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Réforme de l’adoption : une « petite loi » indigne (Adresse urgente à Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs)

17/12/2020

Réforme de l'adoption_Forum famille

Rédigé par Pascale SALVAGE-­GEREST, Professeure honoraire, Université Grenoble-­Alpes (avec le concours de Danielle HOUSSET, Guillaume LE MAIGNAN, Janice PEYRÉ, Anne ROYAL, Marie-­Hélène THEURKAUFF), le texte qui suit réagit à la « petite loi »  de la proposition de loi n° 3161 tel que voté par l’Assemblée nationale la nuit du 4 au 5 décembre 2020, n° 525, transmis au Sénat le 7 déc. 2020 sous le n° 188, publié le 10 décembre 2020.

 

Dans la nuit du 4 au 5 décembre 2020, l’Assemblée nationale a voté que le consentement à l’adoption devait être « éclairé sur les conséquences » de l’adoption. Les députés, eux, ne semblent pas avoir été « éclairés sur les conséquences » que peut avoir une loi mal préparée, discutée et votée à la vavite, alors qu’il est prétendu qu’elle a pour seul objectif l’intérêt des enfants sans famille, qui sont parmi les plus démunis de la société. Qu’une majorité se félicite de l’introduction de principes nouveaux alors que la minorité exprime sa frustration est de l’essence du jeu démocratique. Mais il n’est pas tolérable que des dispositions destinées à s’appliquer aux professionnels de l’enfance et aux familles, tant d’origine qu’adoptives, soient objectivement d’une qualité juridique telle qu’elles ne peuvent qu’être source d’incertitudes et de conflits, donc se révéler contraires à l’objectif poursuivi. C’est pourquoi, Mmes les Sénatrices et MM. les Sénateurs, vous rendriez un peu de son honneur au Parlement en faisant oublier une proposition de loi qui, de l’aveu même des députés, est d’une insuffisance si manifeste qu’ils se sentent obligés de déléguer au Gouvernement le soin de prendre, par ordonnance, toutes les mesures qu’ils auraient dû prendre (3), au besoin de contredire celles qu’ils ont prises(4), et même d’en introduire qui existent déjà(5).

 Genèse de la proposition. Dès son entrée en fonction en qualité de secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé chargé de la protection de l’enfance, M. Adrien TAQUET a annoncé l’intention du Gouvernement de réformer l’adoption. À n’en pas douter, c’est le rapport IGAS(6), qui faisait suite à la révélation, dans un département, de pratiques discriminatoires fondées sur l’orientation sexuelle des candidats à l’adoption, qui a été déterminant du souci gouvernemental de « fluidifier » et rendre plus « transparent » le système en place(7). Ce rapport n’avait néanmoins pas « conclu à l’existence avérée de discriminations à l’égard des personnes célibataires et des couples homoparentaux », mais avait décelé « des risques de fragilités dans le dispositif »(8). Faire un premier bilan de la dernière réforme de l’institution, qui ne datait que de 2016(9), n’était en effet pas un motif convaincant pour remettre l’ouvrage sur le métier pour la énième fois. Si ce bilan avait vraiment été nécessaire, mieux aurait valu attendre celui, très instructif, établi par la Cour des comptes(10).

2 – Rapports, avis, commission parlementaire, proposition Afin de préparer cette réforme qui se voulait d’ampleur, le CNPE a été consulté(11), le Premier ministre a interrogé le CCNE(12) et confié à une commission parlementaire, à la tête de laquelle ont été placées Mmes LIMON, députée, et IMBERT, sénatrice, le soin de rédiger un rapport(13). Dire que celui-­ci, publié en octobre 2019(14) donc sans attendre celui du CCNE , était décevant, est un euphémisme(15). Y apparaissait, au moins en filigrane, qu’il était inutile, pour préparer la loi, de s’assurer le concours de juristes « peu aptes à concilier le juridique et l’humain » et de magistrats « empreints d’idéologie »(16). C’est néanmoins Mme LIMON qui a été chargée de présenter, au nom du groupe LREM, la proposition de loi datée du 30 juin 2020(17). Cela apparemment sans qu’aient été consultées ni la Chancellerie, en charge à la fois de « l’état des personnes » dont fait partie la filiation adoptive et de la protection des mineurs, ni la Mission de l’adoption internationale (MAI), rouage essentiel dans l’adoption d’enfants étrangers par des français : il n’y a en tout cas aucune trace de telles consultations.

3 – Modalités de vote de la proposition. Pour une raison inconnue, sinon, peut-­être, le souhait exprimé par M. TAQUET dans les medias que la réforme soit achevée en 2020, il a été décidé, le 3 novembre 2020, que cette proposition serait votée par le Parlement selon la procédure accélérée, alors qu’était déjà en chantier la loi « bioéthique » qui ne peut en être totalement dissociée (infra, n° 6)(18). C’était compter sans le réveil de professionnels, peut-­être « ringards »(19) mais expérimentés qui, eux, savent que la dernière loi sur le sujet ne date pas de … 1966(20). Un « Livre blanc », destiné à tenter d’alerter avant qu’il ne soit trop tard, a été rédigé à l’intention de la commission des lois de l’Assemblée nationale et largement diffusé(21). De nombreuses autres voix s’étant aussi élevées de tous côtés(22), et la presse s’en étant emparée, la proposition initiale est arrivée devant la commission des lois de l’Assemblée lestée de plusieurs centaines d’amendements. Telle que modifiée par la commission après un bref examen le 23 novembre 2020, la proposition a été discutée en moins de deux jours en séance publique et votée dans la nuit du 4 au 5 décembre : manifestement Saint Nicolas, protecteur des enfants, fêté le lendemain, n‘avait pu se déplacer !

4 – Contenu de la proposition. Le 1er des 2 titres de la proposition peut être scindé en trois parties : la première contient des dispositions d’ordre général, la deuxième « règle leur compte » aux organismes privés autorisés pour servir d’intermédiaires à l’adoption (OAA) œuvrant en France. Le champ était alors libre pour que soit abordée, dans la troisième, l’adoption des pupilles de l’État et des enfants probablement « étrangers résidant à l’étranger » quoiqu’il soit fait partout allusion aux enfants « résidant à l’étranger ». Le second titre est consacré au statut des pupilles de l’État et à l’organisation de leur conseil de famille.

Ainsi conçue, cette proposition souffre d’un premier défaut de taille, qui affecte ses dispositions générales (1ère partie) : elle ne tient pas compte de ce que l’adoption est créatrice d’une filiation dont peuvent aussi profiter des majeurs(23). Dès lors, indiquer dans l’exposé des motifs que son objectif est « de permettre de renforcer et de sécuriser le recours à l’adoption comme un outil de protection de l’enfance lorsque celuici correspond à l’intérêt de l’enfant concerné, et uniquement dans son intérêt » sonne faux.

