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La Cour de cassation, les conventions de gestation pour le compte d’autrui, la Cour européenne et l’intérêt supérieur de l’enfant

21/10/2019

La Cour de cassation cherche, dans un contexte de crise des institutions et de réorganisation des rapports d’autorité entre juridictions françaises et européenne, à faire émerger des solutions au cas par cas pour définir le statut juridique des enfants placés dans une situation de fait heurtant frontalement non seulement nos principes directeurs protecteur des personnes mais aussi le droit de la filiation à caractère d’ordre public. En l’espèce, la cour valide une transcription de l’acte civil étranger mais elle ne décide pas pour autant la transcription automatique des actes établis à l’étranger à la suite de conventions de gestation pour le compte d’autrui.

Par Clotilde Brunetti-Pons, Maître de conférences à l’Université de Reims, responsable du centre de recherche sur le couple et l’enfant, CEJESCO 

Un arrêt venant clore une procédure longue de 15 ans – Dans une décision soigneusement motivée, l’arrêt rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation vient, le 4 octobre 2019[1], apporter un point final à une procédure de quinze ans : l’affaire Mennesson. Pour la première fois[2], la Cour de cassation avait, le 5 octobre 2018[3], fait application du protocole n° 16[4] à la Convention européenne des droits de l’homme en présentant une demande d’avis à la Cour européenne des droits de l’homme, puis elle avait sursis à statuer. L’avis a été rendu le 10 avril 2019. Le cas d’espèce concerne un couple ayant eu recours à une convention de gestation pour le compte d’autrui avec établissement, en Californie, d’actes de naissance américains indiquant comme « parents » le nom du père biologique et celui de son épouse, tous deux de nationalité française. L’acte de naissance établi à l’étranger avait été transcrit le 25 novembre 2002 par le consulat de France à Los Angeles puis les décisions se sont succédées[5]. Dans un arrêt rendu le 17 décembre 2008[6] et sur le fondement de la prohibition des conventions de gestation pour le compte d’autrui en droit français (C. civ. Art. 16-7), la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris[7] déclarant irrecevable le procureur de la République en son action en annulation de la transcription. Le 6 avril 2011[8], la Cour suprême a rejeté le pourvoi formé contre la décision, rendue sur renvoi, qui annulait la transcription. Les époux Mennesson ayant saisi la Cour européenne des droits de l’homme, un arrêt du 26 juin 2014[9] leur donna gain de cause. La Cour de Strasbourg ne pouvait pas se prononcer sur la transcription des actes sur les registres français. Sans pour autant décider qu’il y avait violation du droit au respect de la vie familiale du couple elle se fonda sur la violation du droit au respect de la vie privée des enfants pour condamner l’Etat français à verser une somme d’argent aux requérants. Cet arrêt et un autre rendu le même jour[10] remettaient en cause le raisonnement antérieurement suivi par la Cour de cassation française, laquelle tirait les conséquences du caractère d’ordre public de la prohibition des conventions de gestation pour le compte d’autrui[11]. Ces décisions favorisèrent d’autant plus les effets, sur le territoire français, des conventions de gestation pour le compte d’autrui, et donc leur développement[12], qu’une circulaire française[13] permettait la délivrance d’un certificat de nationalité française (CNF) sur le fondement d’une filiation non transcrite sur les registres français de l’état civil, alors même que le bénéfice de la nationalité française pouvait être demandé après cinq ans de scolarisation de l’enfant[14] et que l’enfant ne se trouvait pas privé de filiation, celle-ci étant établie par les actes d’état civil étrangers[15].  Entre-temps, l’autorité des décisions de la Cour européenne sur les Etats adhérents à la Convention européenne avait sensiblement augmenté, à la suite d’un arrêt rendu le 15 avril 2011[16] par l’assemblée plénière de la Cour de cassation française[17]. En outre, la Cour de cassation avait opéré un spectaculaire revirement de jurisprudence[18].  Enfin, la loi du 18 novembre 2016 permettait désormais le réexamen civil d’une décision définitive en matière d’état des personnes[19]. Les époux Mennesson, agissant en qualité de représentant légaux de leurs deux filles alors mineures, demandèrent le réexamen de la décision ayant rejeté leur pourvoi (plus tard et sur le fondement d’un mémoire déposé le 15 avril 2019, les enfants du couple ont repris l’instance initiée par leurs représentants légaux). La Cour de réexamen des décisions civiles nouvellement constituée fit droit à la demande et dit que l’affaire se poursuivrait devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation[20]. Dans ce contexte, l’assemblée plénière de la Cour de cassation[21] jugea utile de soumettre à la Cour européenne, pour avis consultatif, la question de savoir si sa jurisprudence respectait ou non les exigences de l’article 8 de la Convention, tout d’abord sur la question de la transcription de l’acte étranger en ce qu’il désigne la « mère d’intention », avec une interrogation supplémentaire selon que cette dernière a donné ses gamètes ou non, d’autre part s’agissant de la possibilité pour la « mère d’intention » d’adopter l’enfant.  Ainsi, après une phase au cours de laquelle la Cour de cassation refusait toute transcription en conséquence du caractère d’ordre public de l’interdit et de l’adage selon lequel la fraude corrompt tout[22], l’Assemblée plénière en venait à évaluer au mieux comment éviter une censure de la Cour européenne tout en recherchant le meilleur moyen de préserver l’interdiction des conventions de gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant – tel que préanalysé par la Cour européenne –, envisagé sous un angle certes concret[23] mais avec une dimension plus résolument protectrice. Cela explique que la Cour de cassation rende ici une décision justifiée par la longueur de la procédure (« un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans », point 19) néanmoins motivée par une argumentation minutieuse abandonnant une large place à l’optique européenne.

