Projet de loi relatif à l’enfance : inquiétudes
Le projet de loi relatif à l’enfance qui sera présenté demain en Conseil des ministres génère des inquiétudes. Une pétition vient d’être lancée pour défendre l’importance d’un observatoire national de protection de l’enfance et, plus largement, une politique ambitieuse qui se fonde sur des travaux scientifiques.
Suite à la parution d’un projet de loi relatif à l’enfance qui sera présenté ce mercredi 16 juin au Conseil des Ministres, plusieurs membres du conseil scientifique de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance ont souhaité prendre la parole afin de soutenir un projet politique d’envergure visant à promouvoir les droits des enfants et des familles. Il apparaît en effet essentiel pour notre société d’investir dans sa jeunesse, dans « le monde d’après », en offrant une place pour tous les enfants et toutes les familles, y compris les plus fragiles.
La communauté scientifique souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les effets contreproductifs que pourrait avoir une loi qui ne porterait pas une ambition forte s’appuyant sur la connaissance des enfants en danger, de leurs familles et des professionnels qui les accompagnent.
La crise sanitaire nous a rappelé que la protection de l’enfance, première politique de lutte contre les inégalités, est une cause politique majeure. Les premières études sur les effets de la crise sanitaire, comme les chiffres produits par les organisations internationales, dont l’OCDE, dressent plusieurs constats alarmants sur l’augmentation de la pauvreté (+7,5% de bénéficiaires du RSA en plus en France, en 2020 selon la DREES), l’augmentation des violences intrafamiliales auxquelles les femmes, mais aussi et surtout les enfants sont exposés, et enfin, la dégradation du marché du travail alliée à un risque de décrochage scolaire accru qui posent plus que jamais la question de l’insertion sociale et professionnelle des enfants protégés. Comme le rappellent les observations de l’ONPE (mai 2020 et février 2021), tous les effets de cette période sur les enfants et les familles françaises sont loin d’être mesurés et il est urgent de pouvoir anticiper l’impact que cette crise sanitaire, mais aussi économique et sociale, aura sur les générations futures.
Plusieurs avis ont été rendus sur le détail de la loi (notamment par le HCFEA, le CNPE et l’ANDASS) et mettent en évidence des délais « trop courts pour faire un travail de fond », contrairement aux concertations élargies proposées pour construire les lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016. Le conseil scientifique souhaite porter à la connaissance du Gouvernement l’intérêt de mobiliser dans le cadre de cette nouvelle réforme les travaux produits par la communauté scientifique et, notamment les recherches issues de travaux produits ou soutenus par l’ONPE, qui pourraient alimenter le projet de loi.
- Renforcer la prévention pour faire face à l’augmentation de la pauvreté qui entraîne un risque d’augmentation des situations de détresse au sein des familles.
- Repenser les actions à domicile et l’attention qui leur est portée pour tenir compte des constats dressés par les recherches récentes menées autour des mesures de milieu ouvert mais aussi des bonnes pratiques identifiées. A ce titre, les travaux d’Anna Rurka, Andrea Barros et Louis Mathiot (2020) récemment publiés et soutenus par l’ONPE, ainsi que le rapport de consensus de la commission Gueydan (2019) sur les interventions à domicile mettent en évidence des marges de progression, mais aussi l’intérêt d’une intervention intensive laissant une place prépondérante à l’accompagnement et à la médiation scolaire. Les premières productions menées dans le cadre de la démarche d’Observation Longitudinale Individuelle et Nationale en Protection de l’Enfance (Olinpe) montrent également que, pour les enfants protégés avant 5 ans, les interventions à domicile sont les premières mobilisées, d’où l’intérêt d’intensifier ces mesures.
- Renforcer la mise en œuvre du premier accueil, en humanisant nos fonctionnements et nos organisations et en permettant le développement de solutions innovantes, soutenues par l’Etat pour assurer l’accueil des fratries dans un même lieu, et plus largement, la création de contrôle conjoint entre l’Etat et les conseils départementaux pour garantir la qualité des accompagnements proposés au sein des établissements et services autorisés et financés au titre de la protection de l’enfance.
- Renforcer la stabilité des parcours des enfants: de nombreuses recherches soutenues et financées par le conseil scientifique menées notamment par Pierrine Robin (2017) et Ludovic Jamet (2020) démontrent l’importance pour ces enfants de créer des liens respectueux et sécurisants avec les professionnels qui les entourent. Dans l’attente des réponses à l’appel thématique lancé en 2021 par l’ONPE sur ce sujet, plusieurs recherches déjà soutenues dressent des constats utiles. Pour exemple, Bernadette Tillard, Coralie Aranda et Lucy Marquet (2020) ont montré la nécessité de mieux soutenir les proches accueillant des orphelins, par ailleurs, Emilie Potin (2018) met en évidence les enjeux soulevés par l’usage des technologies numériques pour maintenir les liens. Or, aujourd’hui ces liens sont mis à mal puisque s’ajoute à la crise sanitaire un contexte de vacances de postes et de turn over sans précédent dans le champ de la protection de l’enfance.
- Simplifier les textes autour du statut de l’enfant pour assurer que l’impulsion donnée par la loi du 14 mars 2016 et le changement de statut de l’enfant l’aide à s’épanouir durablement au sein de la société. Parmi les pistes de réflexions possibles et déjà évoquées par Nathalie Chapon et Caroline Siffrein-Blanc (2017), ou encore dans le cadre des travaux réalisés par Adeline Gouttenoire et l’ONPE (2014 ; 2018), un toilettage des textes sur les différents statuts juridiques de l’enfant et la réforme de l’adoption simple.