Son deuxième défaut est de révéler l’ignorance totale de ses rédacteurs sur tout ce qui touche à l’adoption internationale (3ème partie), ce qui risque d’avoir de graves conséquences si les règles bizarres proposées sont finalement votées.

Son principal défaut, toutefois, est de prétendre réformer le statut des pupilles de l’État et l’organisation de leur tutelle (titre 2d)) sous prétexte de renforcer et sécuriser leur adoption. Ces deux questions relèvent du domaine de la protection juridique des mineurs en général(24). Si elles doivent être réformées, ce doit être de manière globale et non au travers du prisme de l’adoption, qui est un projet de vie parmi d’autres pour les pupilles, même s’il doit être privilégié. Ainsi, accorder au pupille le droit d’exercer des recours contre les décisions et délibérations « relevant d’actes non usuels de l’autorité parentale » prises par son conseil de famille  au demeurant sans se préoccuper des conditions dans lesquelles un mineur peut agir en justice et en se trompant sur la juridiction compétente (CASF, art. L. 224-­8‐5, 6° proposé)(25)  est complètement hors sujet. Encore plus hors sujet est la restructuration de la composition des conseils de famille – dans lesquels les sièges sont limités. Les modifications proposées n’ont pas pour but d’améliorer la prise des décisions de tous ordres justifiées par l’intérêt des pupilles, elles sont là pour s’assurer qu’il n’y aura pas de discrimination parmi les candidats à leur adoption. Il est légitime de vouloir que ces candidats soient traités égalitairement, en particulier qu’ils ne soient pas stigmatisés en raison de leur orientation sexuelle – c’était l’objectif premier du Gouvernement. Ce qui n’est pas légitime, c’est le moyen employé, même si ceux auxquels la réforme « profite » ne paraissent pas en avoir conscience et s’en félicitent(26). C’est d’autant plus choquant que jamais n’est évoqué le fait que les responsables des pupilles puissent aussi se rendre coupables de discriminations à leur égard.

C’est pourquoi ne seront évoquées que les trois parties énumérées ci‐dessus qui forment le titre 1er de la proposition, avec quelques incursions indispensables dans les dispositions du titre 2.

 

I – Dispositions générales (art. 1 à 9 bis)

 

 5 – « Valorisation » de l’adoption simple, art. 1, 2 (14°) et 5 (2°). Ce n’est pas un hasard si la proposition débute par une redéfinition de l’adoption simple (prop. art. 1, mod. C. civil, art. 364). C’est en effet un cheval de bataille récurrent : il serait dans l’intérêt de tout adopté de ne pas être « coupé de ses racines familiales » (encore faudrait-­il qu’elles puissent être connues), et un nombre plus grand d’adoptions pourrait être réalisé si elle était facilitée. L’intention est peut-­être louable, en tout cas l’opinion, éclairée ou non, paraît y être largement favorable. On chercherait cependant vainement en quoi la proposition facilite ce type d’adoption.

Lorsqu’un enfant de moins de deux ans est susceptible d’être adopté, il doit obligatoirement, sauf projet d’adoption intrafamiliale, être remis au service départemental de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) afin d’être admis en qualité de pupille de l’État ou – pour l’instant encore – à un OAA (infra n° 14). Dans les deux cas, c’est son conseil de famille qui décide, en fonction de son intérêt, si l’adoption projetée sera plénière ou simple. La proposition ne change donc rien sur l’obligation de remise.

Lorsque l’enfant a plus de deux ans, il suffit du consentement de ses parents devant notaire pour qu’il puisse être adopté, en adoption plénière ou simple : c’est seulement si ceux-­ci refusent de donner ce consentement que l’enfant doit passer par la case « pupille de l’État » ou « confié à un OAA » pour être adoptable, et les seules voies pour y parvenir sont d’obtenir du tribunal judiciaire une déclaration de délaissement parental (C. civil, art. 381‐1 et 381‐2) ou un retrait total de l’autorité parentale (C. civil, art. 380). À quoi bon des procédures d’une  telle  lourdeur,  longues,  aléatoires  et  culpabilisantes,  si  c’est  pour que l’enfant garde finalement un lien avec sa famille d’origine ? C’est là qu’il fallait songer à « fluidifier le système en place »(27).

Par ailleurs, il est prévu (prop., art. 5, 2°, mod. C. civ., art. 361 C. civil) de faire précéder l’adoption simple d’un pupille de l’État d’un placement de six mois au foyer de l’adoptant, identique à celui prévu pour l’adoption plénière, alors qu’actuellement l’enfant est simplement « confié » en vue de l’adoption simple : où est l’allégement ? Sans compter que, en renvoyant à l’article 351 et pas à l’article 352 C. civil, l’article 361 paraît signifier que l’enfant placé en vue d’une adoption simple peut être restitué à ses parents  pendant cette période. À quoi bon, là encore ?

 

Quant aux effets de ce type d’adoption, la proposition, qui se borne à préciser que la filiation adoptive s’ajoute à la filiation d’origine, ne change rien au caractère hybride de cette dualité de filiations, donc aux incertitudes qui perdurent depuis toujours à ce sujet(28). Cela n’a pas échappé à la Défenseure des droits(29).

Pour clore ce chapitre, mais presque pour l’anecdote, on signalera une modification de l’article 366 du code civil (prop. art. 2, 14°) inappropriée : le partenaire de PACS d’un parent adoptif ne pourrait plus épouser l’enfant adopté en adoption simple par celui-­ci, et inversement le partenaire de PACS de l’enfant adopté  ne  pourrait  plus  épouser  le  parent  de  celui­‐ci.  Pourtant,  le  mariage  avec  une  tierce  personne dissout le PACS, qui ne crée qu’un engagement contractuel de communauté de vie, pas de lien de famille, donc ne crée pas de risque « d’inceste social ».

6 – Adoption conjointe par un couple non marié, art. 2. Bien qu’il ait fait l’objet d’âpres discussions à l’Assemblée, il y a peu à dire sur le second principe phare de la proposition, selon lequel peuvent adopter ensemble non seulement les couples mariés, mais aussi les partenaires de PACS et les concubins (prop. art. 2, modifiant les articles du code civil faisant état du « conjoint », à partir de l’art. 343).

Outre que, à l’appui du refus de cette extension, l’argument tiré de la stabilité du mariage n’est plus très pertinent vu la facilité du divorce et le nombre d’enfants nés hors mariage, il était inéluctable d’en arriver là dans le contexte actuel des filiations « non biologiques ». Dès 2012, la Cour de cassation jugeait que réserver l’adoption conjointe à des couples unis par le mariage « ne consacrait pas un principe essentiel reconnu par le droit français »(30). Depuis 2019, la GPA pratiquée à l’étranger peut être transcrite directement sur les registres de l’état civil français avec mention, en tant que parent, du parent  d’intention, même non marié avec le père biologique(31). Vraisemblablement, la mère d’intention non mariée avec la mère biologique, en cas de PMA, sera aussi bientôt considérée directement comme parente de l’enfant(32). À cet égard, ce n’est pas dans la présente proposition que devrait se trouver un droit transitoire permettant aux mères d’intention non mariées avec la mère biologique d’un enfant conçu par PMA d’être considérée comme seconde mère (prop., art. 9 bis), mais bien dans la future loi « bioéthique ». Il est en effet curieux de prendre à l’avance des dispositions destinées à compléter une loi dont on ne sait pas encore si elle verra le jour. Enfin, même si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est imprévisible, elle se tient vraisemblablement en embuscade sur le sujet, au vu de son avis rendu à propos de la GPA(33).