La place de la jurisprudence européenne dans la décision rendue par la Cour de cassation – L’Assemblée plénière se trouvait saisie en l’espèce d’une demande de réexamen l’incitant à tenir compte de la jurisprudence européenne et spécialement de l’avis rendu le 10 avril 2019 visé en troisième rang : l’Assemblée plénière commence par viser l’article 55 de la Constitution, puis l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 3 § 1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant, puis, enfin, l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019. Sous ce visa, la Cour de cassation commence par rappeler les points forts de l’avis consultatif, en particulier que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer (§ 38 avis), que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’« identification » en droit (il n’est pas ici question expressément de filiation) des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, enfin que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien (là encore il n’est pas question de filiation) entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérisent (§ 42 avis). Dans un second temps, la Cour de cassation cite l’avis (point 5) en ce qu’il requiert « que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention désignée dans l’acte de naissance établi à l’étranger comme étant la mère « légale » », puis elle précise  que l’avis ne requiert pas « que cette reconnaissance se fasse par la transcription de l’acte étranger (§ 50 de l’avis), cette reconnaissance pouvant se faire « par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Ainsi, la Cour de cassation mentionne expressément les points de l’avis dont elle entend tenir compte mais qui n’étaient pas si évidents, spécialement en présence de gamètes issues d’une tierce donneuse comme en l’espèce (mentionné en tête du point 5). Dans son avis, la Cour européenne rattache à l’intérêt supérieur de l’enfant la reconnaissance d’un lien avec la « mère d’intention » en général, sans distinguer selon que cette dernière a donné ses gamètes ou non. La question des contacts avec la mère porteuse (y compris l’hypothèse d’un allaitement, ou même le cas de jumeaux, de triplés…, qui poserait le problème des relations dans la fratrie…) n’est pas envisagée et même d’autant moins prise en compte que le lien à la mère d’intention doit être établi avec « célérité » et « efficacité ». En l’espèce toutefois, ces éventualités ne se posaient pas car l’arrêt intervenait longtemps après la mise au monde des enfants. Les citations de plusieurs et longs passages de l’avis permettent à la Cour de cassation de souligner que la Cour européenne estime que le droit positif français est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme puisqu’un enfant conçu par gestation pour le compte d’autrui peut voir son lien de filiation reconnu au travers d’une adoption[24] et que «  le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des Etats » (§ 51 de l’avis). La Cour de cassation n’en constate pas moins (point 6) que « la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant », ni faire obstacle à la transcription en ce qui concerne le père biologique, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger. La Cour de cassation prend ici partie sur la nature du « lien » à la « mère d’intention » – une « filiation » –, mais elle renvoie à une appréciation au cas par cas (point 16) pour le mode d’établissement[25]. La Cour de cassation montre bien par-là qu’il reste une marge de manœuvre non négligeable aux juridictions françaises. C’est dans la dernière partie de son argumentation (IV- Règlement au fond) que la Cour de cassation met en évidence les apports en droit de ce cas d’espèce.

