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Modernisation de la justice du XXIe siècle – Auditions sur le divorce « conventionnel » par consentement mutuel

16/06/2016

La commission des lois du Sénat a organisé, mercredi 8 juin, trois tables rondes consacrées à la question du divorce par consentement mutuel sans le juge, à celle de la suppression de la collégialité de l’instruction et aux mesures relatives à la justice des mineurs, et, enfin, à celle de la simplification de la procédure de changement de sexe. Nous reproduisons ici les échanges qui ont eu lieu quant à la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel.

Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux, a affirmé que « la profession d’avocat est favorable à cette réforme ». Pourtant, nombre de barreaux se sont exprimés en sens contraire. Il est regrettable que les avocats ne parviennent à parler d’une seule voix. Il est évident que ce manque d’unité ne peut que leur être préjudiciable à terme…

 

Philippe Bas, président. – Le projet de loi intitulé par le Gouvernement « Justice du XXIèmesiècle » – pourquoi pas du troisième millénaire, pour mieux marquer la portée impérissable de la réforme ? – a été profondément modifié par l’Assemblée nationale, qui a doublé le nombre de ses articles. Il y a donc deux textes en un, et comme le Gouvernement a opté pour la procédure accélérée, une commission mixte paritaire (CMP) va être réunie, que ces auditions ont pour but de préparer. Elles porteront sur les trois sujets parmi les plus délicats, dont le Sénat n’a pu débattre : le divorce, la suppression de la collégialité de l’instruction et les dispositions relatives à la justice des mineurs, et le changement d’état civil des personnes transsexuelles. Comme vous êtes nombreux, la concision s’impose à tous !

Mme Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats. – L’Union syndicale des magistrats (USM) n’est pas opposée au principe de l’allègement de la charge excessive qui pèse sur les tribunaux par la déjudiciarisation des contentieux où l’apport du juge est le plus faible. Le texte fait intervenir deux avocats dans le divorce par consentement mutuel, puis un notaire. Cette procédure est impossible si un mineur demande son audition par le juge ou si l’un des conjoints est placé sous protection. Ce sont autant de garanties, les avocats ayant un rôle de conseil, mais le coût s’en trouve multiplié par deux ! Le consentement devra être donné par écrit et un délai de réflexion de quinze jours, indispensable à nos yeux, est prévu avant la signature. Une passerelle vers le judiciaire est conservée tout au cours de la négociation. Le rôle exact du notaire reste flou, et sera sans doute léger. En fait, l’allégement de la charge de travail des magistrats sera faible, ce sont surtout les greffes qui y gagneront. Difficile en effet de déjudiciariser les contentieux qui prennent le plus de temps…

Première difficulté : la protection des intérêts de l’enfant, car la présence d’un enfant mineur n’empêche pas la procédure conventionnelle. Or on voit mal comment des parents qui se déchirent pourraient à chaque fois correctement défendre l’intérêt de leurs enfants. Détenteurs de l’autorité parentale, ils sont leurs premiers protecteurs, mais dans un divorce, chacun défend ses intérêts et peut les confondre avec ceux de l’enfant. Tous les juges des affaires familiales (JAF) ont déjà fait modifier des conventions sur lesquelles les parents s’étaient mis d’accord mais qui étaient nuisibles à leurs enfants, prévoyant par exemple des modalités de garde alternée absurdes.

La possibilité donnée au mineur de demander son audition nous paraît illusoire. S’il est trop petit, c’est impossible : les enfants les plus jeunes sont ainsi les moins bien protégés. S’il reçoit de ses parents l’information relative à ce droit – comment s’en assurer ? – l’imagine-t-on demander son audition par le juge au risque de modifier la procédure choisie par ses parents ? Pour l’USM, l’exception prévue pour les personnes vulnérables doit être étendue à la présence d’enfants mineurs.

Enfin, le nombre de contentieux après divorce risque d’augmenter. Un juge pose des questions sur les conséquences de la convention prévue et peut ordonner un renvoi pour donner un temps de réflexion. Mais il faut savoir faire preuve d’imagination pour décharger les juridictions… L’USM ne s’oppose donc pas par principe à cette déjudiciarisation, à condition qu’elle reste une option, que chacune des parties puisse lever à tout moment.