7 – Adoption de l’enfant du partenaire de PACS ou concubin, art. 2. L’adoption de l’enfant du « conjoint » était déjà une question un peu complexe dans la loi alors qu’il fallait entendre, par ce mot, uniquement l’époux ou l’épouse. L’extension du droit d’adopter l’enfant de son partenaire de PACS ou de son concubin, corollaire logique du doit d’adopter en couple, n’a pas empiré les choses, du moins à première vue.

On remarquera simplement  mais c’est important – que, sur le plan de l’exercice de l’autorité parentale, rien n’est changé lorsque l’adoption est simple : le premier parent, marié ou non avec l’adoptant, conserve seul l’exercice de l’autorité parentale, sous réserve d’une déclaration conjointe contraire (C. civil, article 365) … ce qui n’est pas une façon de « valoriser » ce type d’adoption.

8 – Âge minimum de l’adoptant et/ou durée de vie commune des couples adoptifs, art. 2. Actuellement, un ou une célibataire doit avoir au minimum 28 ans pour pouvoir adopter une autre personne. Pour un couple marié, la condition requise est soit un âge de 28 ans pour chacun des deux membres du couple, soit une durée de mariage d’au moins 2 ans. La proposition innove ainsi sur plusieurs points :
. l’âge minimum, lorsqu’il est requis, est réduit de 2 ans (de 28 à 26 ans) ;
. la durée « du mariage » est remplacée par une durée de « vie commune », qui peut avoir débuté avant le mariage ;
. la durée de « « vie commune » minimale est d’1 an, alors que celle du mariage est actuellement de 2 ans ;
. en cas d’adoption par un seul membre du couple, le consentement de son époux ou de son  partenaire de PACS est requis, pas celui de son concubin : pourquoi ? Le PACS n’est pas plus stable que le concubinage.

L’opportunité de ces modifications (C . civ., art. 343 et 343‐1) est affaire d’opinion. Elles ne peuvent avoir aucune incidence si le futur adopté est majeur. Pour les  mineurs  que  la  proposition  a  en  vue,  il appartiendra, d’abord aux autorités chargées de l’agrément, à défaut au tribunal, d’apprécier le sérieux du projet, la maturité de l’adoptant et/ou la solidité du couple.

9 – Adoption plénière, exceptionnellement, d’un majeur entre 18 et 21 ans, art. 4. Actuellement, dans plusieurs hypothèses, un jeune majeur peut être adopté jusqu’à ses 20 ans. Il pourra l’être, suivant la proposition, jusqu’à ses 21ans, et dans des cas plus nombreux (C. civ., art. 345).

1) Il pourra l’être par l’époux, le partenaire de PACS ou le concubin de son parent (renvoi à C . civil, art. 345-­1 proposé),  ce  qui  parait  irresponsable.  En  effet,  un  majeur  consentant  seul  à  son  adoption,  celle­‐ci pourra avoir lieu contre le gré de son parent et quelle que soit l’ancienneté et la durabilité de l’union : un concubinage éphémère, au moment de la requête en adoption, devrait apparemment suffire.

2) Il pourra aussi l’être s’il est sorti du statut de pupille de l’État à sa majorité sans avoir été adopté avant ses quinze  ans (renvoi  à  C.  civil,  art.  347,  2°)  :  ne  serait-il  pas  plus  simple  de  prévoir,  de  façon  générale, que les mineurs peuvent être adoptés plénièrement jusqu’à leur majorité ?

3) Il pourra encore l’être s’il a été judiciairement déclaré délaissé par ses parents au cours de sa minorité sans avoir  été  admis  en  qualité  de  pupille  de  l’État,  c’est‐à-dire  à  l’initiative  de  la  personne  qui  souhaite l’adopter. Non seulement cette hypothèse est rarissime mais on peut se demander pourquoi, si cette éventualité s’est présentée, l’intéressé n’a pas été adopté « dans la foulée » de la déclaration.

4) Il pourra enfin l’être en cas de « motif grave » : quel motif ?

Pour conclure, il est curieux que soit ouvert aussi largement l’accès à l’adoption plénière à de jeunes adultes alors que l’adoption simple doit être « valorisée » et que tous peuvent y prétendre sans condition.

10 – Prohibition « de toute adoption plénière conduisant à une confusion des générations », art. 6. Dans sa rédaction initiale, la proposition prohibait l’adoption entre ascendants et descendants d’une part, frères et sœurs d’autre part. Même si l’on pouvait douter de la nécessité d’une prohibition totale, les tribunaux sachant faire la part des choses et ne prononcer l’adoption que dans les rares cas où elle est dans l’intérêt de l’adopté  qui peut être majeur , la proposition était cohérente. Telle que votée, elle ne l’est plus, car dans une famille constituée de deux lignes, il arrive que les générations se mêlent en ligne collatérale par le jeu des alliances.

L’application  de  la  règle  posée  par  l’article  343-3  du  code  civil   proposé  risque  donc  d’être  compliquée, surtout s’il faut y mêler les « générations » résultant du PACS et du concubinage, et si l’adoption simple, elle,  n’est  pas  interdite  (il  n’est  pas  prévu  de  renvoi  de  l’article  361  du  code  civil  à  cet  article  343-­3 proposé).

11 – Déplacement de l’article 3703, dernier alinéa, du code civil, relatif à l’adoption internationale, à l’article 3483 du même code, prop. art. 7. Ce qui vient spontanément à l’esprit à ce sujet est de dire : « Pardonnez-­leur,  car  ils  ne  savent  pas  ce  qu’ils  font »  …  ce  que  montre  déjà  clairement  le  fait  d’écrire, dans une rubrique consacrée à l’adoption plénière, que le consentement à cette adoption doit être éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière » : le « copier­‐coller » n’est pas une méthode à conseiller dans la rédaction des lois (voir aussi infra, n° 22).

Sommairement,  l’article  348-­3  s’applique  aux  adoptions  prononcées  par  les  tribunaux  français.  Il  est inutile (offensant ?) de leur rappeler que, quel que  soit  le  domaine  dans  lequel  ils  statuent  et  quelle  que soit la loi qu’ils appliquent, un consentement qui n’est pas libre  et éclairé est vicié donc sans valeur, et que,     s’il porte sur la personne, il ne peut être monnayé (principe quelque peu  oublié  à  propos  de  la  GPA, mais c’est un autre problème).

