part de l’Etat en application des dispositions de l’article 72-2 de la Constitution ». La Haute juridiction administrative estime, à ce titre, que le délai d’un an, retenu par le Gouvernement, avant l’entrée en vigueur de cette disposition est relativement court. Pour l’ANDASS, « la fin progressive du recours à l’hébergement hôtelier devra bénéficier d’un appui technique et financier de l’Etat pour aider la création de nouvelles places adaptées ».
Par ailleurs, le texte pose une interdiction qui n’est pas totale et donc légalise dans le même temps le recours à l’hôtel en renvoyant à un décret les conditions dans lesquelles un tel accueil pourra avoir lieu. Sur ce point, l’enjeu est de savoir si l’accompagnement hôtelier est ou non possible dans le cadre de la mise à l’abri des jeunes se déclarant mineurs non accompagnés, le temps de l’évaluation sociale.
Enfin, l’article 3 2° modifie la définition des établissements et services en protection de l’enfance en ôtant la référence à un accueil « habituel » de mineurs, et en y intégrant les dispositifs spécialisés sur le premier accueil des jeunes non accompagnés. Font désormais partie expressément des établissements de protection de l’enfance, « l’accueil d’urgence des personnes se présentant comme mineurs et privées temporairement ou définitivement de leur familles » (art. 312-1 1° du CASF). En outre, le projet de loi ajoute à la liste des établissements et services sociaux et médico-sociaux une catégorie supplémentaire d’établissements chargés de la mise en œuvre « des mesures d’évaluation de la situation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leurs familles ». Dans une première version du projet de loi, il était proposé de fixer des normes sur les critères d’encadrement dans les établissements sociaux et médico-sociaux en protection de l’enfance. Ce sujet déjà envisagé par la stratégie nationale de la protection de l’enfance, et ayant fait l’objet de réflexions au sein du CNPE, visait à répondre à une situation d’exception puisque les établissements et services de la protection de l’enfance sont aujourd’hui les seuls établissements sociaux et médico-sociaux à ne pas disposer d’une réglementation minimum proposant une approche à la fois quantitative et qualitatives en terme de moyens humains nécessaires à l’encadrement des enfants et des jeunes majeurs. Une telle réglementation apparaît déterminante pour offrir aux enfants en danger les mêmes droits que les autres, elle est également particulièrement sensible au regard des difficultés actuelles de recrutements de professionnels qualifiés en protection de l’enfance. On peut donc regretter qu’elle ne fasse pas l’objet d’une réflexion élargie entre l’Etat et les départements sur l’avenir de ces métiers et les moyens d’offrir un regain d’intérêt pour ce secteur.
Titre II : mieux protéger les enfants contre les violences
Art. 4 : Élargissement des condamnations pénales pour les professionnels et les bénévoles qui exercent dans des établissements pour mineurs
Cette disposition suit en partie les recommandations énoncées dans le rapport annuel 2019 du Défenseur des droits, visant à renforcer le contrôle des personnes exerçant dans les établissements qui accueillent des mineurs. Le contrôle des casiers est ainsi étendu à l’ensemble des personnes qui exercent « à un titre permanent ou occasionnel », professionnel ou bénévole. Le texte permet, par ailleurs, de faire des vérifications des antécédents judiciaires avant l’exercice des fonctions mais aussi lors de leur exercice, et renvoie à un décret en conseil d’Etat sur les modalités de mise en œuvre de ce contrôle. L’étude d’impact précise que « dans le champ de la protection de l’enfance et de la petite enfance, ces contrôles ont vocation à concerner environ 1 100 000 professionnels, auxquels il faut rajouter les bénévoles dont la volumétrie reste à déterminer (Source DREES, 2017) ». Selon le Gouvernement, « le contrôle des intervenants en contact avec les mineurs devrait se greffer sur un outil préexistant, ce qui aura pour conséquence de limiter le coût financier. Le coût de l’extension du « SI Honorabilité » avoisinerait les 100 000 euros, sous réserve toutefois d’une étude fonctionnelle de l’outil. La mesure induirait un coût en ressources humaines au niveau des services déconcentrés de l’Etat (DREETS) avec le recrutement envisagé de 10 ETP pour les 18 DREETS à compter de 2022 permettrait de répondre au besoin ». Sur les modalités de mise en œuvre de ce texte, l’ANDASS estime qu’il sera nécessaire d’établir un circuit direct entre chaque employeur public ou associatif et les services de l’Etat chargés des casiers judiciaires : « ce contrôle dans les phases de recrutement de professionnels ne peut être réalisé par les Départements pour les établissements sous autorisation ». Sur ce volet, les choix fait à un niveau règlementaire seront donc déterminants pour garantir le caractère opérationnel de cette disposition. Par ailleurs, le défenseur des droits estime dans l’avis rendu sur le texte que ces « dispositions doivent s’appliquer y compris aux établissements hôteliers et à leurs personnels, puisque le Gouvernement a fait le choix de ne pas interdire ce type d’accueil ».