- Garantir la santé globale et l’accès aux soins des enfants: les travaux de Daniel Rousseau (2013), d’Elsa Zotian (2017) sur les enfants de moins de 6 ans, ainsi que ceux de l’équipe de Catherine Quantin (2020) sur le parcours médical hospitalier et libéral des enfants de moins de 5 ans maltraités, montrent l’importance d’agir au plus tôt dans le parcours de ces enfants. La recherche de Séverine Euillet, Juliette Halifax, Pierre Moissard et Nadège Séverac (2016) rappelle la nécessité de renforcer le suivi médical régulier des enfants lorsqu’ils sont suivis au titre de l’aide sociale à l’enfance. Les travaux de l’équipe de Jean-Marc Baleyte (2019) insistent sur la coordination pluriprofessionnelle dans les soins à apporter aux enfants protégés porteurs de handicap et appellent une réaction forte des pouvoirs publics pour permettre des regards croisés dans les accompagnements proposés à un titre éducatif, sanitaire, ou encore médico-social.
- Lutter contre l’échec scolaire des enfants protégés : l’échec et le retard scolaire des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance rappelé par Isabelle Fréchon (2016) et faisant l’objet de l’appel à projet de l’ONPE 2019, appellent une réponse des pouvoirs publics, non pas en urgence, mais concertée avec les professionnels de la recherche, de l’éducation, du droit et de la justice, du social et du médico-social pour trouver ensemble les solutions pour promouvoir un plus grand respect des droits des enfants et des familles.
- Faire de l’aide jeunes majeurs un droit inconditionnel pour tous les enfants en s’appuyant sur le rapport de l’ONPE de 2015, toujours d’actualité sur le sujet, mais aussi sur les chiffres produits par l’étude Elap qui montrent, sur la base d’une étude de cohorte, l’existence d’une corrélation entre la durée de l’accompagnement jeunes majeurs et la réussite sociale et professionnelle du jeune. L’abaissement de la majorité en 1974 a conduit les enfants protégés à perdre le droit « acquis » d’une prise en charge jusqu’à 21 ans. Il apparait essentiel de restituer ces enfants dans leur droit comme le prévoit d’ailleurs la proposition de loi Bourguignon. En parallèle, ce projet de loi pourrait être l’occasion de penser la complémentarité des actions mises en œuvre, par le département au titre de l’aide sociale à l’enfance et par l’Etat, en renforçant les actions dédiées à ce public mises en place par la mission locale, le Crous, la MDPH, les foyers jeunes travailleurs, etc. ; de réfléchir également à la possibilité pour ces jeunes d’accéder à un revenu universel le temps d’obtenir un premier emploi; de penser enfin l’accompagnement à long terme de certains jeunes en grande souffrance psychique qui sont durablement empêchés en raison des traumatismes vécus pendant l’enfance.
- Garantir à l’ensemble des enfants protégés les mêmes droits, qu’ils soient en danger (situation de maltraitance, non accompagnés…), ou en situation de handicap et développer au niveau national une communication positive afin de lutter contre les préjugés et les stigmatisations dont ces enfants peuvent être victimes, et en tenant compte de la vulnérabilité de ces enfants en lien avec les traumatismes liés à leurs parcours migratoire, comme le montre le dossier thématique produit par l’ONPE (2017), les recherches de Sarra Chaiëb (2016), lauréate du prix de thèse de l’ONPE et de la Fondation de France, et de Noémie Paté (2018), lauréate du prix de thèse du Défenseur des droits.
Au vu de l’importance qu’il y a à développer et diffuser ces connaissances, il nous semble enfin que dans le cadre de la réforme de la gouvernance nationale, le projet de loi est l’occasion de consacrer le lien essentiel entre pratique et recherche dans le champ de l’enfance. Nous demandons que soit expressément maintenu le fondement légal de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance, en l’élargissant à la production et à la diffusion de connaissances sur l’adoption et l’accès aux origines, et l’existence d’un conseil scientifique autonome dans ses décisions et positions scientifiques. C’est à cette condition que peuvent être maintenues la légitimité, la reconnaissance et la production régulière de recherches mais aussi le sérieux des résultats obtenus, reconnus par l’ensemble de la communauté scientifique française et internationale.
Hélène Join-Lambert, Présidentedu Conseil scientifique de l’ONPE, CREF, Université Paris Nanterre
Flore Capelier, Vice-Présidentedu Conseil scientifique de l’ONPE, membre associé au CERSA, Université Paris 2
Jean-Marc Baleyte, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, Service Universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil (CHIC)
Marie-Françoise Bellee Van Thong, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, ANDASS
Amine Benjelloun, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, pédopsychiatre
Catherine Bonvalet, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, INED
Anne Bouvier, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, Fondation de France
Karl Hanson, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, Centre interfacultaire en droits de l’enfant, Université de Genève
Eugénie Terrier, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, ASKORIA
Elsa Zotian, Membre du Conseil scientifique de l’ONPE, LaSSA
Gilles Séraphin, directeur de l’ONPE de 2012 à 2017, CREF, Université Paris Nanterre
- SIGNER la pétition en cliquant ICI.
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