Il fallait donc ne toucher ni à l’article 348-­3, qui se suffisait à lui-­même, ni à l’article 370-­3, alinéa 3, dont le but est de donner aux autorités françaises les directives nécessaires pour donner effet  en  France  aux  décisions d’adoption prononcées à l’étranger, qui plus est en le tronquant (infra, n° 22).

12 – Cas particulier des mineurs de plus de 13 ans et des majeurs protégés, art. 8. Inquiétant, à plusieurs titre, est cet article qui envisage d’apporter un ajout à l’article 348‐6 du code civil pour régir les conditions de l’adoption plénière à la fois des mineurs  de  plus  de  13  ans  et  des  majeurs  protégés  … qui, eux, n’ont pas accès à ce type d’adoption(34).

Actuellement, un mineur de plus de 13 ans doit consentir personnellement à son adoption, mais son consentement s’ajoute à celui de son ou ses représentants légaux. S’il n’est pas en état de donner personnellement ce consentement, il peut être assimilé à un infans, auquel cas le consentement de son ou ses représentants légaux devrait suffire, encore que d’aucuns estiment qu’un administrateur ou un tuteur ad hoc, suivant le cas, doive intervenir à ses côtés(35).  La loi nouvelle pouvait être une chance de mettre fin  à cette incertitude. Las ! … Selon la proposition, le mineur de plus de 13 ans consent apparemment seul à son adoption s’il a le discernement suffisant, et personne ne consent à sa place s’il ne l’a pas puisque, dans ce cas, seul « l’avis » de son représentant légal (même pas les deux, s’il a ses deux parents), est requisC’est évidemment impensable au regard du droit tant de la protection des mineurs que de l’adoption.

Il est aussi prévu de se passer de tout consentement lorsque le projet d’adoption porte sur un majeur protégé hors d’état d’y consentir lui­‐même, puisque là encore « l’avis » de son représentant légal, s’il en a un, suffit. C’est, dans l’esprit, un progrès par rapport  à  ce  que  prévoit  l’actuel  article  458  du  code  civil,  selon lequel le consentement à sa propre adoption et à celle de ses enfants est un acte réputé « strictement personnel » qui « ne peut jamais donner lieu à assistance ou à représentation de la personne protégée », donc  interdit  l’adoption.  Mais  comment  concilier  un  texte  qui  interdit  ne  serait­‐ce  que  d’assister  une personne gravement déficiente mentale dans un projet d’adoption (l’article 458), avec un autre qui permet  la  réalisation  de  ce  projet  sur  simple  avis  de  celui  qui  n’a  pas  le  droit  de  l’assister (l’article  348­‐6, dernier alinéa proposé) ! La seule  solution,  réclamée  depuis  longtemps,  serait  de  supprimer  de  l’article  358 qu’est « réputé strictement personnel » le consentement à  sa  propre  adoption  et  à  celle  de  son  enfant(36). Ainsi l’intéressé pourrait être normalement représenté ou assisté selon son état pour sa propre adoption.  Pour  celle  de  ses  enfants,  les  articles  348  à  348-2,  qui  y  pourvoient,  ne  seraient  plus  en contradiction avec l’article 458. Encore une occasion manquée !

13 – Nom et prénom de l’adopté (adoptions plénière  et simple), art. 9. A  ce sujet, on  aimerait  avant tout savoir sur quoi porte l’ajout d’un dernier alinéa à l’article 357 du code civil selon lequel « Si l’enfant  est  âgé  de  plus  de  13  ans,  son  consentement  est  requis ».  Celui‐ci  a‐t-­il  le  dernier  mot  sur  le principe de son changement de nom de famille ? Sur le choix de nom  proposé par son  ou  ses parents si l’un  des deux ou les deux ont un nom double ? Sur son prénom seulement ? La défenseure des enfants penche pour le choix du  seul prénom, mais ce n’est qu’une opinion(37). Par ailleurs, qui aura le dernier mot en  cas de désaccord, quel que soit l’objet du changement ? Le règlement de ce type de conflit est prévu en cas de désaccord entre les adoptants, il ne l’est pas en cas de conflit avec l’enfant.

Il est sûr en revanche que c’est sur son nom de famille qu’est laissé un nouveau choix au mineur de plus de 13 ans en cas d’adoption simple (C. civil, art. 363, al. 1er, proposé). Actuellement, l’adopté de plus de 13  ans peut refuser que le nom de l’adoptant soit substitué à son nom d’origine (C. civil, art. 363, in fine), et il est effectivement souhaitable que, vu son âge, il puisse demander à conserver le nom qu’il a porté jusque-là. Ce qu’il ne peut refuser, c’est que le nom de son parent adoptif soit adjoint au sien. Le lui permettre, comme le fait la proposition, c’est en quelque sorte nier sa nouvelle filiation. Certes, les majeurs peuvent, depuis 2016, refuser cette adjonction, mais la situation n’est pas la même. L’adoption de majeurs, qu’on le veuille ou non, a le plus souvent des visées successorales liées à un attachement filial. Obliger l’adopté à changer de nom peut avoir des répercussions dommageables pour sa propre famille, notamment pour ses enfants eux aussi obligés éventuellement de changer de nom.

 

II – « Liquidation » partielle des organismes privés autorisés pour l’adoption (OAA) (art. 10)

 

 14 – Effacement des OAA du paysage de l’adoption en France, art. 10. Il n’est pas possible d’envisager la question de l’adoption des pupilles de l’État et des enfants étrangers sans aborder, au préalable, le sort fait aux OAA œuvrant en France, qui tout simplement, dans la proposition, n’existent plus. On peut pourtant penser que, placés sous le contrôle du président du conseil départemental, devenus rares et ayant peu d’activité, ils pourraient encore rendre des services. Pourquoi ne pas laisser  aux parents le choix de confier leur enfant à une structure privée en laquelle ils ont confiance plutôt qu’à l’Administration(38), dont la Cour des comptes, il y a peu, a révélé au grand jour les graves insuffisances(39) ? Aucun des rapports précités ne faisant la moindre allusion à cette création d’un monopole d’État en matière de recueil des enfants sans famille en vue de l’adoption, on ne peut que s’interroger sur ses motivations. L’argument avancé selon lequel la tutelle de droit commun organisée autour des OAA, dans laquelle le conseil de famille est pourtant présidé par un juge, serait moins protectrice que celle de l’État, convainc difficilement lorsqu’on sait par l’ONED que, dans certains départements, on ne réussit pas à limiter la charge des conseils de famille à 50 pupilles, nombre maximum prévu réglementairement (CASF, art.  R.  224-­2)(40).  Au  moins  cette  suppression,  si  elle  était  justifiée,  aurait-­elle  dû  se  faire  dans  la  … transparence, alors qu’elle ne se comprend que par l’effacement discret de dispositions du code civil et du code de l’action sociale et des familles (CASF).

