La Suisse contrainte de revoir sa législation sur le nom de famille des couples binationaux
D’après le droit suisse, le nom du mari devient automatiquement le nom de famille. Les époux ont toutefois la possibilité de demander que le nom de la femme soit le nom de famille et que celui ou celle ayant dû changer de nom à la suite du mariage puisse choisir de faire précéder le nom de famille de son propre nom.
En l’espèce, les requérants, l’un hongrois, l’autre de nationalité suisse et française, souhaitant se marier en Suisse où ils résidaient, demandèrent à garder leur nom respectif – la femme tenant absolument à son nom de jeune fille pour des raisons professionnelles – plutôt que de choisir un double nom pour l’un des deux. Le requérant exprima ainsi le souhait que son nom soit régi par le droit hongrois – son droit national – lui permettant de porter exclusivement son nom. Demande rejetée. Dès lors, pour pouvoir se marier, les requérants choisirent le nom de l’épouse comme « nom de famille » au sens du droit suisse. Ils se marièrent et, dans le registre de l’état civil, les noms des époux furent inscrits comme « Rose » pour la requérante et « Losonci Rose, né Losonci » pour le requérant, qui demanda après le mariage à remplacer dans le registre de l’état civil le double nom qu’il avait « provisoirement » choisi par le seul nom « Losonci », comme prévu par le droit hongrois, sans pour autant modifier le nom de son épouse. Ce qui lui fut refusé au motif que la demande d’autorisation de porter le nom de son épouse comme nom de famille avait rendu caduc le choix du requérant de soumettre la détermination de son nom au droit hongrois, qui lui aurait permis de garder son nom après le mariage. En d’autres termes, les instances internes n’ont pas admis le cumul de ces deux options. En revanche, si l’homme avait été de nationalité suisse et la femme de nationalité étrangère, la femme aurait pu choisir de soumettre la détermination de son nom à son droit national, en vertu de l’article 37, alinéa 2, de la loi fédérale sur le droit international privé. Une différence de traitement discriminatoire aux yeux de la CEDH et qui justifie la condamnation de la Suisse à réparer le préjudice moral des requérants à hauteur de 10 000 euros.
Si les États contractants jouissent, au regard de la Convention, d’une certaine marge d’appréciation en ce qui concerne les mesures à prendre afin de manifester l’unité de la famille, l’article 14 exige que celles-ci s’appliquent en principe dans les mêmes conditions aux hommes et aux femmes, sauf à produire des raisons impérieuses justifiant une différence de traitement ; ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En outre, la Cour relève qu’un consensus se dessine au sein des États membres du Conseil de l’Europe quant au choix du nom de famille des époux sur un pied égalité et que, à l’échelle internationale, les développements au sein des Nations unies quant à l’égalité des sexes se dirigent dans ce domaine spécifique vers la reconnaissance du droit pour chaque conjoint de conserver l’usage de son nom de famille original ou de participer sur un pied d’égalité au choix d’un nouveau nom de famille. Elle rappelle que le nom, en tant qu’élément d’individualisation principal d’une personne au sein de la société, appartient au noyau dur des considérations relatives au droit au respect de la vie privée et familiale. Partant, elle n’estime pas que la demande concernant le nom du requérant soit dépourvue d’importance. Or la justification avancée par le Gouvernement ne paraît pas raisonnable et la différence de traitement constatée s’avère discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention. Partant, la Cour conclut que le régime en vigueur en Suisse engendre une discrimination entre les couples binationaux, selon que c’est l’homme ou la femme qui possède la nationalité suisse. Il y a donc eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.
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