Si le renforcement des contrôles des professionnels comme des bénévoles est, incontestablement, un progrès, on peut néanmoins regretter que le texte n’aille pas plus loin sur la question de la qualité des accueils. Le texte passe, par exemple, sous silence les contrôles conjoints entre les départements et les services de l’Etat, pourtant évoqué un temps par la stratégie nationale de protection de l’enfance, notamment pour les structures accueillant des jeunes sur décisions judiciaires.
Art. 5 : L’inscription de la politique de prévention et de lutte contre maltraitance dans les projets de service des établissements.
Dans l’avis rendu sur le projet de loi, le HCFEA considère que cette disposition n’est pas « une mesure suffisante de prévention contre les violences institutionnelles ». Quant au défenseur des droits, il propose « d’inscrire enfin, dans le CASF et le code de l’éducation, l’interdiction de toutes formes de violences éducatives, physiques ou psychologiques, châtiments corporels ou traitements humiliants à l’égard des enfants à l’instar de ce que prévoit désormais le code civil pour les titulaires de l’autorité parentale ». Cette proposition aurait pour les violences les plus graves une portée principalement symbolique puisque ces violences sont déjà condamnées par le code pénal. En revanche elle permettrait de condamner peut être plus facilement les violences « éducatives ordinaires », c’est-à-dire les violences légères, mais répétées. Enfin, la démarche nationale de consensus pour un vocabulaire partagé de la maltraitance des personnes en situation de vulnérabilité, et la recherche-action qui en découle sur les circuits de signalements, pourrait utilement alimenter cette politique.
Art. 6 : Généralisation du référentiel évaluation produit par la HAS.
Cette disposition fait l’objet d’avis partagé : Le CNPE émet un avis défavorable à une inscription dans la loi, considérant que cette disposition relève du réglementaire et, sur le fond, entre en contradiction avec les plans de formation déjà financés par de nombreux départements. Le HCFEA a, quant à lui, émit un avis très réservé insistant sur le fait qu’il existe d’autres références. Le Défenseur des droits au contraire est favorable à cette disposition. Si cette disposition est retenue, elle conduira à un glissement qui est loin d’être anodin dans le secteur. En effet, depuis plusieurs années, les référentiels d’évaluation étaient développés au niveau local. Fort de ces expériences, le CREAI Rhône Alpes et l’Observatoire national de protection de l’enfance avait construit une démarche de recherche-action et mis en place un référentiel déployé dans une quarantaine de départements, régulièrement mis à jour des connaissances scientifiques produites sur le sujet, et bénéficiant des retours des départements utilisateurs du document avec l’existence d’un comité de suivi inter-départements. Le projet de loi passe sous silence ces initiatives et l’étude d’impact souligne simplement, que « les conseils départementaux auront en charge la formation de leurs équipes chargées de l’évaluation des situations de danger au sein des cellules de recueil des informations préoccupantes à l’utilisation du cadre national de référence. A cette fin, ils disposent d’ores et déjà d’une présentation du référentiel réalisée en webinaire par la Haute autorité de santé accessible en ligne afin de sensibiliser les cadres sur le nouveau cadre de référence et son contenu ». Le silence du Gouvernement sur les moyens à mobiliser par les départements pour former l’ensemble de leurs équipes est surprenant au regard de la taille de ce référentiel et de sa technicité. Par ailleurs, le déploiement d’une formation au long court va rapidement poser la question de l’actualisation du référentiel au regard des connaissances universitaires disponibles.