Dans le CASF, les articles L. 225-­11 et L. 225-­12, qui étaient placés sous le titre « Organismes autorisés et habilités pour l’adoption » sont vidés de leur contenu et réécrits sous le  titre  « Adoption  internationale » (prop. art. 11 bis), et les dispositions relatives à l’agrément ne concernent plus que les pupilles de l’État et « les  mineurs  résidant  habituellement  à  l’étranger ». Dans  le  code  civil (art. 348‐4, 348-­5  et  353-­1), sont simplement rayés les mots « ou à un organisme autorisé pour l’adoption ». Cela revient à imposer  la  dissolution ou une modification statutaire des  organismes  concernés,  le  plus  souvent  des  associations,  en les privant de leur objet social sans pour autant  que  cet  objet  soit  déclaré  contraire  à  l’ordre  public,  et  alors même que certains d’entre eux sont  reconnus  d’utilité  publique  justement  pour  pratiquer  cette  activité d’intermédiaire pour l’adoption.

Lorsqu’un OAA faillit à sa mission, qu’il s’agisse de suspicion de discrimination ou de  tout  autre  manquement  le président du conseil départemental peut lui interdire à tout moment son activité s’il « ne présente pas de garanties suffisantes pour assurer la protection des enfants, de leurs parents ou des futurs adoptants » (CASF, article L. 225-­11). Il était évidemment plus simple de les condamner tous en bloc sans autre forme de procès.  C’est  donc  probablement  par  inadvertance  que  la  Défenseure  des  droits,  chargée de défendre les droits de tous – donc y compris de  ceux  qui  mettent  leur  dévouement  au  service  de  l’enfance  délaissée   « salue  cette  avancée »  en  raison  de  « l’absence  de  réel  contrôle   de   l’administration »(41).

 

III – Adoption des pupilles de l’État et adoption internationale (art. 10 à 11 sexies et art. 13)

 

 1 – Dispositions communes

15 – Agrément en vue d’adoption : différence d’âge entre adoptant et adopté, art. 10. Qu’il s’agisse de l’adoption d’un pupille de l’État ou d’un mineur étranger, la différence d’âge entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des adoptés doit être, selon la proposition, de 50 ans, sauf dérogation pour justes motifs.  Autrement  dit,  l’âge  limite  pour  prétendre  à  un  agrément  est  soixante-­huit  ans,  âge  qui apparemment s’apprécie au jour de la délivrance de celui‐ci.

Il est possible que l’instauration de cet écart d’âge s’impose (cette question relève de ce que les journalistes ont coutume d’appeler un « marronnier »), mais il faut aussi avoir à l’esprit que, si d’aventure un projet d’adoption paraît contraire à l’intérêt de l’enfant, il reste au tribunal le pouvoir de ne pas la prononcer.

16 – Agrément en vue d’adoption : possibilité d’obtention de l’agrément à l’étranger, art. 10. Actuellement, l’article L. 225­‐2  du  CASF  permet  à  des  français  ou  des  étrangers  d’adopter  un  pupille  de l’État français grâce à un agrément (ou équivalent) obtenu dans un  État  étranger en  cas  d’accord  international le prévoyant : le cas est tout à fait rare. L’ajout des trois mots « ou un mineur résidant habituellement à l’étranger» paraît inconsidéré. Il conduit en effet à ce que désormais un français résidant          en France puisse adopter un enfant étranger au vu d’un agrément obtenu à l’étranger. La convention de La   Haye du 29 mai 1993 prévoit que c’est au lieu de leur résidence  habituelle que les candidats à l’adoption,  quelle que soit leur nationalité, doivent demander cet agrément (Conv., article 15). Cet ajout, contraire à la convention, n’a évidemment pas sa place dans le dispositif.

17 – Agrément en vue d’adoption : cas particulier des personnes auxquelles le service de l’aide sociale à l’enfance a confié un pupille de l’État pour en assurer la garde, art. 10. L’actuel article L. 225-2, al.  1er  du  CASF  dispense  les  assistants  familiaux  agréés  en  cette  qualité  d’un  agrément  en  vue d’adoption. Le nouvel alinéa 2  du  texte  maintient  cette  dispense,  mais  l’absence  de  définition  des personnes concernées crée une  hésitation.  En  effet,  classiquement,  les  pupilles  sont  confiés  à  des  assistants familiaux, mais depuis la loi 14 mars 2016 sur la protection de l’enfant, ils peuvent être confiés en « accueil durable et bénévole » à des particuliers (CASF, art. D. 221‐16 à D. 221‐24)(42). Ceux-­ci doivent-­ils, eux aussi être dispensés de l’agrément ? Il serait indispensable  que  la  question,  ouverte,  soit  résolue avant de se poser concrètement.

18 – Agrément en vue d’adoption : préparation des candidats à l’agrément et information des candidats agréés, art. 10. Que l’information des candidats préalable à l’agrément soit remplacée par une préparation (CASF, article L. 2253 proposé), mieux vaudrait savoir qui l’assurera et la financera, à moins  que  l’accumulation  d’attestations  d’heures  de  présence  glanées  de-ci  de‐là  soit  suffisante  (c’est actuellement le cas pour les candidats à l’adoption d’enfants originaires de Russie). Sans cela, le risque est  grand qu’il ne s’agisse que d’un vœu pieux. Il en va de même des réunions d’information proposées aux personnes agréées : la présence à  ces  réunions  étant  apparemment  facultative,  il  est  permis  de  douter  qu’il faille y consacrer un article de loi.

19 – Agrément en vue d’adoption : rôle de la commission d’agrément, durée de validité, renouvellement, art. 10. À l’heure actuelle, le président du conseil départemental peut délivrer un agrément contre l’avis de la commission ad hoc, qui est consultatif. Imposer un avis conforme de celle-­ci n’est évidemment pas à rejeter a priori, la délivrance de l’agrément résultant ainsi d’une décision à caractère quasi collégial. Mais il faudrait aussi savoir si, inversement, un avis favorable de la commission oblige le président à délivrer l’agrément.

À l’heure actuelle encore, l’agrément, délivré pour cinq ans, n’est pas renouvelable, et il n’est pas anormal, compte tenu des évolutions qui peuvent se produire pendant ce laps de temps dans une famille, que la procédure en vue d’un nouvel agrément soit à recommencer. Aussi serait-­il indispensable de savoir ce que signifie, dans la proposition, qu’il est « renouvelable ». L’est-­il de plein droit ? Pour quelle durée ? Combien de fois ? Sans un minimum de précisions, la disposition ne peut que rester lettre morte, ou au contraire susciter des recours sans fin.