Les apports en droit de l’arrêt : une absence d’automaticité de la transcription associée à un traitement au cas par cas de la situation de l’enfant La cour suprême commence par rappeler que la gestation pour autrui est prohibée en droit français : « Etant rappelé qu’en droit français les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles » (point 16). En outre, elle en profite pour reconnaître le rôle du parquet[26] en la matière et elle estime que la filiation concerne l’ordre public (point 10). Outre la réaffirmation du caractère d’ordre public du droit de la filiation – ce qui est important au vu du projet de loi bioéthique qui l’envisage comme étant simplement supplétif de volonté[27] –, cet arrêt casse et annule sans renvoi l’arrêt annulant la transcription de l’acte étranger[28]. Relevant que le prononcé d’une adoption suppose l’introduction d’une nouvelle instance, que l’adoption ne peut être demandée que par l’adoptant alors qu’ici cela supposerait une instance à l’initiative de l’une des filles Mennesson, que l’exiger aurait des conséquences manifestement excessives en ce qui concerne leur droit au respect de la vie privée, que le contentieux perdure depuis plus de quinze ans, et que, en l’absence[29]d’autre voie[30] permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des filles Mennesson, la Cour de cassation signale explicitement que sa décision est propre à l’espèce. Elle en déduit une solution spécifique à la situation des enfants concernés : « la transcription sur les registres de l’état civil de Nantes des actes de naissance établis à l’étranger de A… et B… X… ne saurait être annulée ». Ainsi, la transcription de l’acte étranger en découle mais elle n’est pas la solution préconisée par l’arrêt. Au point 16, la Cour de cassation prend encore soin de mentionner : « la Cour de cassation retient, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il convient de privilégier tout mode d’établissement de la filiation permettant au juge de contrôler notamment la validité de l’acte ou du jugement d’état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant ». Par cette précision, la Cour souligne l’importance de ne pas laisser libre champ à des trafics d’enfant reposant sur une falsification de titres, ventes ou abus de toutes sortes[31], ce qu’une transcription automatique rendrait possible[32]. Cet arrêt atténue toutefois sensiblement la portée de la règle d’interdiction de la gestation pour le compte d’autrui. Sa motivation souligne (par l’abondance des citations de l’avis consultatif) qu’il s’agit pour elle de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’apprécié par la Cour européenne, laquelle tempère les effets de la règle interdisant la pratique de la gestation pour le compte d’autrui par l’exigence d’une appréciation de l’intérêt de l’enfant né, soulignant que l’intérêt supérieur de l’enfant « exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise, ces conditions devant inclure une appréciation in concreto (…)» (§ 52 et 54 de l’avis). Cette analyse renvoie à deux niveaux d’interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant[33] : d’une part la protection générale des enfants, assurée par la prohibition des conventions de maternité pour le compte d’autrui sur le territoire français et dont il n’est pas question – a priori car ceci est posé en dépit des effets de la solution sur la portée de l’interdiction – de contester la légitimité ; d’autre part, l’intérêt de l’enfant placé dans une telle situation, apprécié in concreto, au regard des particularités de l’espèce. L’articulation du raisonnement de la Cour de cassation souligne la nécessité de prendre en compte les deux éléments relevés. En particulier, elle rappelle le principe de prohibition (point 16) avant de mentionner – en dehors de la citation de passages de l’avis consultatif – l’intérêt supérieur de l’enfant et la façon dont elle entend s’y référer pour le choix des modes d’établissement de la filiation (deuxième partie du point 16).