Mme Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. – Pour le Syndicat de la magistrature, la déjudiciarisation d’une partie du divorce par consentement mutuel ne doit pas avoir pour unique objectif de gérer la pénurie. Elle doit avant tout répondre aux besoins des justiciables et permettre à l’autorité judiciaire d’assurer ses missions. Aussi n’y sommes-nous favorables qu’à certaines conditions, relatives aux acteurs impliqués, à la procédure retenue et aux cas concernés. Or la brièveté du délai de réflexion, l’intervention d’un notaire dans des conditions ne permettant pas un examen complet de la convention, le sort des enfants mineurs, ne sont pas entourés de garanties suffisantes. Les parents peuvent très bien s’accorder entre eux sur une solution qui n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant. Voir un juge aide à maintenir un équilibre. De plus, le dispositif d’audition de l’enfant mineur n’est pas réaliste : comment vérifier que celui-ci a été correctement informé qu’il dispose de ce droit ? Pense-t-on vraiment qu’il prendra la responsabilité de re-judiciariser la procédure de divorce ? Sans parler des enfants trop jeunes pour être entendus… Nous souhaitons donc que les couples mariés avec enfants ne puissent pas bénéficier de cette procédure.

Nous avons formulé une proposition alternative, concernant les couples mariés sans enfants. Les époux seraient reçus chacun par un avocat qui les informerait de l’intégralité de la procédure et des conséquences du divorce et rédigerait la convention. Celle-ci serait déposée en mairie, les époux ne pouvant être convoqués devant l’officier d’état civil avant un mois – délai préférable aux quinze jours prévus. Celui-ci les recevrait, s’assurerait de l’existence de la convention, leur donnerait lecture des articles du code civil sur les effets du divorce et recueillerait ensuite leur consentement. Il serait chargé de la transcription des actes de divorce. Les époux auraient à exécuter volontairement la convention. En cas de défaut d’exécution volontaire, le JAF serait saisi en homologation et lui donnerait force exécutoire.

Cette procédure déjudiciarisée organiserait un démariage simple et facile, fait par un officier d’état civil, auquel une publicité plus grande serait donnée. La convention serait faite sous seing privé, conclue sauf meilleur accord des parties, et pourrait toujours être transformée en acte authentique devant notaire. En cas d’inexécution, le recours est simple et ne donne pas lieu à convocation des parties devant le JAF sauf cas de contrariété à l’ordre public, ce qui est assez rare. Enfin, l’aide juridictionnelle devra être revalorisée, vu l’approfondissement du rôle de l’avocat.

Jean de Maillard, permanent à FO Magistrats. – Il est regrettable que sur de tels sujets le législateur doive se prononcer dans l’urgence, et même la précipitation, sans même d’étude d’impact. Nous ne sommes pas hostiles à la déjudiciarisation, pourvu qu’elle ne se retourne pas contre les justiciables. On nous dit que 99% des conventions sont homologuées par le JAF, mais quel serait ce taux dès lors qu’elles ne seront plus soumises au juge ? Distinguons les garanties formelles des garanties réelles. Dans les couples comme ailleurs, il y a un rapport entre fort et faible. On sait combien sont payés les avocats commis d’office. Leur protection sera-t-elle suffisante ? Le consentement au divorce peut dissimuler le désir du faible d’échapper à l’emprise du fort. Ce texte n’apporte pas de garanties réelles, par exemple, à une femme sous la coupe d’un mari violent ou autoritaire, prête à tout, même à abandonner ses enfants, pour retrouver sa liberté. La situation pourra se retourner contre l’époux le plus faible, et contre les enfants. De plus, ce texte pourrait être utilisé pour dissimuler des répudiations dans certaines communautés.

Nous sommes étonnés que l’on fasse de l’enfant l’arbitre du divorce de ses parents. Ce serait à lui de s’opposer à la voie procédurale choisie par ses parents ? Ne risque-t-il pas d’être instrumentalisé par l’un d’eux ? Nous sommes très hostiles à cette disposition dont les conséquences risquent d’être dramatiques. N’oublions pas que le juge est le protecteur des faibles, qui ont plus que jamais besoin d’être protégés. La proposition du Syndicat de la magistrature présente des aspects intéressants. On pourrait aussi prévoir que le parquet puisse saisir le JAF s’il a un doute sur la réalité du consentement.

Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l’Union nationale des associations familiales. – C’est avec stupeur que nous avons appris l’adoption par l’Assemblée nationale de l’amendement du Gouvernement sur cette question pourtant sensible, qui concerne des milliers de couples et d’enfants. Nous n’avons été ni consultés ni informés. Nous sommes opposés à cette réforme. Déjà, en 2008 et en 2010, nous avions défendu la place du juge dans tous les cas de divorce, y compris sans enfant. Le président du Conseil national des barreaux (CNB) déclarait à l’époque : « L’accord des parties est une chose mais un divorce n’est pas une transaction immobilière. Dans un couple, il y a toujours un dominant et un dominé et même en cas de divorce par consentement mutuel, il y a toujours un qui demande et l’autre qui accepte. Le divorce n’est pas un contrat. » Rien de plus vrai !