20 – Agrément en vue d’adoption en cas de parenté ou d’alliance entre l’adoptant et l’adopté (étranger ?) « résidant à l’étranger », art. 10. Cette question, qu’il est prévu de régler en deuxalinéas  distincts  de  l’article  L.  225­‐5  du  CASF,  est  présentée  de  façon  particulièrement  confuse.  Une distinction est faite entre l’adoption d’un enfant par un membre quelconque de sa famille (parent ou allié jusqu’au sixième degré) et celle de l’enfant du conjoint au sens large. Dans le premier cas, un agrément est nécessaire. Dans le second, il est remplacé par une attestation  constatant  la  capacité  de  l’adoptant  à  accueillir l’enfant. Et comment se compte le degré d’alliance lorsqu’il n’y a pas de mariage ?

Pour l’adoptant marié avec le parent de l’adopté, la nécessité de cette attestation confirme l’article 353­‐1 du code civil qui le dispense d’agrément, mais ajoute pour lui une formalité qui, actuellement, ne lui est pas imposée. Y a‐t­‐il une raison, ou simplement un manque de connaissance de l’existant ?

21 –­ « L’agrément  en  vue  d’adoption  délivré  en  application  de  l’article  L.  225-­4  est  valable  pour l’adoption d’un pupille de l’ État ou d’un mineur résidant habituellement à l’étranger réalisée à partir  du  territoire  national »,  prop.,  art.  10  bis.  Que  veut  dire  cette  disposition  (CASF  art.  L.  225‐7 proposé) ?  Qu’est‐ce  qu’une  adoption  « réalisée  à  partir  du  territoire  national »  et,  a  contrario,  qu’est-­ce qu’une adoption qui ne l’est pas ? Ce qui se conçoit  bien  s’énonce  clairement,  dit  l’adage,  et  c’est  la  condition sine qua non d’une interprétation

2 – Adoption des pupilles de l’État

 22 – Consentement à l’adoption des parents qui remettent leur enfant à l’ASE en  vue  de  son  admission en qualité de pupille de l’État ? art. 13. Selon la proposition, les parents qui remettent     leur enfant à l’ASE en vue de son admission en qualité de pupille de l’État, quel que soit son âge, ne sont plus « invités à consentir » à son adoption. En revanche, ils doivent « consentir à son admission » après avoir été dûment  informés  de  ce  que  l’enfant  pourra  être  adopté  (CASF  art.  L.  224-­5).  Une  fois  l’enfant admis, c’est le conseil de famille qui consentira à l’adoption si c’est le projet de vie qui convient au pupille (C. civ., art. 347, 2° modifié).

On pourrait penser, dans ces conditions, que le consentement donné devant notaire (C. civil. art. 348-­3, 1er alinéa proposé) ne concerne pas l’adoption des pupilles de l’État puisqu’est supprimée  la  possibilité  de  donner ce consentement à l’ASE (ibidem) et que c’est le conseil de famille qui consent à l’adoption du pupille après l’admission de celui-­ci en cette qualité.  Mais pourquoi alors est‐il   écrit, à l’article 348-­5, « Le consentement du ou  des  parents à  l’adoption  des enfants de  moins de  deux  ans n’est valable  que  si l’enfant a été effectivement remis  à  l’ASE » ?  Que  vaudra  ce  consentement  donné  spontanément  auprès  d’un notaire ? La question de savoir qui, des parents ou du conseil de famille, consent à l’adoption du pupille et  à quel moment, a occasionné un procès, long de six années, resté dans toutes les mémoires (43). Il est donc impératif d’avoir une solution claire à ce sujet.

Au delà, il est curieux de préciser, dans la loi, que ce consentement doit être donné « sans aucune contrepartie », tant il paraît exclu que l’administration française soit prête à payer pour recueillir les enfants que leurs parents lui confient.

Ce nouveau schéma est vivement contesté, dans son principe, par les professionnels de l’enfance, préoccupés par le fait que la seule possibilité laissée aux parents redevient, comme autrefois, « d’abandonner » leur enfant, alors que depuis des années ils tentent de faire en sorte que ces parents aient une attitude positive au moment de confier leur enfant à la société en espérant le meilleur avenir pour lui.

23 – Recours ouverts aux pupilles de l’État contre les décisions liées à leur adoption, art. 14. En édictant que les pupilles de l’État peuvent exercer un recours, « sauf disposition contraire » contre toutes les décisions de son conseil de famille « pour les actes non usuels de l’autorité parentale », la proposition a nécessairement en vue les décisions concernant le processus adoptif. Cela concerne donc, au minimum :
. le bilan d’adoptabilité prévu pour tout pupille susceptible de faire l’objet d’un projet d’adoption (prop., art. 12) puisque, logiquement, ce bilan doit conduire au consentement donné par le conseil de famille ;
. le  consentement  à  l’adoption  lui-­même,  qu’apparemment  il  devrait  donner  auprès  d’un  notaire (C . civil., art. 348‐3, 1er  alinéa proposé ) ;
. l’apparentement, auquel est donnée une existence juridique (prop., art. 11), à moins qu’il ne  relève que du tuteur, ce qui n’est pas précisé ;
. le placement en vue de l’adoption ;
. les décisions prises en cours de placement, jusqu’à ce que le  jugement  d’adoption  devienne  définitif(44).

Est-­ce bien raisonnable, alors que le dispositif actuel pour s’assurer en amont de l’adhésion du pupille au projet est déjà bien  fourni ; que, in fine, il doit être entendu par le tribunal ; que, s’il a plus de 13  ans, il peut se rétracter jusqu’à la fin de la procédure judiciaire ? Sans compter que, pour chaque action, il faudra lui nommer un tuteur ad hoc parce que, par hypothèse, ses intérêts seront opposés à ceux du conseil contre lequel il agira.

Au moins n’a pas été reprise la « fausse bonne idée » suggérée par le Défenseur des droits, il y a quelques années, de faire du futur adopté (majeur ou mineur), une partie au jugement. Cela, en effet, aurait transformé la procédure, gracieuse, en procédure contentieuse entre l’adopté et l’adoptant(45) .

24 – Recours ouverts aux assistants familiaux dans le cadre du processus adoptif des pupilles de l’État, art. 14. La possibilité de recours accordée aux assistants familiaux qui souhaitent adopter le pupille qui leur a été confié « pour les décisions et délibérations relatives à ce projet d’adoption » (CASF, art. L. 224-8‐5, 4° proposé) n’est  pas  une  préoccupation  nouvelle. À  moins  que  cela ne  leur  permette  de contester la décision de faire adopter l’enfant par une autre famille, cela ne peut guère concerner que le refus qui leur serait opposé. De tels recours ont déjà été acceptés par les tribunaux(46). Resterait donc, au moins, à préciser les conditions de ces recours. Resterait aussi à savoir si le même recours est accordé au tiers auquel est confié un pupille dans le cadre d’un accueil durable et bénévole » (supra n° 17).

25   – Recours ouverts aux tiers dans le cadre du processus adoptif des pupilles de l’État, prop., art. 14. Une possibilité de recours est aussi prévue au profit « des personnes agréées choisies par le conseil de famille à compter de la communication de ce choix et pour les seules décisions qui les concernent personnellement ».