Cet arrêt illustre le poids des évolutions législatives récentes sur le raisonnement des juridictions – L’arrêt du 4 octobre 2019 intervient dans un contexte législatif qui influe fortement sur les motifs et la décision : l’impact des lois du 17 mai 2013 et du 18 novembre 2016 sur les institutions en général (le mariage, l’adoption, l’état des personnes, et aussi la filiation comme le révèle l’actuel projet de loi relatif à la bioéthique) fragilise les principes. Et d’ailleurs, sans l’introduction législative du « réexamen civil[34] » l’affaire Mennesson n’aurait pas été réouverte. D’une façon générale, il appartient à la loi de prévenir les conflits et de structurer la société, notamment pour protéger les plus faibles[35]. L’interdiction de la gestation pour le compte d’autrui (C. civ. Art. 16-7) et le droit de la filiation (C. civ. Art. 310 et s.) répondent à cet objectif. Ces règles sont d’ordre public. Cependant, à force de chercher à y intégrer des situations particulières, la règle générale perd sa dimension normative et protectrice[36]. La tâche du juge s’en trouve notablement compliquée. La Cour de cassation se trouve conduite en l’espèce à se positionner dans un sens opposé à celui qui était le sien au début de la procédure. Un tel constat est inquiétant. En augmentant le poids de la jurisprudence européenne sur nos institutions judiciaires (L. 18 nov. 2016), le législateur a contribué à accélérer le rapprochement du raisonnement judiciaire français de celui de la Cour européenne. Amorcée par un arrêt du 4 décembre 2013[37], cette évolution, sous l’impulsion de la Cour européenne, a conduit la Cour de cassation à accroître l’importance de la prise en compte des faits[38] dans le contrôle de droit[39]. L’exercice même d’un contrôle de conventionnalité, ici au regard de la Convention européenne et de l’avis de la Cour (donc élargi), favorise le développement d’un contrôle de conventionnalité in concreto. En l’espèce, la dimension concrète de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la jurisprudence européenne (V. supra) y conduit tout naturellement la Cour de cassation qui ne néglige pas pour autant son contrôle de droit dans la mesure où elle mentionne les sources (dans son visa et les rappels de l’avis consultatif) et les différents modes d’établissement de la filiation, avant d’en venir à écarter deux d’entre eux (l’adoption et la possession d’état) à raison de la particularité de l’espèce, puis d’annuler l’arrêt de la cour d’appel de Paris annulant la transcription (CA de Paris, 18 mars 2010). L’arrêt rendu place toutefois d’emblée la question sur le terrain de la filiation alors que l’avis de la Cour européenne ne l’imposait pas : les modes d’établissements de la filiation en droit français sont en effet mentionnés au point 14. Les mots « lien » et « reconnaissance » (d’un lien) permettaient d’envisager des solutions juridiques adaptées aux cas dans lesquels l’enfant conserve parallèlement (voire parfois exclusivement) des liens avec la mère porteuse. Ce n’était pas le cas dans l’affaire Mennesson, mais un arrêt d’assemblée plénière pouvait envisager la portée de sa décision au-delà du cas d’espèce. L’établissement de la filiation de la « mère légale » réduit la mère porteuse au simple rôle de prestataire de services alors que le droit français ne peut nier à ce point sa personne puisque le principe de l’indisponibilité du corps humain fonde la nullité de telles conventions. Il y a là une contradiction que ne résout pas l’arrêt commenté. Deux modes d’établissement de la filiation respectent mieux que les autres la personne de la mère porteuse : l’adoption et la possession d’état[40], à condition dans les deux cas que les règles du droit français soient réunies et que l’intérêt supérieur de l’enfant prévale au cas par cas. Par ailleurs, il ne faut pas fermer la possibilité d’un retrait comme dans l’affaire Paradiso et Campanelli c/ Italie[41], ni les hypothèses dans lesquelles il serait préférable de placer la question sur le terrain de l’autorité parentale. Enfin, les efforts réalisés pour assurer un statut juridique à l’enfant ne doivent pas occulter l’urgence qu’il y a à endiguer les pratiques de mère porteuse.