Titre III : Améliorer les garanties procédurales en matière d’assistance éducative
Art. 7 : possibilité de formation collégiale, à la demande du Juge des enfants, en assistance éducative.
Cette proposition qui figurait déjà au sein de la stratégie nationale de protection de l’enfance vise à lutter contre l’isolement du juge des enfants. La Défenseure des droits invite le ministère de la Justice à renforcer l’ensemble des moyens à la disposition des juridictions pour mineurs, au risque sinon de rendre cette disposition ineffective. Plus globalement, une telle disposition qui prend en compte la taille de certains tribunaux et n’exige pas, de ce fait, que les juges siégeant dans ces formations collégiales soient des juges spécialisés, interrogent sur la qualité des décisions rendues dans ce cadre. L’ANDASS souligne enfin qu’une telle disposition gagnerait à faire l’objet d’une étude d’impact préalable afin d’assurer qu’une telle organisation ne conduisent pas à complexifier les procédures existantes et à augmenter les délais permettant une prise de décision adaptée à la temporalité de l’enfant.
Art 8 : renforcement de la disposition créée par la loi du 14 mars 2016 sur l’information du juge des enfants par le président du conseil départemental en cas changement lieu d’accueil .
La disposition prévoit une information qui, en cas d’urgence, doit se faire dans les meilleurs délais, et supprime les exceptions initialement prévues par la loi de 2016. Cette disposition est intéressante mais pose la question de son opérationnalité et des suites données à cette information. Autrement dit, en cas de changement de lieu d’accueil conflictuel entre les parents, l’enfant et le service ou encore si le Juge des enfants n’est pas favorable au changement de lieu d’accueil de l’enfant, quels seront les moyens de la justice pour intervenir ? Le texte ne le dit pas.
Titre IV : Améliorer l’exercice du métier d’assistant familial
Art. 9 à 11 : dispositions sur l’accueil familial. Ces dispositions prévoient :
- des règles d’encadrement des salaires visant à améliorer les conditions de travail des assistants familiaux et l’évolution de leur contrat de travail en précisant le nombre de mineurs ou jeunes majeurs susceptibles de leur être confiés, ainsi que la possibilité pour l’employeur de prévoir une clause d’exclusivité ou des restrictions aux possibilités de cumul d’employeurs (art.9) ;
- la création d’une base nationale recensant les agréments délivrés aux assistants familiaux par les présidents des conseils départementaux (art. 10) ;
- la possibilité pour l’assistant familial de continuer à travailler au-delà de la limite d’âge, dans la limite de trois ans, pour poursuivre un accueil (art.11).
L’étude d’impact remise par le gouvernement s’appuie sur une enquête que la DGCS a réalisée auprès de 27 départements :
- sur l’augmentation de la rémunération des assistants familiaux au moins égale au SMIC : selon l’étude précitée, « le coût annuel moyen par département est estimée, à partir des retours d’enquête des départements, à 473 010 €, avec une fourchette allant de 0 à 2 447 845 €, dépendant évidemment de la taille de la collectivité départementale » ;
- sur le maintien du salaire à 80% en absence d’enfant confié, le Gouvernement se contente de s’appuyer sur l’étude de la DREES pour considérer qu’il y a peu de place non pourvu (autour de 10%). Le Gouvernement ajoute qu’ « il n’existe pas de réponse homogène puisqu’aucun employeur ne rémunère les assistants familiaux de la même façon » ;
- sur le maintien de la rémunération, hors indemnités d’entretien et de fournitures, pendant quatre mois en cas de suspension d’agrément : L’étude d’impact souligne qu’« en s’appuyant sur les données fournies par la DREES en 2017, sur les 50 400 agréments d’assistants familiaux en cours de validité, 140 ont été suspendus. Ainsi, le coût est actuellement de 119 105 €, selon la réglementation en vigueur[1]. Avec le maintien de la rémunération des assistants familiaux concernés que prévoit le nouvel article de loi proposé, le coût serait de 217 641 € en cas d’accueil d’un unique enfant. Ce coût sera plus important dans les hypothèses où plusieurs enfants seront confiés à l’assistant familial suspendu de ses fonctions ou que la rémunération offerte par l’employeur sera supérieure au minimum fixé par la loi. Ce coût devrait être réparti sur le territoire à proportion des assistants familiaux suspendus ».
