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Vers la fin du « devoir conjugal » ?

17/03/2021

Selon un communiqué de presse commun du Collectif Féministe Contre le Viol et la Fondation des Femmes, une femme a déposé un recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour ingérence dans la vie privée et atteinte à l’intégrité physique. Son divorce aurait été prononcé à ses torts exclusifs pour avoir refusé des relations intimes avec son mari.

Pour rappel, dans la continuité d’une évolution jurisprudentielle tant d’origine interne (not. Crim 11 juin 1992, n° 91-86.346) qu’européenne (CEDH, 22 nov. 1995, S. W. et C. R. c/ Royaume-Uni), depuis 2006, la loi française incrimine clairement le viol dans le couple, toute référence à la présomption simple de consentement des époux à l’acte sexuel étant par ailleurs supprimée depuis le 11 juillet 2010  : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage » (C. pén. art. 222-22).

Il y a donc un paradoxe certain à maintenir, au plan civil, le « devoir conjugal » (par ex. Civ. 1re, 17 déc. 1997, n° 96-15.704) et à prononcer le divorce pour faute aux torts exclusifs de l’époux qui ne s’y soumettrait pas. Cette jurisprudence a vécu… À l’avenir, le débat portera certainement davantage sur la question des dommages-intérêts !

Pour la première fois, une femme – accompagnée par nos deux associations – a déposé un recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour ingérence dans la vie privée et atteinte à l’intégrité physique. Elle avait été condamnée pour avoir refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari.

Sans que la Cour de cassation ne s’en émeuve, la Cour d’appel de Versailles a mis à la charge d’une femme une obligation d’avoir des relations intimes avec son mari et l’a sanctionnée en prononçant un divorce à ses torts exclusifs en retenant pour seule faute son « refus à des relations intimes avec son mari ». Alors que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a aboli le devoir conjugal depuis un arrêt du 5 septembre 1990, les juges civils continuent de l’imposer à travers une vision archaïque du mariage.

Les juridictions françaises nient ainsi le droit des femmes de consentir ou non à des relations sexuelles. Les décisions des juges sont d’autant plus choquantes que le Code civil, qui régit le mariage, n’impose aucune obligation aux époux d’avoir des relations sexuelles. La communauté de vie ne saurait justifier la survie du « devoir conjugal ».

Le Collectif Féministe Contre le Viol et la Fondation des Femmes rappellent que la liberté sexuelle implique la liberté d’avoir des relations sexuelles entre adultes consentants… ainsi que celle de ne pas en avoir. L’enjeu est grave : dans 47% des 94 000 viols et tentatives de viols par an, l’agresseur est le conjoint ou l’ex-conjoint de la victime*. Il a fallu de nombreuses années de lutte pour en finir avec la zone de non-droit que représentait le lit conjugal, où l’on sait que se produisent la majorité des viols.

Il est fondamental qu’en France, les juges ne puissent plus imposer de manière directe ou indirecte aux femmes une obligation d’avoir des relations sexuelles. Laisser perdurer le « devoir conjugal » c’est maintenir un outil d’intimidation pour les agresseurs sexuels violeurs au sein du couple et nier l’existence dans notre Code pénal, du crime aggravé de viol conjugal.

Depuis le 22 novembre 1995 et la condamnation du Royaume-Uni à ce sujet, la Cour européenne a proscrit le « devoir conjugal ». Plus d’un quart de siècle plus tard, la condamnation de la France permettrait enfin de garantir le respect de la vie privée et de l’intégrité physique des femmes, y compris dans le mariage.

Le mariage n’est pas et ne doit pas être une servitude sexuelle.

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