Cette réforme paraît moderne et vertueuse, mais c’est tout le contraire. Elle va complexifier le droit de la famille, générer des coûts supplémentaires et davantage de contentieux – donc plus de travail pour le juge et de délais pour les familles -, et pose problème pour les enfants. Cette nouvelle procédure sera-t-elle facultative ? Selon l’exposé des motifs, elle aurait vocation à s’ajouter et à se substituer à la majorité des cas de divorce par consentement mutuel. Mais la Chancellerie nous a parlé d’une obligation… Inquiétant.

Il ressort des rapports parlementaires sur la question que la durée moyenne d’un divorce par consentement mutuel est de 2,7 mois – un divorce à grande vitesse ! De fait, cette rapidité surprend souvent les couples. Pour un divorce contentieux, le délai moyen est de 20 à 24 mois. Or 40 % des divorces par consentement mutuel font l’objet d’un contentieux après coup. Sur le plan financier, comme les couples devront avoir recours à deux avocats, le coût sera plus important. Cette réforme réalisera-t-elle une économie pour le budget de la justice ? Selon le rapport de Mme Tasca et de M. Mercier, publié en 2014, « le gain escompté d’une déjudiciarisation risque d’être peu significatif : les divorces par consentement mutuel sont parmi les procédures les plus rapidement traitées par les juges aux affaires familiales et les mobilisent très peu. » Et les accords amiables non vérifiés sont davantage susceptibles de donner lieu à des recours devant le juge.

L’enfant sera le grand perdant de cette réforme. Le juge vérifie comment il est traité, en évitant par exemple des séparations de fratrie. Il est seul à pouvoir s’opposer à la volonté des titulaires de l’autorité parentale. Cette réforme est une vraie régression. Certes, la France devant se conformer aux engagements pris devant l’ONU, on a imaginé la possibilité pour l’enfant de demander à être auditionné, mais cette possibilité est illusoire, nous l’avons vu. Même Alain Tourret a alerté le Gouvernement sur l’impossibilité de prouver que l’enfant a bien été informé de ce droit. Il n’a pas été entendu. Je rappelle aussi que l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, qui avait été soutenue par le Gouvernement et qui prévoit que l’enfant doit être entendu, le juge ayant à apprécier le bien-fondé d’un éventuel refus. Avec ce texte, le passage devant le juge se fait à l’initiative de l’enfant ! Quelle responsabilité ! Le juge peut déléguer l’audition de l’enfant à un service de médiation familiale, mais il y a toujours un risque d’instrumentalisation de la parole de l’enfant.

Nous sommes hostiles à cette réforme même en l’absence d’enfant. Comment vérifier la liberté du consentement ? Les divorces entraînent quasi automatiquement des baisses de niveau de vie, dont pâtissent surtout les femmes. Les politiques publiques essaient de réparer, par exemple en assurant le règlement les pensions alimentaires. Cette réforme n’irait pas dans le même sens. Un amendement déposé à l’Assemblée pour protéger les femmes sous emprise ou victimes de violences conjugales a malheureusement été écarté.

Comme le disait cette année notre ministre de la famille : « Le droit de la famille ne doit pas échapper à la régulation par le juge. Mieux vaut une mauvaise décision de justice que pas de juge. » Il y a d’autres pistes. Un rapport du Haut conseil de la famille publié en avril 2014 propose de mieux préparer le travail du juge en obligeant les parents à réunir les éléments nécessaires à la détermination de la pension alimentaire et en créant dans les caisses d’allocations familiales un service les y aidant. Il recommande aussi de développer la médiation familiale et de renforcer les effectifs de la justice familiale. Si cette réforme devait être votée, il faudrait au moins prévoir un dispositif d’évaluation, qui pourrait être confié au Haut Conseil, pour en mesurer les effets réels tant pour les juges que pour les familles.

Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux. – La profession d’avocat est favorable à cette réforme, qu’elle avait proposée dans son livre blanc sur la justice du XXIème siècle. Nous venons d’entendre le catalogue des difficultés qui surviennent lorsque les époux ont divorcé sans assimiler leur nouveau statut. La présence du juge a-t-elle valeur sacramentelle ? Son rôle est de trancher des contentieux. Or nous parlons de divorce par consentement mutuel, pas de contentieux. Cette disposition existe et fonctionne depuis longtemps, avec une homologation rapide et quasi constante par le juge. La procédure n’aura rien d’obligatoire. Le divorce sera prévu, conventionné, constaté par des avocats qui sont des professionnels compétents, responsables et assujettis à une stricte déontologie, qui leur impose en particulier de proscrire les conflits d’intérêts. Chaque époux sera assisté par un avocat qui défendra ses intérêts et aura pour responsabilité de faire émerger et respecter ses droits et obligations. Il n’y a donc pas à craindre l’homologation d’une convention qui aurait été préparée par un seul avocat !

Quant au coût, il ne doublera pas. La loi nous impose désormais de conventionner nos honoraires à titre préalable avec chacun de nos clients, et c’est bien ce que nous ferons, dans des conditions de coût juste et loyal, sous le contrôle des ordres et des bâtonniers, dont la régulation n’a jamais été mise en défaut. Et vous connaissez bien l’aide juridictionnelle. Il n’y a donc nulle inquiétude à avoir.

La profession développe depuis longtemps la représentation extrajudiciaire. La médiation se développe, comme la procédure participative depuis 2011. L’acte contresigné par un avocat est un nouveau mode d’accompagnement de nos clients en phase extrajudiciaire. C’est exactement de ce domaine que nous parlons.

Qui doit constater le divorce ? Dans le texte, c’est l’avocat. Il faudrait l’écrire nettement, pour éviter une confrontation inutile avec nos amis notaires. Deuxième difficulté : faire comprendre le rôle de l’avocat à l’égard des enfants ; Mme Barthélémy va y revenir, les droits des enfants seront garantis dans de bonnes conditions.

Admettons que s’il convient de concourir à l’oeuvre de justice pour alléger la charge du juge, nous pouvons concevoir un divorce par consentement mutuel déjudiciarisé, à condition d’être accompagné par les professionnels que nous sommes.

Mme Régine Barthélémy, membre du bureau du Conseil national des barreaux. – Pour tout divorce, nous soumettons à nos clients une attestation sur l’honneur par laquelle ils certifient avoir informé leurs enfants de la possibilité d’être entendu. C’est ainsi que les magistrats vérifient que l’enfant connaît ses droits. En matière de divorce par consentement mutuel, cette attestation est produite avec la convention ; le juge s’en contente.

Cela dit, les enfants ne demandent jamais à être entendus. S’ils le demandaient, il serait difficile de croire qu’ils le font de leur propre chef, puisque cela impliquerait un changement de procédure. Nous avons imaginé, dans cette hypothèse, de conserver la même procédure, avec la désignation par le bâtonnier d’un avocat de l’enfant qui vérifie sa capacité de discernement. Le cas échéant, il demande au JAF que l’enfant soit entendu. Le JAF pourrait ensuite homologuer ou non les dispositions de la convention concernant l’enfant. S’il l’homologue, l’avocat l’annexe à ses actes, et elle est publiée au rang des minutes du notaire. Cette proposition répond à la vraie question des conséquences de l’audition du mineur tout en conservant l’unicité de la procédure.

Jacques Combret, président honoraire de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat. – La procédure d’urgence n’est guère appropriée pour un texte si important. Sachant comment se concluent les CMP, il est peu probable que l’on revienne en arrière. Nous l’appliquerons donc, en bonne intelligence avec les avocats. De fait, nos rapports sur le terrain sont harmonieux, et les clients sont généralement satisfaits de nos prestations dans la grande majorité des divorces par consentement mutuel, qu’il y ait un ou deux avocats.

L’avocat a un rôle majeur à jouer pour contrôler l’information de l’enfant. La proposition du CNB est pragmatique.

Le délai de quinze jours est un peu court, à notre avis. Quant à l’information des enfants, il faudrait préciser ce qui est prévu pour les enfants mineurs issus de précédentes unions. Le droit interdit déjà le divorce par consentement mutuel pour les majeurs protégés. Pourquoi le rappeler dans le texte ? Cela jette le trouble…

Chacun est à sa place : l’officier public produit des actes authentiques, à la date certaine et dotés d’une force exécutoire, ce n’est pas à lui de rédiger la convention. L’intervention notariale n’aura qu’un coût marginal mais elle rend la convention directement exécutoire, sans avoir à solliciter une homologation par le juge. Je ne crois pas qu’un officier d’état civil ait le même pouvoir. Nous n’hésiterons pas à nous acquitter de ces tâches, même à perte – nous en avons l’habitude. Il n’y a nullement lieu d’ouvrir avec d’autres professionnels du droit un contentieux que nous ne vivons pas sur le terrain !