Ces éléments sont assez surprenants car ils constituent des montants épars, donnant difficilement une idée du coût global de la mesure. Plus largement, et bien que ces éléments ressortent assez peu des avis rendus, il semble essentiel de s’assurer que la mise en œuvre de ces dispositions n’ait pas d’effets contraires à ceux recherchés. En effet, en augmentant le coût de l’accueil familial, mais aussi et surtout en généralisant l’usage de la clause d’exclusivité, le risque est de rigidifier le système existant, et par ce biais, de complexifier le recours à l’accueil familial, là où la première intention est de le développer. Par ailleurs, le salaire minimum mis en place sans contrepartie, pose la question de l’intérêt que certains assistants familiaux pourront avoir à refuser des accueils qui seraient jugés plus difficiles en raison des besoins de l’enfant (situation de handicap, déscolarisation, soins, etc.).
Le texte propose par ailleurs la création d’une base de données relative aux agréments délivrés aux assistants familiaux. Selon l’étude d’impact, « des moyens financiers seront nécessaires pour développer le système d’information. La première estimation réalisée indique qu’il faudra prévoir entre 200K€ et 250K€, afin de proposer une application permettant l’accès sécurisé à une base recensant les agréments délivrés par les présidents des conseils départementaux aux assistants familiaux ainsi que les suspensions et retraits d’agrément. Ce chiffrage comprend la chefferie de projet et les différentes prestations liées à la sécurité ». Des moyens humains (non estimé) devront être également mis à disposition sur la gestion de ce fichier qui devrait relever du nouveau groupement d’intérêt public. Sur le fond, on peut s’interroger sur le périmètre de ce fichier : sous réserve de la conformité à la RGPD, un fichier commun aux agréments et retraits des assistants familiaux et maternels pourraient être particulièrement intéressant pour garantir la qualité de ces accueils dans leur ensemble, mais aussi, pour permettre une communication partagée en direction de ces professionnels, pourquoi pas, à terme, en favorisant les passerelles entre ces deux corps de métiers.
Au-delà de ces premières observations, l’ANDASS regrette que le sujet de l’accueil familial ne soit abordé que par le prisme de la rémunération et du statut des assistants familiaux. L’association propose de favoriser ce type d’accueil avec un maillage territorial plus soutenu, de renforcer une politique ambitieuse de diversification de l’offre (accueil familial, mais aussi parrainage, accueil bénévole, accueil solidaire expérimenté dans certains départements, etc.) afin de « désinstitutionnaliser la protection de l’enfance » et souligne l’appui que l’Etat pourrait apporter en matière de communication pour favoriser des vocations au sein de la société civile.
Plus globalement, dans son avis, le CNPE fait remarquer que « tous les salariés de la protection de l’enfance doivent faire l’objet d’une amélioration des conditions de travail pour permettre de préserver et pourvoir des emplois absolument nécessaires à l’accompagnement des enfants ». Ce complément est d’autant plus important que plusieurs professions ont récemment fait l’objet de réflexions au niveau national avec des revalorisations salariales à la clé comme pour les professions de la santé ou encore les forces de l’ordre. Aujourd’hui, la reconnaissance du travail social en protection de l’enfance, au regard de la technicité de l’accompagnement et de l’engagement fort des professionnels, apparait déterminante pour favoriser la qualité de l’accompagnement des enfants et des familles et trouver des réponses concrètes face aux nombreuses vacances de postes dans ce champ particulièrement exposé aux effets de la crise sanitaire.
Titre V : Mieux piloter la politique de prévention et de protection de l’enfance
Art. 12 : définition de priorités pluriannuelles d’action en matière de protection et de promotion de la santé maternelle et infantile par le ministre chargé de la santé.