Conclusion – Cet arrêt révèle à quel point les problématiques juridiques de filiation en cas de gestation pour le compte d’autrui deviennent difficiles à résoudre. Les récents revirements et affinements jurisprudentiels relatifs aux effets sur le territoire français des conventions de gestation pour le compte d’autrui pratiquées à l’étranger découlent des réformes législatives et de la jurisprudence européenne sachant que cette dernière tient compte en amont des évolutions législatives des Etats membres tout en respectant dans une certaine mesure la marge d’appréciation de chacun d’entre eux. Or, le droit des personnes et de la filiation est le pilier sur lequel repose toute notre société. Y toucher impacte nécessairement non seulement les représentations sociétales, mais aussi les fondements de la construction de chaque être humain[42]. Au-delà de l’opportunité d’une décision qui cherche avant tout à mettre un point final à une procédure trop longue ayant induit de nombreuses souffrances pour la famille en cause, il est important de rappeler que la gestation pour le compte d’autrui est interdite sur le territoire français parce qu’elle repose sur l’exploitation du corps de la mère porteuse et favorise les cas de traite de femmes et d’enfants[43]. L’amendement voté le 3 octobre dans le cadre de la navette parlementaire relative à la loi de bioéthique – puis retiré le 9 octobre à la suite d’un second vote demandé par le garde des Sceaux[44] –, va beaucoup plus loin : en permettant une transcription automatique des actes établis à l’étranger le législateur interdirait tout contrôle judiciaire en cas de gestation pour le compte d’autrui pratiquée à l’étranger. Ce faisant, la loi ouvrirait grand la porte à toutes sortes de trafics contre lesquels cherche à lutter la Convention de la Haye sur l’adoption[45]. Elle le ferait d’autant plus facilement que le projet de loi relatif à la bioéthique réalise une réforme en profondeur du droit de la filiation dont les concepts, les articulations, la cohérence et le sens, y compris la nature impérative de la filiation se trouvent ébranlés.

 

[1] Cass. Ass. Plén., 4 octobre 2019, n° 10-19.053.

[2] C. Brunetti-Pons, « Les décisions de la Cour de cassation sont-elles en phase avec la jurisprudence européenne? », La Semaine Juridique notariale et immobilière, n° 12, 22 mars 2019, Libre propos, 315.

[3] Cass. Ass. Plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053 et 12-30.138.

[4] Traité n° 214, Strasbourg, 2 oct. 2013, entré en vigueur le 1er août 2018, autorisé à la ratification par la loi française n° 2018-237 du 3 avril 2018.

[5] Sur l’analyse de cette jurisprudence, v. notamment N. Baillon-Wirtz in Le « droit à l’enfant » et la filiation en France et dans le monde, LexisNexis 2018 (C. Brunetti-Pons, dir.), p. 223 et s.

[6] Cass. 1ère civ., 17 déc. 2008, n° 07-20468.

[7] Cour d’appel de Paris, 25 oct. 2007.

[8] Cass. 1ère civ., 6 avr. 2011, n° 10-19.053.

[9] CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, aff. 65192/11.

[10] CEDH, 26 juin 2014, Labassee c/ France, n° 65941/11.

[11] Cass. 1ère civ., 13 sept. 2013, n° 12-18.315 et n° 12-30.138.

[12] C. Brunetti-Pons, « Deux arrêts de la CEDH favorisent le développement des conventions de mère porteuse à l’échelle internationale », RLDC 5543, sept. 2014, n° 118.

[13] Circ. 25 janv. 2013, NOR : JUSC 1301528C. V. J-R., Binet, « Circulaire Taubira- Ne pas se plaindre des conséquences dont on chérit les causes », JCP éd. G. 2013, n° 7, 161.

[14] C. Brunetti-Pons, « Les effets en France des conventions de gestation pour le compte d’autrui conclues à l’étranger : derniers rebondissements », RLDC 5276, nov. 2013, n° 109, spéc. p. 44.

[15] Ibid, p. 43.

[16] Sur l’influence des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit des personnes et de la famille sous l’angle d’un « droit à l’enfant », v. C. Brunetti-Pons, in Le « droit à l’enfant » et la filiation en France et dans le monde, op. cit., p. 281 et s., spéc. p. 286 et s. V. aussi : C. Soulard, « Le juge français, le juge européen et le législateur face à la gestation pour autrui » : Cah. justice 2016/2, dossier « Autour de la gestation pour autrui », p. 191-203.

[17] Cass. Ass. Plén., 15 avr. 2011, n° 10-17-049, 10-30.313 et 10-30.316 : « Les Etats adhérents à la Convention européenne des droits de l’homme sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ».

[18] Cass. Ass. Plén., 3 juillet 2015, n° 14-21.323 et 15-50.002. Et encore, v. not. Cass. 1ère civ., 5 juill. 2017, n° 16-16.901 et 16-50.025.- Cass. 1ère civ., 5 juill. 2017, n° 15-28.597.

[19] C. de l’organisation judiciaire, art. L. 452-1 réd. L. n° 2016-1547 du 18 nov. 2016.

[20] Par une décision du 16 février 2018.

[21] Cass. Ass. Plén. 5 oct. 2018, n° 10-19.053 et 12-30.138, préc.

