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Constitutionnalité des dispositions du code de l’action sociale et des familles encadrant l’accès aux origines personnelles

26/06/2012

La faculté conférée par les articles L. 222-6 et L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles à la femme qui accouche sous X de s’opposer à la révélation de son identité même après son décès n’est pas contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit.

La transmission au juge constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution des dispositions du code de l’action sociale et des familles qui encadrent l’accès aux origines personnelles, sans présenter un intérêt juridique majeur tant l’issue paraissait presque prévisible, n’est pas sans susciter certaines interrogations quant à l’appréciation même de l’équilibre idéal prôné par les articles L. 222-6 et L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles entre, d’une part, les intérêts de la mère biologique et, d’autre part, ceux de l’enfant né sous X. Équilibre « idéal » car les objectifs poursuivis par la loi du 22 janvier 2002 semblent davantage tenir de l’utopie que d’une véritable aspiration à la cohérence… juridique. En témoignent les joutes doctrinales qui ont suivi le vote de ladite loi. Pour autant, si l’éviction des « solutions extrêmes » a donné le sentiment d’une loi efficace qui ne nécessitait guère une saisine a posteriori du Conseil constitutionnel, le caractère sensible des questions liées aux « intérêts » difficilement conciliables entre ceux de l’enfant désirant accéder à sa « vérité » identitaire et ceux de sa mère revendiquant sa « liberté » de concevoir dans le secret, semble avoir rattrapé les « Sages ». Le législateur réalisera alors, sans doute, qu’il aurait mieux fallu affronter les véritables enjeux juridiques que pose la question de l’accouchement sous X plutôt que de fonder ses espérances sur un équilibre impossible. Car, confier au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles la charge de s’assurer et de recueillir la volonté du parent biologique de l’individu désirant accéder à ses origines familiales, ce fut, à coup sûr, une vaine tentative d’escamotage juridique.
En l’espèce, tout commence par une décision administrative du 22 décembre 2010 par laquelle le président du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles rejette la demande de M. Matthieu A… tendant à se voir communiquer l’identité de sa mère biologique. Le requérant saisit alors la juridiction administrative aux fins d’annulation de ladite décision. Il soutient ainsi que les dispositions des articles L. 147-6 et L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’elles organisent une possibilité pour toute femme d’accoucher sans révéler son identité et qu’elles conditionnent toute levée ultérieure du secret de son identité à son accord, privant les enfants nés au terme d’un tel accouchement de la possibilité de connaître leurs origines, portent atteinte au droit au respect de la vie privée, au principe d’égalité et au droit de mener une vie familiale normale tels que garantis respectivement par les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Estimant que la question, sans être nouvelle présente un caractère sérieux, le Conseil d’État, par sa décision n° 355087 du 16 mars 2012, a décidé de la renvoyer au Conseil constitutionnel en rappelant, au passage, que les dispositions contestées n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par les « Sages ». De manière assez pragmatique, le Conseil constitutionnel retient que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles en matière de protection de la santé et ne portent pas davantage atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Au demeurant, il relève qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre régissant idéalement les intérêts de la mère qui accouche sous X et ceux de l’enfant.

À l’évidence, la présente décision brille de clarté même si, au fond, on a de la peine à voir l’intérêt pour le juge constitutionnel de motiver sa solution par une référence explicite à la valeur constitutionnelle de protection de la santé, déduite du onzième alinéa du Préambule de 1946. En effet, la garantie offerte par la Nation à tout être d’obtenir de la collectivité des moyens convenables de subsistance ainsi que les conditions nécessaires à son développement, fait certes corps avec les droits et libertés constitutionnels  mais justifie, assez difficilement, l’existence possible d’un équilibre entre les intérêts en cause, malgré son rattachement au droit naturel de mener une vie familiale normale.
Pour autant, en écartant l’hypothèse d’une inconstitutionnalité de la condition de l’accord par la femme pour la levée du secret de son accouchement, le Conseil constitutionnel prend le soin de préciser, sans ambiguïté, que la philosophie de la loi est bien de protéger la santé tant maternelle qu’infantile, et d’éviter ainsi le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions périlleuses. Telle que présentée, la noblesse de la finalité ne souffre d’aucune contestation ! Sauf que, à y voir de plus près, le refus opposé par l’Administration à la demande d’accès aux origines familiales peut heurter, sensiblement, l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui prévoit que l’enfant dispose, dans la mesure du possible, du droit de connaître ses parents (biologiques) et d’être élevé par eux. On serait même tenté de reconnaître que, l’air du temps étant « à la transparence », le droit  moderne semble ne plus se satisfaire de « l’opacité qui règne dans certaines familles ».

Visiblement, l’appréciation des nouvelles données sociologico-familiales n’enchante guère le juge Constitutionnel. Et on peut bien le comprendre ! Sur un sujet aussi délicat qui interroge à la fois l’éthique et le droit, la prudence intelligente commande de se référer directement et exclusivement à la rationalité consensuelle de la loi. Ce n’est point une nouveauté : le Conseil constitutionnel avait déjà jugé sagement, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre des intérêts… entre partisans et opposants au mariage des personnes de même sexe.
On peut, naturellement, comprendre pourquoi la matière familiale, la question de l’humain d’une façon générale, se prête aisément à ce jeu de renvois à l’arbitrage du législateur : la dimension éthique y est transcendantale. D’ailleurs, l’équilibre des intérêts en présence revendiqué par la loi du 22 janvier 2002, à travers la rédaction « mesurée » de l’article L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles qui a introduit un mécanisme d’incitation des femmes accouchant sous X à laisser des renseignements essentiels sur leur existence, révèle l’intrusion d’une forme d’éthique du compromis dans l’appréhension juridique des questions touchant à l’humain et à la famille. En clair, la quête d’un intérêt illusoire entre deux logiques contradictoires, deux « droits subjectifs » inconciliables, met clairement en évidence la marche incertaine de la loi vers un idéalisme parfois trop rêvé. Le Conseil constitutionnel aurait donc dû, avec audace, en tirer de sages conséquences juridiques à même de garantir un ordre public plus humaniste dans l’idéal d’équilibre entre les intérêts de la mère qui accouche sous X et ceux de son fils qui désire légitimement percer le mystère de ses racines familiales. Cela passe, inévitablement, par une interprétation osée d’une certaine éthique de la responsabilité de la mère biologique ; reformuler l’équilibre légal des intérêts comme à la fois lui imposant une véritable « obligation d’information non identifiante (en contrepartie de son droit au secret d’identité) et lui conférant une simple faculté d’information identifiante sans limitation dans le temps » , eût notamment été, une perspective fructueuse en ce sens.
Car, à la question posée par le requérant sur la conformité au droit à une vie privée et familiale épanouie de l’équilibre des intérêts instauré par le législateur, la raison humaniste aurait dû, logiquement, primer sur la recherche d’harmonie juridique.

Richard OUEDRAOGO

Conseil const., 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC

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