Cet article propose de passer d’une logique de pilotage par l’activité à une logique de pilotage par objectifs en santé publique. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi prévoit à ce titre la généralisation du Bilan médical en école maternelle, réalisé par le médecin de PMI avec une prise en charge à 100% par l’assurance maladie : « au total, le surcoût pour l’assurance maladie par rapport à la situation actuelle peut être estimé selon les deux hypothèses haute et basse pour 2022 dans une fourchette de 3,8 à 5,3 millions d’euros ; en 2023 dans une fourchette de 8,5 à 10 millions d’euros». L’effectivité de cette mesure sera conditionnée à la possibilité de dégager au sein des services départementaux de la PMI, les moyens humains suffisants pour systématiser cette mission.
Dans son avis, la Défenseure des droits rappelle par ailleurs que le rapport de la députée Michèle Peyron recommandait d’aller plus loin, en fixant des objectifs socles et des normes minimales opposables aux départements par voie règlementaire dans ce domaine.
Art. 13 : La redéfinition des institutions compétentes en matière de protection de l’enfance, d’adoption et d’accès aux origines personnelles
Cet article modifie le périmètre du conseil national de protection de l’enfance, qui n’est plus directement rattaché au premier ministre et est désormais composés « de deux députés, deux sénateurs, de représentants des services de l’Etat, de magistrats, de représentants des conseils
départementaux, de représentants des professionnels, de représentants des associations gestionnaires d’établissements ou services de l’aide sociale à l’enfance et d’associations œuvrant dans le champ de la protection des droits des enfants, de représentants d’associations de personnes accompagnées, ainsi que de personnalités qualifiées ». Par ailleurs, le texte renvoie à un nouveau décret sur sa composition, son organisation et son fonctionnement.
Le texte propose également la création d’un nouveau groupement d’intérêt public qui suit pour partie les conclusions du rapport de l’IGAS sur la création d’un organisme nationale dans le champ de la protection de l’enfance, publié en 2020 (https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article796). Après de multiples rebondissements, le projet de loi de juin 2021 propose la création d’un nouveau groupement d’intérêt public réunissant le GIPED, l’AFA et le CNAOP. La formulation retenue conduit par ailleurs à maintenir l’Observatoire national de protection de l’enfance avec un périmètre élargi et à réaffirmer les missions de ce nouveau GIP en termes de promotion de la recherche et de l’évaluation sur ces différents sujets. Sur le volet statistique, la gestion des données est transférée à la DREES.
Selon la Défenseure des droits, « le projet de loi ne peut que laisser perplexe quant à la simplification de l’architecture proposée et à son opérationnalité sur les territoires. Le Conseil d’Etat souligne également dans son avis, que « les objectifs poursuivis ne pourront pas être pleinement atteints par cette réforme organisationnelle ».Plus globalement, la Défenseure des droits souligne que « les ruptures dans les parcours de santé, de protection, d’éducation, du fait des organisations en silos des institutions, sont une réalité, maintes fois dénoncée par l’institution dans ses travaux, car elles conduisent à la fois à des violences institutionnelles faites aux enfants, en les éloignant de leur protection et de leur droit, et à une perte de sens pour les professionnels » et que ces difficultés sont accrues avec la crise sanitaire.
Titre VI : Mieux protéger les mineurs non accompagnés
Art 14 : modification de la clé de répartition des MNA avec l’ajout d’un critère socio-économique et d’un critère sur le nombre de jeunes majeurs accompagnés par le département au titre de la protection de l’enfance.