[22] Cass. 1ère civ., 19 mars 2014, n° 13-50.005.

[23] M. Fabre-Magnan, « Les trois niveaux d’appréciation de l’intérêt de l’enfant », D. 2015, p. 224. Et V. G. Hubert-Dias, L’intérêt supérieur de l’enfant dans l’exercice de l’autorité parentale. Etude éclairée par le droit européen, URCA 2014.

[24] Cass. 1ère civ., 5 juillet 2017, n° 15-28597 ; Cass. 1ère civ., 5 juillet 2017, n° 16-16901 et 16-50025.

[25] V. nos obs. sur ce point in « Les décisions de la Cour de cassation sont-elles en phase avec la jurisprudence européenne, op. cit., spéc. p. 8.

[26] « Il résulte de l’article 423 du code de procédure civile que le ministère public peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci », point 10.

[27] Projet n° 2243, relatif à la bioéthique.

[28] Arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 18 mars 2010.

[29] Plus généralement car envisagé distinctement du cas de l’adoption et visant notamment la possession d’état qui ne présente pas cependant des garanties suffisantes en l’espèce.

[30] Sur la possession d’état la Cour indique ne pas pouvoir en l’espèce contrôler la décision du juge d’instance ce qui correspond peut-être à une fragilité d’espèce (v. point 18).

[31] Les études réalisées en ce domaine révèlent que de tels risques sont avérés, v. Le « droit à l’enfant » en France et dans le monde, op. cit ; PMA, GPA, quel statut juridique pour l’enfant (C. Brunetti-Pons, dir.), Mare & Martin 2019.

[32] Pour un exemple illustrant le cas de faux, v. Cass. 1ère civ., 5 juillet 2017, n° 16-16.495 : « saisie d’une demande d’annulation d’un acte dressé par l’officier de l’état civil consulaire français dans ses registres, sur le fondement de l’article 48 du code civil, la cour d’appel a constaté que M et Mme X…avaient produit au consulat de France de faux documents de grossesse et un faux certificat d’accouchement… »

[33] G. Hubert-Dias, op. cit.

[34] La légitimité d’un tel procédé au regard du principe de la séparation des pouvoirs interroge puisqu’il s’agit de réouvrir une affaire définitivement jugée dans le domaine de l’état des personnes.

[35] Sur le rôle de la norme, v. L’institué, le donné et la responsabilité (C. Brunetti-Pons, dir.) éd. Bruylant 2016.

[36] Ibid.

[37] Cass. 1ère civ., 4 déc. 2013, n° 12-26066. V. F. Dekeuwer-Défossez, « La prohibition des mariages incestueux à l’épreuve des droits de l’homme », RLDC 5308, fév. 2014, n° 112.

[38] JP Marguénaud, « L’exercice par la Cour de cassation d’un contrôle concret de conventionnalité », RDLF 2018, chr. n° 25.

[39] V, spéc. Cass. 1ère civ., 11 juillet 2018, n° 17-21457.

[40] La possession d’état peut être utilisée aussi pour conforter une paternité « d’intention », à tire d’exception au droit commun (Cass. 1ère civ., avis, 7 mars 2018, n° 17-700039), sur le fondement de l’irrecevabilité de l’action de l’homme qui conteste la paternité alors qu’il souhaiterait faire établir la sienne sur le fondement d’une gestation pour le compte d’autrui, interdite (« interdit absolu »), Cass. 1ère civ., 12 sept. 2019, n° 18-20.472.

[41] CEDH Gde ch., 24 janv. 2017, n° 25358/12.

[42] L’institué, le donné et la responsabilité, op. cit.

[43] Le « droit à l’enfant » en France et dans le monde, op. cit ;  PMA, GPA, quel statut juridique pour l’enfant, op. cit.

[44] En séance et après un flottement d’une heure au banc du gouvernement, la ministre de la justice a pris la parole en s’appuyant sur l’article 101 du règlement, en demandant une seconde délibération. Aussi, à la fin de l’examen du projet de loi en séance, le mercredi 9 octobre, le gouvernement a déposé un amendement en demandant la suppression. Cet amendement du gouvernement a été adopté, par un scrutin public par 139 voix contre 23.

[45] Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, 29 mai 1993, n° 19930289, D. n° 98-815 du 11 sept. 1998, JO 13 sept. 1998.

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