On a peine à voir, sur le principe, en quoi une personne « choisie » pour adopter un pupille de l’État pourrait  s’en  plaindre.  Peut-­être  n’est-­elle  pas  satisfaite  de  l’enfant  qui  lui  est  proposé,  auquel  cas  il  lui suffit de refuser l’apparentement ou le placement ? Peut-­être n’est-­elle pas satisfaite des conditions dans lesquelles l’apparentement ou le placement sont effectués ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne peut reprocher au conseil de famille d’avoir « choisi » une autre famille qu’elle. Elle n’est d’ailleurs pas censée le savoir, puisque les délibérations du conseil sont couvertes par le secret professionnel.

3 – Adoption internationale

 26 -­ « Définition » de l’adoption internationale, dispositions particulières, prop. art. 10 bis. Mieux vaut ne pas chercher à savoir qui a bien pu avoir l’idée de placer dans le code civil un article 370-­2‐1 qui commence par « L’adoption internationale s’applique (sic) », qui continue par un recopiage de la définition, non pas de ce qu’est l’adoption internationale  qui peut recouvrir toutes sortes de situations(47)  mais du domaine d’application de la convention de La Haye du 29 mai 1993, et qui se termine par une évidence : que l’adoption internationale vise les adoptions établissant un lien de filiation, ce qui est la définition même de l’adoption(48).

Certains des aspects de l’adoption internationale ont déjà été évoqués, sur lesquels il n’y a pas à revenir : la notion d’enfant « résidant à l’étranger » (supra, n°4), l’agrément en vue de l’adoption internationale (supra, n° 15 et suiv.).

Reste à revenir sur la « manipulation » de l’article 370-­3, alinéa 3 du code civil (supra, n° 11). Il est malencontreusement amputé de ses mots essentiels : « Quelle que soit la loi applicable ». Il s’agissait en effet d’une règle dite « matérielle », par laquelle était exigé qu’une loi étrangère ait au moins les mêmes exigences que la loi française en matière de consentement pour que les décisions qui les appliquent puissent être reconnues en France. Ainsi modifié, cet article n’a plus la fonction de rempart contre la fraude qui était la sienne.

27 – Réglementation des OAA œuvrant à l’étranger, art. 11 bis. Il a paru possible de faire disparaître les OAA exerçant leur activité en France pour réserver à l’administration le monopole du service d’intermédiaire pour l’adoption en France. Il a en revanche paru déraisonnable, après examen de la proposition initiale, d’envisager le même monopole pour l’Agence française de l’adoption (AFA), qu’il est d’ailleurs question, depuis plusieurs années, de fondre dans un groupement à large spectre aux missions encore mal définies.

Il est proposé que les OAA ne soient plus « autorisés et habilités », mais « agréés ». C’est peut‐être plus conforme aux termes employés dans la convention de La Haye du 29 mai 1993, mais les États étrangers, une fois de plus, auront à se familiariser avec les incessantes modifications de la législation française.

Dire que les OAA, qu’il est prévu de surveiller de plus près, notamment en ne leur donnant qu’un agrément de cinq ans, exercent leurs fonctions « dans le respect de la législation du pays d’origine » de l’enfant peut être source de difficulté s’il n’est pas précisé quel type de législation est visé. En effet, s’agissant de l’adoption proprement dite, elle est soumise à la loi personnelle de l’adoptant qu’ils accompagnent, en l’occurrence la loi française (C. civil, art. 370-­3, al. 1) et il n‘est pas envisagé de modifier cette règle de conflits de lois établie en 2001. Il y aurait donc contradiction entre ce texte et l’article 370-­3, 1er alinéa.

28 – Suppression de l’adoption internationale dite « par démarche individuelle », art. 11 ter. L’accompagnement par un OAA ou par l’AFA est déjà obligatoire lorsque l’État d’origine de l’enfant est partie à la convention de La Haye du 29 mai 1993, il ne l’est pas dans le cas contraire, du moins lorsque l’État non partie à la convention l’accepte. Supprimer cette possibilité (CASF, art. L. 225-­14­‐3) revient à interdire d’adopter les enfants ressortissants de certains États. L’opportunité de cette disposition, souvent mise en doute, mériterait donc d’être étudiée et débattue beaucoup plus avant.

29 – Accompagnement post adoption, art. 11 quater. Pour terminer ce panorama, reste la réforme proposée de l’article L. 225-­18 du CASF. Actuellement, ce texte est ainsi rédigé : « Le mineur placé en vue d’adoption ou adopté bénéficie d’un accompagnement par le service de l’aide sociale à l’enfance ou l’organisme mentionné à l’article L. 225-­11 [OAA] à compter de son arrivée au foyer de l’adoptant et jusqu’au prononcé de l’adoption plénière en France ou jusqu’à la transcription du jugement étranger. Cet accompagnement est prolongé si l’adoptant le demande, notamment s’il s’y est engagé envers l’Etat d’origine de l’enfant. (…) ». Ce texte n’était pas à l’abri de la critique(49). Ce qui est proposé  un accompagnement obligatoire pendant 2 ans à compter de l’arrivée de l’enfant  ne l’est pas non plus.

Une fois la décision étrangère d’adoption devenue définitive à l’étranger, l’adopté fait partie de sa famille adoptive. Si son adoption n’est pas reconnue en France par l’autorité judiciaire, par transcription directe de la décision étrangère ou nouveau jugement français d’adoption ou d’exequatur, cela, à coup sûr, lui compliquera la vie, mais il ne sera pas possible de revenir sur le lien de filiation créé. Dans ces conditions, imposer à l’enfant et à ses parents un « accompagnement » de qui que ce soit, en plus sans préciser de quel type d’accompagnement il s’agit, celui de l’ASE ne pouvant être que « social », c’est confondre, une fois de plus, « parentalité » et « parenté » (supra, note 23). Ce ne peut être vu que comme une immixtion indue dans la vie privée de la famille.

En post scriptum : un enfant étranger entré en France sans avoir été adopté dans son État d’origine n’est pas « placé en vue de l’adoption », il est confié par l’autorité étrangère sous un régime s’apparentant à une tutelle, l’OAA, s’il y en a un, ou l’AFA, n’étant qu’un intermédiaire. Dans ce cas, ce sont ses autorités de tutelle qui sont chargées, le cas échéant, de son « accompagnement ».

Notes de bas de page

3 À propos de l’adoption simple et de l’adoption de l’enfant du conjoint, (art. 11, sexies, 1° et 2°).

4 Donner de l’adoption internationale (si elle en a besoin !) une définition acceptable (art. 11 sexies, 3°).

5 Introduire les principes posés par la convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, ce qui a été fait en 2001 (art. 11, sexies, 3°).

6 Inspection générale des Services, rapport n° 2018098R, mars 2019.

7  P.  Salvage-­Gerest,  Amélioration  du  système  de  l’adoption,  principaux  enjeux,  Entretien,  Dalloz  2019  n° 22 p. 1272.