Il s’agit ici d’inciter les départements à poursuivre la prise en charge des mineurs non accompagnés une fois ces derniers devenus adultes. Sur ce point, la Défenseure des droits « déplore que ne soit toujours pas envisagé de tenir compte, dans le système de répartition nationale, du nombre de jeunes qui se présentent spontanément pour un accueil et une évaluation dans les départements afin d’éviter de pénaliser les départements où arrivent un grand nombre de jeunes exilés primo-arrivants ». A ce jour, l’impact de telles dispositions est très variable d’un département à l’autre. Le choix de la clé de répartition, au-delà de sa définition légale, pose en réalité une question très technique liée à la pondération entre les différents critères qui composent cette clé pour assurer l’effet escompté. Il s’agit ici d’encourager l’accompagnement jeunes majeurs, et, plus globalement, garantir une répartition des efforts entre l’ensemble des départements français au regard des deux missions qui leurs sont confiées, à savoir : garantir la qualité du premier accueil et de l’évaluation de ces jeunes mais aussi protéger aussi vite que possible et dans les meilleures conditions les jeunes reconnus mineurs.
Art. 15 : recours à la préfecture obligatoire et alimentation mensuelle du fichier AEM par les départements sous peine de sanction financière.
Cette disposition est surprenante car elle s’inscrit en doublon des dispositions déjà envisagées au sein du projet de loi 4D actuellement en cours de discussion. Elle créé également une zone importante de risque pour le droit des personnes se déclarant mineures puisque les textes transforment la possibilité pour le département de saisir la préfecture, en une obligation légale incombant au président du conseil départemental. Par ailleurs, le transfert des données de l’ensemble des décisions de non admission devient obligatoire, mensuel et alimentera le fichier AEM, sans aucune garantie sur les suites données. Contrairement à l’avis rendus par le Conseil d’Etat sur la loi 4D et sur le projet de loi ici commenté, la Défenseure des droits estime ces dispositions sont contraire à la jurisprudence constitutionnelle. Par ailleurs, elle souligne « la nécessité de prévoir un administrateur ad hoc, indépendant, financé par l’Etat, nommé pour accompagner, soutenir, informer le mineur non accompagné dès sa première présentation aux services en charge du recueil d’urgence et de l’évaluation, et jusqu’à décision définitive le concernant ». Elle recommande également que soit proscrite toute réévaluation d’un mineur non accompagné, confié par l’autorité judiciaire, par les départements après orientation nationale.
Enfin, le texte présenté aux instances consultatives (CNPE, CNLE et HCFEA) contenait des dispositions supprimées avant le dépôt du projet de loi définitif qui mérite d’être soulignées au regard de leur contenu et des réactions qu’elles ont pu susciter. En effet, dans une première version du texte, le Gouvernement proposait de « sécuriser » la garde à vue et la détention des personnes (mineurs ou jeunes majeurs) ayant commis des crimes et délits et autorisait, sous certaines conditions, une prise d’empreinte « contraignante » pour les mineurs et jeunes majeurs. Ces dispositions sont à mettre en lien avec le rapport de mars 2021 produit par la commission des lois de l’assemblée nationale, portant sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés. Les dispositions envisagées dans le cadre du projet de loi ne proposaient finalement qu’une approche répressive du sujet visant à favoriser le recours à la détention provisoire sans pour autant se donner les moyens de construire un parcours éducatif et d’insertion pour ces jeunes. Or, parmi d’autres initiatives, un colloque récent organisé par les services de la protection judiciaire de la jeunesse sur « l’expérience carcérale des Mineurs non accompagnés » montre que le taux de suicide, de dépression ou encore de mal-être de ces enfants et jeunes majeurs non accompagnés incarcérés s’est accru ces dernières années. Ces mesures répressives n’ont donc de sens que dans la mesure où elles sont accompagnées du développement de moyens au sein des services de l’Etat permettant un accompagnement global de la santé physique et mentale de ces enfants et jeunes majeurs, mais aussi un travail permettant de consolider leur identité. Pour les mineurs, il apparait indispensable de leur assurer une représentation légale. Le texte aurait pu notamment prévoir pour ces enfants la désignation systématique d’un Administrateur ad hoc et chaque fois que nécessaire, la désignation d’un avocat. Ces éléments sont indispensables pour penser le parcours de l’enfant et garantir ses conditions de sortie. Enfin, la version initiale du texte passe entièrement sous silence la question des moyens de l’évaluation de la minorité et de l’isolement alors même qu’il existe aujourd’hui une inégalité de traitement sur ce volet selon que le jeune entre par la voie pénale ou par la voie civile. Faute de traiter l’ensemble de ces questions et face aux critiques suscitées par les dispositions prises, le Gouvernement fait le choix de les supprimer, purement et simplement.
