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La belle-fille épouse le beau-père : la Cour de cassation s’incline

05/12/2013

Une fois n’est pas coutume, la Cour de cassation, le 4 décembre 2013, a fait prévaloir les faits sur le droit ! Les histoires de famille sont parfois tellement compliquées, inattendues, voire invraisemblables, que la Cour de cassation, cette fois, s’est résignée à juger en fait… La belle-fille restera illégalement mariée  à son beau-père. Reste à savoir si les Hauts magistrats ont également jugé en droit…

À d’autres occasions, pourtant, la Cour de cassation  a su se montrer inflexible sans s’émouvoir du sort des plus fragiles d’entre nous : les enfants. Lorsqu’elle prive les enfants nés d’une gestation pour autrui d’un acte de naissance français et de la reconnaissance de leur père biologique, c’est bien une situation de fait qu’elle refuse de consacrer… au nom du droit. Ces enfants pourraient bien mettre la Cour de cassation face à ses contradictions.

Mais, précisément, venons-en aux faits. Une femme se marie en 1969 et donne naissance à une fille en 1973. Ce mariage est finalement un échec et les époux divorcent en 1980. Jusque-là, rien de vraiment extraordinaire, malheureusement. Mais, surprise, l’ex-épouse se remarie avec le père de son ex-mari trois ans plus tard. L’heureux époux consent à sa petite-fille (devenue belle-fille !) une donation en 1990. Aucune réaction de l’« ex » jusqu’au trépas de son père en 2005. C’est à ce moment-là, au bout de 22 ans, qu’il se réveille enfin et demande l’annulation du mariage de son « ex » avec son père sur le fondement de l’article 161 du code civil, comprenant sans doute, mais un peu tard, que ce mariage pourrait bien avoir des conséquences sur ses droits successoraux.

 L’article 161, on le sait, interdit le mariage en ligne directe entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne, l’article 164 du même code n’autorisant le Président de la République à lever l’interdiction qu’en cas de décès de la personne qui a créé l’alliance. En clair, le beau-père ne pouvait épouser sa bru. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence en a tiré toutes les conséquences et a annulé le mariage célébré en 1983, non sans avoir souligné la regrettable confusion née dans l’esprit de la fille entre son père et son grand-père et l’inévitable préjudice porté aux intérêts successoraux du fils, unique héritier, par la   présence d’un conjoint survivant.

 Faut-il alors s’étonner de la cassation de la décision aixoise ? Le 13 septembre 2005, l’Angleterre, qui avait prévu un empêchement similaire, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme  en tant que cet empêchement constituait une atteinte excessive au droit au mariage et violait l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (n° 36536/02). Il est vrai que le parlement britannique avait estimé que l’interdiction du mariage ne poursuivait aucun but utile d’ordre public, ce qui n’est manifestement pas le cas du droit français. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle la Cour de cassation censure l’arrêt des juges du fond non sur le fondement de l’article 12 mais sur celui de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme : « le prononcé de la nullité du mariage revêtait, à l’égard de [l’épouse], le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans »… en définitive, toutefois, moins que la durée de la prescription de 30 ans. Dans son communiqué la Cour de cassation insiste sur la portée limitée de cette décision au cas particulier examiné : « le principe de la prohibition du mariage entre alliés n’est pas remis en question ». Dès lors, nous nous interrogeons de nouveau : la Cour de cassation aurait-elle seulement jugé en fait ?

Exceptionnelle, cette décision l’est dans tous les sens du terme ! Je vous invite à lire, dans le prochain numéro de l’AJ famille – celui de décembre – la réaction de François Chénedé qui regrette cet excès d’audace…

Civ. 1re, 4 décembre 2013, n° 12-26.066 (1389 FS-P+B+I) 

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