Philippe Bas, président. – Nous apprécions l’équanimité du notariat français.

Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants. – Le 3 juin dernier, le Défenseur des droits vous a adressé un courrier. M. Toubon avait déjà émis des réserves lors de l’adoption de l’amendement à l’Assemblée nationale. Ce texte méconnaît les dispositions de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui dispose que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » et que « Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

La garantie de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être au coeur du dispositif. Les affaires familiales sont le deuxième motif de saisine de notre institution. La rédaction du texte n’apporte pas de garanties suffisantes : aucune autorité ne vérifie la parfaite information de l’enfant et donc l’effectivité de ses droits. Sa parole peut être instrumentalisée. Et son désir d’être entendu peut ne pas être transmis au juge. Son discernement n’est pas évoqué dans le texte. Quid des plus jeunes ? Actuellement, c’est le juge qui est garant du respect de l’intérêt et des droits de l’enfant et qui évalue son discernement. En l’absence du juge, quelle garanties ? La nouvelle procédure va à l’encontre des préconisations de notre rapport de 2013 sur l’enfant et sa parole en justice.

Le Défenseur des droits recommande la plus grande vigilance pour que cette simplification légitime n’ait pas pour conséquence un recul des droits des enfants. En l’absence – regrettable – d’étude d’impact, le divorce à l’amiable devant notaire doit être réservée aux seuls couples sans enfants.

Mme Céline Bessière, maître de conférences en sociologie. – Je coordonne depuis 2008 une recherche sur le traitement judiciaire des séparations conjugales, financée principalement par la mission de recherche « droit et justice » et l’Agence nationale de la recherche. Ce travail, qui a réuni jusqu’à trente personnes, s’est déroulé dans douze tribunaux de grande instance, où nous avons observé environ 400 audiences, consulté plus de 3 000 dossiers et réalisé de nombreux entretiens avec des JAF et des greffiers. Nous avons également travaillé dans deux chambres de la famille de cours d’appel et dans des cabinets d’avocats, où nous avons réalisé des entretiens avec une cinquantaine d’avocats et parfois observé, avec leur accord, des rendez-vous avec leurs clients. Nous avons enfin rencontré une vingtaine de notaires.

Depuis la réforme de 2004, les procédures de divorce par consentement mutuel ont été considérablement allégées. Le passage devant le juge a perdu de sa force symbolique puisqu’il est réduit au minimum : une seule audience, qui dure en moyenne huit minutes, après un délai d’attente moyen inférieur à trois mois. Le décorum judiciaire est assez faible, ces audiences ayant souvent lieu dans le bureau du juge et non dans des salles d’audience. Les juges ne portent pas forcément la robe, et le processus est rapide et formel.

Avec cette réforme, les divorces par consentement mutuel ne seront plus homologués par un juge mais, en quelque sorte, privatisés. Préparés par les avocats des parties, ils seront simplement enregistrés par un notaire.

Les séparations conjugales sont souvent cruciales dans le creusement des inégalités économiques entre les hommes et les femmes et l’appauvrissement des femmes. Les enquêtes internationales montrent que la baisse du revenu des femmes divorcées en France est parmi les plus élevées d’Europe : d’après les données fiscales, pour des couples séparés en 2008, la perte de niveau de vie en 2010 atteint 20 % pour les femmes, alors qu’elle se limite à 3 % pour les hommes. Il serait intéressant de savoir ce qu’il advient après dix ans, ou au moment de la retraite… Les familles monoparentales, composées dans neuf cas sur dix d’une mère avec enfants, sont plus exposées que les autres à la pauvreté et à la précarité : elles représentent un tiers des bénéficiaires du RSA. À vrai dire, cet appauvrissement relatif des femmes ne commence pas avec la séparation mais déjà au sein du couple. Les femmes en couple gagnent en moyenne 42 % de moins que leur conjoint, du fait d’une prise en charge différenciée du travail domestique et des enfants.