Pour conclure, protéger les enfants et les jeunes est aujourd’hui un sujet urgent et d’autant plus important que la crise économique et sociale que nous vivons risque d’aggraver leurs situations. Il n’est néanmoins pas certains qu’agir en urgence dans cette situation, avec un projet de loi très technique, sans réelle ambition politique, soit la solution. La crise sanitaire a en effet pour risque intrinsèque l’augmentation des difficultés rencontrées par les enfants, liées, notamment, à l’accroissement des inégalités en termes de parcours scolaire ou encore d’insertion sur le marché de l’emploi, mais aussi à une surexposition des enfants à des situations familiales complexes (hausse de la précarité, augmentation des violences intrafamiliales et risque de dégradation de la santé mentale des adultes qui les entourent). La situation est donc grave et si elle appelle une réponse législative, celle-ci doit absolument être à la hauteur des enjeux en tenant compte de la réalité vécue par les enfants, les familles et les professionnels et en tenant compte de leurs retours. Or, aujourd’hui, le projet ne présente pas les garanties juridiques nécessaires pour :
- faire de la réussite scolaire des enfants protégés une dimension centrale de l’accompagnement en renforçant les liens, y compris juridiques, entre les services de l’éducation nationale en charge de l’obligation scolaire et de la lutte contre le décrochage scolaire avec les services de l’aide sociale à l’enfance et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse ;
- poursuivre les efforts engagés afin de systématiser l’accès aux soins somatiques et psychiques des enfants accompagnés en développant une offre en pédiatrie et en pédopsychiatrie adaptées aux besoins de ces enfants ;
- Construire les conditions d’une insertion sociale et professionnelle réussies pour chaque jeune majeur rencontrant des difficultés éducatives et sociales (en s’inspirant, par exemple, de la proposition de loi Bourguignon et en affirmant que l’accompagnement jeunes majeurs est un droit) ;
- penser également des accompagnements adaptés pour les jeunes en situation de grande exclusion qui n’adhèrent à aucun accompagnement ;
- renforcer le statut juridique des enfants victimes de violences, en reprenant les nombreux rapports qui demandent que les administrateurs ad hoc soient reconnus comme des professionnels à part entière, disposent d’une formation digne de ce nom et soient rémunérés en conséquence ;
- assurer la participation et la défense des droits des enfants, comme des parents, en systématisant l’information sur leurs droits à l’égard des services qui les accompagnent, parmi lesquels le droit d’être représenté par un avocat, notamment en assistance éducative ;
- s’assurer, comme l’évoquait la stratégie nationale de protection de l’enfance que les fratries puissent être accueillies ensemble en cas de danger ou de risque de danger dans leur environnement familial, lorsqu’une étude comme ELAP montre que 75% des jeunes majeurs interrogés appartienne à une fratrie de trois enfants ou plus et ont majoritairement été séparée de tout ou partie de leur frère(s) et sœur(s) en cas de placement ;
- garantir que les mineurs non accompagnés soient considérés avant tout comme des enfants en danger et bénéficient du même accès aux services publics que les autres enfants en danger ; développer dans ce cadre des garanties permettant à la fois la représentation en justice et l’accompagnement des enfants en conflit avec la loi ; pour les jeunes évalués majeurs, organiser les services de l’Etat pour permettre un accueil décent de ces publics, notamment des plus vulnérables, conformément à la règlementation européenne ;
- s’assurer, enfin, et à titre non exhaustif, de la transversalité des politiques publiques et d’une gouvernance de la protection de l’enfance simplifiée qui permette d’assurer la qualité de l’accompagnement proposé dans chaque département
Flore Capelier, docteur en droit public, membre associé au CERSA, Université Paris 2
[1] Article D.423-3 du code de l’action sociale et des familles : « En cas de suspension de leur fonction en application de l’article L. 423-8
[2] https://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/Politiques_pour_enfants_en_danger_Rapport_INED_2012.pdf tableau 10, p.42
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