8 A. Taquet, Entretien, Revue Droit de la famille 2020, p.11, spéc. p. 13.

9  Loi n° 2016-­297 du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfant,  A. Taquet, Le Monde, 19 avril 2019.

10 Cour des comptes, La protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant, Rapport public thématique, novembre 2020.

11   Conseil  national  de  la  protection  de  l’enfance,  sur  lequel  P.  Salvage‐Gerest,  Le  CSA  est  mort,  vive  le CNPE, Revue Accueil (EFA) n° 182 p. 50.

12 Conseil consultatif national d’éthique, L’adoption, Accroître la transparence des procédures pour favoriser l’objectivité et la qualité des choix, Rapport n° 134, 23 janvier 2020.

13 Lettre de mission du Premier ministre du 15 avril 2019 annexée au rapport p. 57.

14 Vers une éthique de l’adoption, donner une famille à un enfant, Rapport remis a Premier ministre et au secrétaire d’État.

15  P. Salvage-­Gerest, Le rapport Limon-­Imbert, Un coup d’épée dans l’eau, AJ fam. Dalloz, 2020, p. 350.

16 Rapport précité, p. 31. La proposition confirme cette méfiance à l’égard des magistrats : à aucun  moment n’y est envisagé leur pouvoir d’appréciation.

17 Proposition de loi n° 3161 visant à réformer l’adoption.

18 Projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale « petite loi » après 2ème lecture, n° 47, 31 juillet 2020.

19 Le mot « déringardiser » est utilisé dans la presse pour caractériser les objectifs de la proposition.

20  Propos  prêtés  à  Mme  LIMON,  www.20minutes.fr/societe/2921315-­0201202‐prevoit-­proposition­‐loi-­ veut‐faciliter‐adoption‐France.

21  Voir, entre autres, https://www.adoptionefa.org/proposition‐de-­loi-­visant-­a-­reformer-­ladoption/

22  Voir notamment Défenseure des droits, Avis n° 20-­07, 25 novembre 2020.

23  C’est pourquoi le terme de « parentalité » utilisé à l’article 10, qui évoque la fonction de parent, c’est-­à-­dire l’autorité parentale, n’est pas adapté lorsqu’il s’agit d’évoquer les effets de l’adoption, qui crée un lien juridique de filiation, donc une « parenté ».

24 Se préoccuper du prononcé de la vacance de la tutelle de droit commun, par exemple (prop., art. 17, C. civil art. 411), n’aurait eu d’intérêt que s’il avait été prévu que le juge aux affaires familiales (juge des

tutelles)  puisse  organiser  lui-­même  une  « passerelle »  vers  le  statut  de  pupille  de  l’État,  alors  que  la proposition ne change rien à l’existant.

25 Ce n‘est pas le tribunal judiciaire, mais la cour d’appel, qui est compétente en matière de recours contre les décisions des conseils de famille.

26 Voir association des parents gays et lesbiens, communiqué, 7 décembre 2020, Réforme de l’adoption, Enfin une ouverture sur la réalité de la pluralité de familles.

27  Sur  la  DJDP  avant  adoption  simple,  voir  P.  Salvage‐Gerest,  La  filiation  par  adoption,  in  Dalloz  action, Droit de la famille, 8ème  éd. 2020-­2021, n° 224.40.

28  Sur le caractère hybride – et confus  du statut de l’adopté simple, voir P. Salvage-­Gerest, in La filiation par adoption, précité, n° 224.111 s.

29 Avis précité, p. 9.

30  Cour de cassation, 1ère  chambre civile, 7 juin 2012, n° 11-­30.261 et 11-­30.262.

31  Voir, en dernier lieu, Cour de cassation, 1ère  chambre civile, 18 novembre 2020, n° 19-­50.043.

32  Voir P. Salvage-­Gerest, PMA : en attendant la loi, une jurisprudence discriminatoire, note sous l’arrêt n° 19-­15.198 de la 1ère  chambre civile de la cour de cassation du 24 juin 2020, La semaine juridique 2020, n° 1071

33  Dans son avis n° P162018­‐00110 avril 2019, rendu dans l’affaire Mennesson, la CEDH « observait » que la France n’autorisait l’adoption conjointe que par des personnes mariées, donc ne permettait pas aux couples non mariés ayant eu recours à une GPA d’être juridiquement reconnus ensemble comme parents.

34  Sous réserve du cas évoqué ci‐dessus au n° 9, prop. art. 4.

35  Sur les incertitudes du droit actuel, voir P. Salvage-­Gerest, La filiation par adoption, précité, n° 221.102.

36   Voir  P.  Salvage-­Gerest,  Les  actes  dont  la  nature  implique  le  consentement  strictement  personnel  du majeur  en  tutelle (Code  civil,  article  458,  loi  n°  2007-­308  du  5  mars  20007)  :  une  catégorie  à  revoir d’urgence, Revue Droit de la famille 2009, étude 17.

37 Avis précité, p. 8.

38 Pour une défense convaincante des OAA, voir A. Mirkovic et O . Sarton, Marianne, 25 novembre 2020, https://www.marianne.net/agora/tribunes-­libres/les-­organismes-­autorises-­pour-­ladoption-­pourraient-­ se-­voir-­interdits-­dactivite-­en France.
39 Cour des comptes, La protection de l’enfance, précité.

40 Office national de l’enfance en danger, Rapport sur la situation des pupilles de l’État au 31 décembre 2018, p. 133 et 134 : jusqu’à 86 pupilles pour un conseil de famille dans un département.

41 Avis précité, p. 5 et 6.

42  Sur ce type d’accueil, voir P. Salvage-­Gerest et D. Housset, La loi du 14 mars 2016 et ses décrets d’application, Un regrettable embrouillamini, Revue Accueil (EFA) n° 183 p. 5.

43  Arrêt dit « Benjamin », Cour de cassation 1ère  chambre civile, n° 05-­11 .285, 7 avril 2006.

44 Le pupille ne sort pas du statut « lors de son adoption » (prop., art. 12, sic)

45 Voir P.  Salvage-­Gerest,  L’enfant  partie  au  jugement  d’adoption,  une  fausse  bonne  idée,  Actualité juridique famille Dalloz, 2014, p. 177.

46  Sur ce sujet voir P. Salvage-­Gerest, La filiation par adoption, précité, n° 221.272.

47  Sur la variété de situations pouvant être qualifiées d’adoptions internationales, voir P. Salvage-­Gerest, La filiation par adoption, précité, n° 226.08.

48 Il est vrai que, dans certaines législations, sont qualifiées d’adoption des institutions qui, au regard du droit français, n’en sont pas, justement parce qu’elles ne créent pas de filiation, telles la kafala de droit musulman ou l’adoption-­protection existant au Mali.

49  Voir P. Salvage-­Gerest, La filiation par adoption, précité, n° 226-­31.

 

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