La détermination d’une pension alimentaire est le premier sujet de litige aux affaires familiales, bien avant la question de la résidence des enfants. Les prestations compensatoires et le partage du patrimoine doivent aussi être réglés lors du divorce. En huit minutes, les magistrats, qui traitent plus de 800 dossiers par an en la matière, n’ont pas le temps de régler les détails de la convention, mais il arrive qu’ils signalent à une femme qui renonce à une prestation compensatoire qu’elle aurait pu y avoir droit. Ils peuvent aussi mettre en garde les conjoints sur les arrangements complexes ou farfelus susceptibles de nuire à l’intérêt de l’enfant, et ordonner des renvois. Sans ce droit de regard du juge sur les conventions, que se passera-t-il ?

Bien sûr, les avocats ont une déontologie, et ils seront deux. Dans l’idéal, la convention serait dès lors équilibrée. En pratique, toutefois, si tous les justiciables ont affaire aux mêmes juges, ils n’ont pas affaire aux mêmes avocats. Le tarif peut atteindre 450 euros de l’heure pour un avocat spécialisé en droit de la famille à Paris alors qu’on trouve en province des forfaits à 1 000 ou 1 500 euros pour un divorce par consentement mutuel. Les prestations ne sont bien entendu pas équivalentes. Dès lors que l’on accorde un tel poids à la représentation de l’avocat, il faut qu’il ait du temps à consacrer à son client. Certains refusent des clients à l’aide juridictionnelle pour des affaires familiales complexes, tant son niveau est faible.

Actuellement, huit divorces par consentement mutuel sur dix sont réalisés avec un seul avocat, afin de réduire les frais. Que se passera-t-il quand chacun devra avoir un avocat ? Si la représentation nationale s’oriente vers la déjudiciarisation, réfléchissons aux garde-fous. Outre l’audition de l’enfant, il faut un garde-fou économique. Rien n’a été prévu en matière de pension alimentaire ou de prestation compensatoire. Au Québec, la déjudiciarisation est allée de pair avec le renforcement de l’encadrement des accords financiers sur les pensions alimentaires. Actuellement, la CAF réforme la garantie contre les impayés de pension alimentaire (Gipa) ; elle a créé une allocation de soutien familial différentiel et accru son pouvoir d’investigation en cas d’impayés de pension alimentaire. Avec ce texte, on fait le chemin inverse – je m’étonne que la CAF ne soit pas partie prenante des discussions actuelles. Pour le divorce par consentement mutuel devant notaire, il n’y a pas de barème, pas de ligne directrice. Que se passera-t-il si un couple se met d’accord pour que la pension alimentaire soit nulle ou très faible ? Le parent qui a la garde pourra-t-il se tourner vers la CAF et demander l’allocation de soutien familial ?

Soyons conscients des inégalités économiques produites au moment de la séparation. La déjudiciarisation devra être accompagnée de garde-fous économiques, sans quoi les économies réalisées sur la justice seront perdues du côté social !

Philippe Bas, président. – En vous écoutant, on réalise que ce problème d’apparence très simple est en réalité extrêmement complexe. Dans la plupart des divorces par consentement mutuel, l’accord n’est nullement remis en cause par le juge, d’où la tentation d’économiser du temps de juge en dispensant le couple du passage devant un magistrat, puisque les conventions sont homologuées. Or le passage devant le juge, dans l’anticipation de l’application de ses règles, a un effet sur le contenu de l’accord entre les époux. Une contrainte s’exerce du seul fait de l’existence de cette étape.

Dans ces situations, bien des raisons peuvent rendre l’un des éléments du couple plus vulnérable dans la négociation. Il y a une inquiétude sur la garantie apportée au plus faible dans le divorce : l’enfant, et l’un des deux membres du couple, souvent l’épouse. Au moment du divorce peuvent apparaître une faiblesse psychologique et une faiblesse économique. Parfois, la première conduit à ne pas traiter la seconde, pour en finir plus vite.

J’entends ce que dit le Conseil national des barreaux. Néanmoins, un avocat est mandaté par son client. Si celui-ci veut faire des concessions qui dépassent ce qui serait juridiquement raisonnable et accepté par le juge, comment l’avocat pourrait-il l’en empêcher ? Son rôle de conseil est éminent, mais il n’est pas un arbitre. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a prévu un avocat pour chacune des parties en négociation.

J’entends ce qui a été dit sur la situation de l’enfant. À tout le moins, la mention de la possibilité pour l’enfant d’être entendu ne suffit pas. Comment imaginer qu’il prenne l’initiative de demander à être entendu par un juge ? Et qu’il suffise que la loi dise que ses parents l’informent pour que tout soit réglé par enchantement ?

