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« Toi non plus tu n’as rien vu », un film de Béatrice Pollet sur le déni de grossesse dans les salles le 8 mars prochain

24/02/2023

DP-Toi non plus

La vie de Claire Morel, interprétée par Maud Wyler, avocate et mère de deux petites filles, bascule le jour où elle est accusée de tentative d’homicide sur enfant de moins de 15 ans passible de la réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 121-4 et 221-4). Comment pouvait-elle ne pas savoir qu’elle était enceinte, qu’elle avait accouché et comment a-t-elle pu déposer son enfant sur le couvercle d’une poubelle ? Sa meilleure amie Sophie (Géraldine Nakache), fidèle et combattive, assurera sa défense avec le soutien indéfectible de Thomas, mari de la prévenue (Grégoire Colin).

Le sujet n’avait jusque-là jamais vraiment piqué ma curiosité, malgré quelques affaires retentissantes, dont celle dite « des bébés congelés » jugée en 2009. Pourtant, cette pathologie, loin d’être un mythe, est certainement plus répandue qu’on pourrait le penser. Plusieurs centaines de femmes en seraient victimes chaque année. Dans 80 % des cas, les femmes vivent une relation stable et sont même déjà mères pour la moitié d’entre elles (v. étude allemande prospective menée par Jens Wessels et al. (2002)). Et il ne s’agit pas nécessairement d’adolescentes, immatures, avec troubles cognitifs ou psychotiques. Comme Claire, il peut s’agir de femmes parfaitement épanouies dans leur vie professionnelle comme dans leur vie familiale.

Il est difficile d’admettre qu’un petit être puisse se développer dans un corps sans que la mère n’en ait conscience. Mais, lorsque rien ne trahit la présence du bébé – qui se terre le long de la colonne vertébrale –, ni l’aménorrhée, ni la prise de poids, ni la douleur s’apparentant aux contractions, comment ne pas croire que cela soit possible. Le déni de grossesse de la mère comme de l’entourage devient soudainement plausible. Toi non plus tu n’as rien vu ! Eh oui, même le spectateur qui voit Claire en maillot de bain au bord d’une piscine 15 jours avant son accouchement ne peut deviner que se cache dans sa frêle silhouette un bébé clandestin sur le point de naître. Mais le nouveau-né finit bel et bien par faire son apparition et c’est alors le début d’un long parcours judiciaire. À cet égard, on aurait aimé entendre davantage la voix des experts tout au long du procès pour saisir l’incompréhensible. On comprend cependant que la sidération est telle qu’il n’y a plus aucune volonté, ce qui explique sans doute que la mère puisse déposer ce qu’elle ne reconnaît pas comme son enfant dans une décharge, une poubelle, comme un vulgaire déchet, ou encore qu’elle puisse le congeler…

Le déni de grossesse traduit une fragilité psychologique complexe particulièrement difficile à cerner, une blessure invisible, en lien avec la maternité, qui, selon la réalisatrice, Béatrice Pollet, peut avoir été transmise par une aïeule. Sophie s’évertuera à prouver qu’il y a eu altération du discernement, que Claire n’est pas un assassin, un monstre mais, au contraire, une victime qui n’a jamais eu conscience de donner naissance à un enfant et qui doit être davantage accompagnée que sanctionnée (sur l’altération ou abolition du discernement, v. Cour d’assises de la Gironde, 7 sept. 2012, AJ pén. 2012. 651, Olivier Décima). Combat d’autant plus difficile à mener lorsque beaucoup n’y voient qu’infanticide. Reste que, si la justice peut reconnaître le déni de grossesse, le dénouement n’est pas toujours heureux pour autant (Colmar 13 oct. 2015, n° 14/00278 ; Lyon, 6 avr. 2010, n° 09/00273)…

Ce film, qui traite du déni de grossesse avec beaucoup de pudeur et sensibilité, nous permet de toucher du doigt l’extrême détresse de ces femmes, victimes d’elles-mêmes, qui mettent au monde un enfant dépersonnifié. Béatrice Pollet a travaillé son scénario pendant près de huit ans. Elle s’est inspirée de plusieurs histoires réelles et a rencontré plusieurs médecins, avocats, juges d’instruction, experts psychiatres et obstétriciens. Le résultat est très convaincant. Certes, on ressort de la salle de cinéma, avec encore beaucoup de questions face à une énigme particulièrement difficile à résoudre, mais aussi avec beaucoup moins de certitudes et un regard porté sur ces femmes moins sentencieux, compatissant.

Bravo aux acteurs, très persuasifs, chacun dans leur rôle.

J’ai eu la chance de visionner ce beau film un peu avant tout le monde. Il sortira dans les salles le 8 mars prochain. Je suis impatiente de connaître vos réactions !

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