Le coût du divorce ne sera peut-être pas doublé pour les huit couples sur dix qui prenaient un seul avocat, mais il augmentera considérablement : cela représenterait dix à quinze fois l’économie réalisée par la justice, chiffrée par le Gouvernement à 4,4 millions d’euros, sous réserve de réallocation des moyens ainsi dégagés.

Cette réforme d’inspiration libérale respecte la volonté des parties, alors que le système actuel a une dimension sociale. Si l’on mesure la dépense pour les couples et la vulnérabilité dans laquelle la réforme risque de laisser les enfants et le conjoint le moins fort, on a tout lieu de considérer que les incertitudes dans lesquelles cette réforme nous place l’emportent de beaucoup sur les avantages.

Yves Détraigne, rapporteur. – Le représentant du Conseil national des barreaux semble dire qu’il n’y a pas de grande différence de coûts, selon qu’il s’agisse d’un divorce par consentement mutuel avec un seul avocat ou d’un divorce avec deux avocats. Quelle est cette différence ?

François Pillet. – Il est difficile de prétendre que cette réforme soit une avancée au profit des justiciables. Sous une apparence de modernité, on traite un problème financier que l’on pourrait régler en allouant des fonds à la justice.

Le divorce par consentement mutuel concerne deux personnes majeures, bien que l’une soit parfois en situation de fragilité – certains consentements sont des résignations -, sauf à démontrer leur incapacité de fournir un consentement éclairé. Le projet de loi, qui prévoit deux avocats, renforce les garanties de l’équilibre de ce dialogue.

Le problème, c’est l’enfant mineur. On semble se satisfaire qu’il soit informé. Peut-on laisser le législateur dire qu’un enfant de deux ans est informé ? L’enfant qui s’opposerait au divorce de ses parents en serait-il l’arbitre ? Quid des hypothèses où un conjoint se sera vu accorder des droits sur l’enfant mineur de son conjoint issu d’une précédente union ? La difficulté n’est pas résolue. J’ai compris la réflexion du président du Conseil national des barreaux, mais le juge n’est pas seulement celui qui tranche un litige : il a la jurisdictio mais aussi l’auctoritas. Le juge qui examine la convention a une autorité qui souvent apaise, rassure. Sa disparition n’est pas du tout un progrès législatif. Le divorce engage de l’extrapatrimonial. Comment fait-on lorsqu’il y a des enfants mineurs ?

René Vandierendonck. – Ma position est assez proche de celle de M. Pillet. Je reprends le débat où Mme Dominique Lottin l’a laissé ce matin. Oui à la déjudiciarisation si tant est que l’on garantisse les droits des personnes et que l’on sécurise les revenus des avocats. Dès lors qu’il y a un enfant, je suis très réticent. L’intervention du juge me paraît être à préconiser.

En revanche, plutôt que d’utiliser le divorce comme produit d’appel pour faire valoir une volonté de déjudiciarisation, il n’aurait pas été inintéressant de mener un travail de concertation sur les domaines où celle-ci peut s’appliquer sans léser les intérêts des personnes.

Ma conviction sort renforcée par la qualité des contributions de nos intervenants.

Jean-Pierre Sueur. – Merci, monsieur le président, d’avoir organisé cette audition très riche. Merci à tous pour votre apport précieux. Je suis très réticent devant l’application de la procédure accélérée, surtout lorsque des sujets importants apparaissent à l’Assemblée nationale après l’examen au Sénat. J’appelle de mes voeux des débats au Sénat, en commission comme en séance publique.

Je n’ai pas d’idée tranchée sur ce sujet ; c’est l’intérêt du travail parlementaire que de se poser les questions. Aux dires des sondages, beaucoup de concitoyens seraient favorables à cette réforme : divorcer en quelques minutes dans le bureau du juge manque de solennité, même si le travail préparatoire est important. Je partage ce qu’ont dit mes collègues.

À ceux qui sont favorables au dispositif : peut-on soutenir que l’on fasse de l’enfant mineur, voire très mineur, le juge de la modalité de la procédure ?

Philippe Bas, président. – Nous nous posons tous cette question. Je précise qu’il s’agit de l’enfant doué de discernement ; encore faut-il savoir qui en décide.

Michel Mercier. – Deux problèmes se posent, l’un contingent, l’autre fondamental. On tente de régler le premier en oubliant le second. Le premier est la part croissante que prend le contentieux familial dans la justice civile, au point d’emboliser certains tribunaux. Je vous renvoie aux travaux du doyen Serge Guinchard sur la déjudiciarisation. Mais ce problème en cache un autre : quel doit être le souci de la loi, le souci du droit, et répond-on à ces questions avec les mesures qui nous sont proposées ?

À la suite du théologien Maurice Zundel, je rappelle que la politique est le souci du plus faible. Comment la loi assure-t-elle la protection du plus faible, c’est-à-dire l’enfant ? Prévoir que ses parents l’informent qu’il peut être entendu ne tient pas compte de la réalité d’une séparation. C’est à la loi et au juge d’assurer sa protection. Le plus faible est aussi l’un des deux conjoints. Si l’on va vers la déjudiciarisation, il faut réserver un domaine dans lequel seul le juge peut prononcer le divorce. Tout un travail législatif reste à faire si l’on veut apporter une solution pérenne.

Pascal Eydoux. – Il faut démystifier la facturation des honoraires des avocats. Soit nous sommes une profession qui gagne sa vie en alimentant le contentieux, ce dont on nous fait grief, soit une profession qui participe aux démarches de déjudiciarisation et accompagne les justiciables dans l’extrajudiciaire.

Rien ne justifie que la présence de deux avocats multiplie le coût par deux. J’aurais aimé, monsieur le président, participer aux calculs que vous citez sur la multiplication des coûts des honoraires…

Nous travaillons dans une profession régulée. Depuis la loi Macron, nous avons l’obligation de conventionner des honoraires dès le premier jour. Le premier avocat qui ne le fait pas est passible de poursuites de son ordre et de contrôles de la DGCCRF. Cette crainte d’une démultiplication des coûts n’est pas raisonnable.

Philippe Bas, président. – Lorsqu’il y a un avocat, ce sont les honoraires d’un avocat, quand il y en a deux, ce sont les honoraires de deux.

Pascal Eydoux. – Sauf si l’avocat qui n’a qu’un client ne facture que pour un client. Nous facturons le temps passé. Représenter un seul client demande moins de temps qu’en représenter deux. Je suis un professionnel libéral dans un domaine concurrentiel. Je suis libre de facturer comme je le veux, de façon raisonnable. Ne me mettez pas dans une position où je ne vais pas travailler en divorce par consentement mutuel et privilégier le contentieux ! C’est absurde au plan sociologique, judiciaire et de l’efficacité.

La présence du juge serait dissuasive des erreurs que pourraient commettre les avocats dans l’élaboration de la convention ? Le risque de contentieux après la signature le sera tout autant. Une bonne convention court un risque de contentieux ultérieur bien moindre.

Mme Régine Barthélemy. – L’information de l’enfant par ses parents, c’est la pratique actuelle. Il est rarissime qu’un enfant aille spontanément dans un Point Jeunes. Les avocats s’engagent dans cette procédure parce que leur façon de travailler a évolué. Lors des travaux de la commission Guinchard, nous avions mis en avant la procédure collaborative et l’acte d’avocat, c’est-à-dire notre capacité à obtenir des accords et à les mettre en place. Deux avocats, dans une négociation, ne portent pas uniquement la parole de leur client, sans discernement, mais recherchent un accord. Il ne s’agit pas de trouver un vainqueur mais une solution. L’avocat n’est pas un écrivain public mais un professionnel qui accompagne son client dans un changement de place, d’une famille unie à une famille séparée. Ce travail est complètement différent d’un « pour ou contre ». Cela a changé, et c’est ce que cette nouvelle procédure vient reconnaître.

Mme Céline Bessière. – Dans huit divorces par consentement mutuel sur dix, les couples ont un seul avocat. Nous avons assisté au travail des avocats : les procédures collaboratives sont fort intéressantes, mais aussi fort coûteuses pour les justiciables. Quand chaque avocat devra négocier ce nouveau consentement mutuel, le coût sera peut-être doublé, voire plus. Dans les cas actuels à deux avocats, les coûts sont bien plus élevés ; cela ne concerne d’ailleurs que des couples fortunés. Cette réforme va renforcer l’iniquité.

Mme Geneviève Avenard. – Le rappel du droit des enfants à être entendus par le juge est mentionné dans le courrier adressé aux parents ; ce ne serait plus le cas avec la réforme. La situation serait encore pire que la situation actuelle, qui n’est pourtant déjà pas la meilleure qui soit, comme le montre notre rapport de 2013.

Jean de Maillard. – Du temps où l’on pratiquait les humanités, on apprenait que dans la tragédie classique, Racine voyait les hommes tels qu’ils sont et Corneille tels qu’ils doivent être. Je crains que les représentants du barreau soient plus cornéliens que raciniens !

 

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